Une maison, un appartement. Pour la plupart des Français, l’achat d’un bien immobilier représente souvent le projet d’une vie. Son financement passe quasi systématiquement par la souscription d’un emprunt bancaire. Compte tenu des enjeux financiers et de la durée de l’engagement, le législateur a progressivement mis en place un ensemble de règles spécifiques destinées à protéger l’emprunteur. Ce cadre juridique, complexe et en évolution, mérite d’être bien compris avant de s’engager. Cet article vous propose une introduction aux éléments essentiels de la réglementation française en matière de crédit immobilier.
Le champ d’application du crédit immobilier : qui et quoi ?
La réglementation actuelle du crédit immobilier trouve sa source principale dans l’ordonnance n°2016-351 du 25 mars 2016, qui a transposé en droit français la directive européenne 2014/17/UE. Ces dispositions sont désormais intégrées aux articles L.313-1 et suivants du Code de la consommation.
Quelles opérations sont concernées ?
Le Code de la consommation définit le champ d’application de manière précise. Sont principalement visés les prêts « consentis de manière habituelle » pour financer:
- L’acquisition en propriété (ou la souscription de parts de sociétés y donnant droit) d’immeubles à usage d’habitation ou à usage mixte (professionnel et habitation).
- L’acquisition en jouissance de ces mêmes types d’immeubles.
- La construction de ces immeubles.
- L’achat de terrains destinés à la construction desdits immeubles.
- Les dépenses de réparation, d’amélioration ou d’entretien de ces immeubles, mais une distinction s’opérait avant la réforme de 2016 selon le montant du crédit et si les travaux étaient liés ou non à une acquisition.
Depuis l’ordonnance de 2016, un critère alternatif important a été ajouté : sont également soumis au régime du crédit immobilier les contrats de crédit, quelle que soit leur finalité (même un crédit à la consommation), dès lors qu’ils sont garantis par une hypothèque ou une autre sûreté comparable sur un bien immobilier à usage d’habitation. Cela inclut notamment les prêts pour travaux sur un logement existant si une telle garantie est prise.
Contrairement au crédit à la consommation, le montant du prêt n’est généralement pas un critère pour déterminer si le régime protecteur du crédit immobilier s’applique (sauf exceptions historiques pour certains travaux).
Qui est protégé ?
La protection vise avant tout l’emprunteur personne physique agissant dans un but non professionnel. L’article L.311-1 du Code de la consommation le définit comme « toute personne physique qui est en relation avec un prêteur […] dans le cadre d’une opération de crédit réalisée ou envisagée dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle ».
La jurisprudence a longtemps exclu les personnes morales, y compris les sociétés civiles immobilières (SCI) même familiales, considérant que leur objet social impliquait une activité professionnelle. Toutefois, l’ordonnance de 2016 a introduit une nuance importante via l’article L.313-1, 3°: les règles du crédit immobilier s’appliquent désormais aussi aux prêts souscrits par des personnes morales de droit privé si le crédit n’est pas destiné à financer une activité professionnelle. Cette disposition vise probablement à inclure certaines SCI patrimoniales familiales, mais la distinction reste délicate en pratique.
Sont explicitement exclus du dispositif les prêts consentis aux personnes morales de droit public et ceux destinés à financer une activité professionnelle.
Quels types de contrats ?
La notion de « crédit » est entendue largement. Elle couvre:
- Les prêts classiques, qu’ils soient constatés par acte sous seing privé ou par acte authentique.
- Les prêts aidés par l’État (comme l’ancien Prêt à Taux Zéro, bien que ce dernier soit exclu s’il ne comporte aucun frais ni intérêt).
- Les prêts issus de l’épargne logement (PEL, CEL).
- Les crédits-relais.
- Les facilités de paiement accordées par des professionnels, si elles s’apparentent à un crédit.
L’exclusion principale concerne les opérations totalement gratuites, sans intérêts ni autres frais que ceux liés à la garantie.
Le cas spécifique du regroupement de crédits
Face à l’endettement croissant, le regroupement de crédits (ou rachat de crédits) s’est développé. Il consiste à remplacer plusieurs prêts (immobiliers, consommation…) par un crédit unique. Pour éviter que cette opération ne prive l’emprunteur des protections spécifiques, le législateur a clarifié les règles applicables (articles L.314-10 et suivants du Code de la consommation):
- Si la part des crédits immobiliers repris est majoritaire (plus de 60%), ou
- Si l’opération de regroupement est garantie par une hypothèque sur un bien immobilier d’habitation,
- alors l’ensemble de l’opération est soumis aux règles protectrices du crédit immobilier.
La réforme de 2016 et ses impacts majeurs
L’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 a profondément remanié le cadre juridique du crédit immobilier, avec une entrée en vigueur progressive, principalement au 1er juillet et 1er octobre 2016. L’objectif principal était de transposer la directive européenne MCD (Mortgage Credit Directive) pour harmoniser les pratiques au sein de l’Union et renforcer la protection des consommateurs.
Un renforcement de l’information précontractuelle
La réforme a mis l’accent sur l’information fournie à l’emprunteur avant la signature de l’offre. L’élément central est la Fiche d’Information Standardisée Européenne (FISE). Ce document obligatoire et gratuit, dont le modèle est réglementé, doit être remis au plus tard avec l’offre de prêt. Il contient des informations personnalisées et standardisées permettant de comparer les offres: caractéristiques du prêt, TAEG, coût total, assurances, frais, tableau d’amortissement indicatif, etc.. Vous pouvez en savoir plus sur l’information précontractuelle et la FISE sur notre site.
De nouvelles obligations pour les prêteurs
L’ordonnance a introduit ou formalisé plusieurs devoirs pour les prêteurs et intermédiaires:
- L’évaluation rigoureuse de la solvabilité : Le prêteur doit évaluer en détail la capacité de l’emprunteur à rembourser le crédit avant de l’accorder, en se basant sur des informations suffisantes et vérifiées (revenus, charges, patrimoine…). Il ne peut accorder le prêt s’il anticipe des difficultés de remboursement.
- Le devoir d’explication : Le professionnel doit fournir gratuitement des explications claires et adaptées sur les produits proposés, leurs caractéristiques et leurs risques (effets d’une variation de taux, conséquences d’un défaut de paiement…).
- Le devoir de mise en garde : Le prêteur doit alerter gratuitement l’emprunteur si le crédit envisagé présente des risques spécifiques compte tenu de sa situation financière.
- Le service de conseil (facultatif et potentiellement payant) : Une distinction est faite avec un service de conseil personnalisé qui peut être proposé, de manière indépendante ou non, et qui constitue une activité distincte de l’octroi de crédit.
Un statut pour les intermédiaires
La réforme a également visé à encadrer l’activité des intermédiaires en opérations de banque et services de paiement (IOBSP), souvent appelés courtiers, en leur imposant des règles de bonne conduite, de compétence et de transparence (notamment sur leurs liens éventuels avec les prêteurs et leur mode de rémunération).
Ces évolutions visent à créer un marché du crédit immobilier plus transparent et plus sûr pour l’emprunteur. Pour mieux comprendre la réforme du crédit immobilier et vos droits, consultez notre article dédié.
Les sanctions en cas de manquement
Le non-respect des règles protectrices du Code de la consommation en matière de crédit immobilier expose les professionnels à des sanctions.
- Sanctions civiles : La principale sanction est la déchéance du droit aux intérêts pour le prêteur. Elle peut être totale ou partielle, laissée à l’appréciation du juge. Elle s’applique notamment en cas d’offre irrégulière (manque d’une mention obligatoire, TAEG erroné) ou de manquement aux obligations d’information, de mise en garde ou d’évaluation de la solvabilité. La Cour de cassation a confirmé que l’erreur sur le TAEG est sanctionnée par la déchéance des intérêts (Civ. 1re, 25 février 2016, n°14-29.838).
- Sanctions pénales : Des amendes, parfois lourdes (jusqu’à 150 000 € ou 300 000 € pour certaines infractions), peuvent être prononcées, notamment en cas de publicité trompeuse, d’offre non conforme ou de non-respect des délais de réflexion.
La loi applicable aux crédits transfrontaliers
Avec l’ouverture des marchés européens, il est possible de contracter un crédit auprès d’une banque située dans un autre État membre. Quelle loi s’applique alors ? Le Règlement européen « Rome I » (n°593/2008) sur la loi applicable aux obligations contractuelles apporte des réponses. Bien que les parties puissent en principe choisir la loi applicable à leur contrat (article 3), l’article 6 protège le consommateur. Si le professionnel dirige son activité vers le pays de résidence du consommateur (par exemple, via un site internet ou de la publicité ciblant la France), ce dernier bénéficie de la protection des règles impératives de son pays de résidence (le droit français en l’occurrence) si elles sont plus favorables. Les dispositions protectrices du Code de la consommation français sont généralement considérées comme des lois de police, s’appliquant donc même si une autre loi a été choisie, dès lors que le contrat présente des liens étroits avec la France.
Le cadre juridique du crédit immobilier est dense et technique. Il vise avant tout à protéger l’emprunteur, partie considérée comme la plus vulnérable. Comprendre ses droits et les obligations du prêteur est fondamental avant de signer une offre de prêt. Si le régime antérieur à 2016 vous concerne, consultez notre article sur le régime juridique des crédits immobiliers avant la réforme de 2016.
En cas de doute sur la conformité d’une offre, de difficultés avec votre banque ou pour toute question relative à votre crédit immobilier, nos avocats vous conseillent en crédit immobilier. N’hésitez pas à contacter notre cabinet pour une analyse personnalisée de votre situation.
Sources
- Code de la consommation, notamment les articles L.311-1, L.313-1 et suivants, L.314-10 et suivants, L.341-21 et suivants.
- Ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation.
- Directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel.
- Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
- Jurisprudences de la Cour de cassation citées dans l’article (ex : Civ. 1re, 8 juillet 1997, n°95-11.500 ; Civ. 1re, 25 février 2016, n°14-29.838).