L’octroi d’un crédit immobilier représente un engagement financier majeur, tant pour l’emprunteur que pour l’établissement prêteur. Avant d’accorder un financement, la banque ou l’organisme de crédit est tenu par la loi d’évaluer minutieusement la capacité de l’emprunteur à rembourser le prêt. Cette étape, cruciale pour prévenir les situations de surendettement, est encadrée par des obligations légales renforcées depuis 2016. Comprendre ces obligations permet aux emprunteurs de mieux appréhender le processus et aux prêteurs de mesurer la portée de leurs responsabilités.
Le cadre légal de l’évaluation de la solvabilité post-réforme 2016
La directive européenne 2014/17/UE sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel (dite « MCD » ou « Mortgage Credit Directive ») a été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016. Cette réforme, entrée en vigueur pour l’essentiel le 1er juillet 2016, a profondément modifié les règles applicables au crédit immobilier, renforçant significativement la protection des emprunteurs. Vous pouvez consulter notre guide complet sur le crédit immobilier post-réforme 2016 pour une vue d’ensemble de ces changements.
L’un des axes majeurs de cette réforme concerne précisément l’évaluation de la solvabilité de l’emprunteur. L’objectif est double : s’assurer que l’emprunteur est capable de faire face à ses engagements sans se mettre en difficulté financière et responsabiliser le prêteur dans sa décision d’octroi de crédit. Le Code de la consommation, notamment aux articles L. 313-16 et suivants, détaille désormais les obligations du prêteur en la matière.
Les obligations du prêteur
Avant de prendre une décision sur l’octroi d’un crédit immobilier, le prêteur doit mener une évaluation « rigoureuse » de la solvabilité de l’emprunteur. Cette obligation se décline en plusieurs étapes clés.
Collecte des informations nécessaires
Le prêteur doit recueillir auprès du candidat emprunteur un ensemble d’informations suffisantes, pertinentes et vérifiables concernant sa situation financière et ses besoins. L’article R. 313-14 du Code de la consommation précise que l’évaluation doit se fonder sur des informations relatives :
- Aux revenus de l’emprunteur, à son épargne et à ses actifs : Cela inclut les salaires, revenus fonciers, pensions, aides sociales régulières, mais aussi l’épargne disponible (livrets, assurance-vie, etc.) et la valeur du patrimoine existant (autres biens immobiliers, portefeuille de titres…).
- Aux dépenses régulières de l’emprunteur, à ses dettes et autres engagements financiers : Le prêteur doit prendre en compte les charges courantes (loyer si applicable, impôts, pensions alimentaires versées…), les remboursements d’autres crédits en cours (consommation, auto…) et tout autre engagement financier régulier.
Ces informations sont essentielles et s’inscrivent dans le cadre plus large de l’information précontractuelle en crédit immobilier. Le prêteur doit d’ailleurs informer l’emprunteur, dès le stade précontractuel, de la nécessité de fournir des renseignements exacts et complets, et des délais pour le faire.
Vérification des informations fournies par l’emprunteur
La simple collecte d’informations déclaratives ne suffit pas. Le prêteur a l’obligation de vérifier, dans la mesure du possible, l’exactitude des renseignements fournis par l’emprunteur. L’article L. 313-16 du Code de la consommation précise que l’évaluation de la solvabilité se fonde sur des informations « dont le caractère nécessaire et la proportionnalité au regard de l’octroi du crédit sont justifiés ».
Concrètement, le prêteur demandera des pièces justificatives : bulletins de salaire, avis d’imposition, relevés de comptes bancaires, tableaux d’amortissement des crédits en cours, titres de propriété, etc. Le prêteur doit s’assurer de la cohérence des informations et peut être amené à demander des éclaircissements ou des documents complémentaires si nécessaire.
Il est important de souligner que si l’emprunteur fournit sciemment des informations inexactes ou incomplètes, il s’expose à des risques. Non seulement le contrat de prêt pourrait être remis en cause, mais cela pourrait aussi avoir des conséquences en cas d’incident de paiement ultérieur. La jurisprudence a par exemple validé l’inscription au FICP d’emprunteurs ayant communiqué des renseignements inexacts lors de la souscription (Cass. 1re civ., 25 mai 2022, n° 21-14.713).
Consultation du Fichier des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP)
L’évaluation de la solvabilité implique obligatoirement la consultation par le prêteur du Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP), géré par la Banque de France. Ce fichier recense les informations sur les incidents de paiement caractérisés liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels, ainsi que les informations relatives aux situations de surendettement.
Cette consultation permet au prêteur de vérifier si l’emprunteur a connu des difficultés de remboursement par le passé ou s’il fait l’objet d’une procédure de surendettement. Si le refus d’octroi du crédit est lié aux informations contenues dans ce fichier, le prêteur doit en informer l’emprunteur (article L. 313-16, al. 4).
Le rôle éventuel de l’Intermédiaire en Opérations de Banque et Services de Paiement (IOBSP)
Lorsque la demande de crédit est réalisée par l’intermédiaire d’un courtier (IOBSP), celui-ci joue également un rôle dans le processus d’évaluation. Bien que l’obligation finale d’évaluer la solvabilité incombe au prêteur, l’IOBSP participe à la collecte des informations et des documents nécessaires auprès de l’emprunteur.
Il est également soumis à des obligations d’information et de conseil envers l’emprunteur. Selon le statut du courtier (mandataire de banque, mandataire non exclusif, courtier), l’étendue de ses obligations peut varier. Il doit notamment s’enquérir de la situation financière, des besoins et des objectifs de l’emprunteur pour lui proposer des solutions adaptées. Certains IOBSP peuvent même proposer un service de conseil formalisé.
Les conséquences d’une évaluation défaillante ou incorrecte pour le prêteur
Le Code de la consommation prévoit des sanctions spécifiques en cas de manquement du prêteur à ses obligations d’évaluation de la solvabilité. L’enjeu est de taille pour les établissements de crédit.
Si le prêteur accorde un crédit sans avoir procédé à l’évaluation rigoureuse de la solvabilité requise par l’article L. 313-16, il peut être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge (article L. 341-28). Cela signifie que l’emprunteur ne serait tenu qu’au remboursement du capital emprunté.
Si l’évaluation a été réalisée mais de manière insuffisante ou incorrecte (par exemple, en ne prenant pas en compte certains éléments pertinents ou en ne vérifiant pas suffisamment les informations), la sanction est une déchéance partielle du droit aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge, qui ne peut excéder 30% des intérêts et est plafonnée à 30 000 euros (article L. 341-27, 3°).
Ces sanctions civiles s’ajoutent à l’engagement potentiel de la responsabilité civile du prêteur. Si l’octroi d’un crédit manifestement inadapté à la situation de l’emprunteur conduit ce dernier à une situation de surendettement, l’emprunteur pourrait rechercher la responsabilité du prêteur pour manquement à son devoir de mise en garde (obligation également renforcée par la réforme et codifiée à l’article L. 313-12) et obtenir des dommages-intérêts. Ce manquement peut être lourd de conséquences, notamment en ce qui concerne le traitement des difficultés de remboursement.
Il est important de noter que le prêteur ne peut se décharger de sa responsabilité en invoquant le fait que les informations fournies par l’emprunteur étaient incomplètes ou inexactes, sauf s’il prouve que l’emprunteur a délibérément dissimulé ou falsifié des informations essentielles (article L. 313-17).
L’évaluation de la solvabilité est donc bien plus qu’une simple formalité administrative. Elle constitue une obligation légale fondamentale pour le prêteur, visant à assurer un accès responsable au crédit immobilier et à protéger les emprunteurs contre le risque de surendettement. Un manquement à ces obligations peut entraîner des sanctions financières significatives pour l’établissement de crédit. Si vous estimez que l’évaluation de votre capacité de remboursement n’a pas été correctement effectuée ou si vous rencontrez des difficultés suite à l’octroi d’un prêt, il peut être judicieux de contacter notre cabinet d’avocats pour analyser votre situation.
Sources
- Code de la consommation : articles L. 313-16, L. 313-17, R. 313-14, L. 313-12, L. 341-27, L. 341-28.
- Ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation.
- Directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel.
- Jurisprudence citée (ex: Cass. 1re civ., 25 mai 2022, n° 21-14.713).