La confiance que vous placez dans les produits que vous achetez au quotidien repose sur l’assurance qu’ils sont ce qu’ils prétendent être, qu’ils sont sûrs et conformes aux normes. Pourtant, le risque de falsification de marchandises est une réalité économique et juridique qui peut avoir des conséquences sérieuses, tant pour les consommateurs que pour les entreprises. Modifier volontairement la nature ou la qualité d’un produit destiné à la vente n’est pas une simple pratique commerciale déloyale ; il s’agit d’un délit pénalement réprimé. Comprendre les contours de cette infraction, ses éléments constitutifs et les sanctions encourues est essentiel pour tout acteur économique soucieux de la légalité et de la sécurité. Cet article détaille ce que recouvre la falsification de marchandises en droit français.
Qu’est-ce que la falsification au sens pénal ?
La falsification est une infraction spécifique qui vise à protéger à la fois la santé publique et la loyauté des transactions commerciales. Elle se distingue d’autres notions proches comme la tromperie ou la contrefaçon, même si ces qualifications peuvent parfois se recouper ou être appliquées cumulativement selon les faits.
Définition légale et distinction avec la tromperie et la contrefaçon
Juridiquement, la falsification consiste en une altération volontaire de la substance d’une marchandise destinée à être vendue, la rendant différente de ce qu’elle devrait être légitimement. Il s’agit d’une modification intrinsèque du produit lui-même.
Il est important de ne pas confondre la falsification avec :
- La tromperie : Le délit de tromperie, souvent abordé en droit commercial, sanctionne le fait de tromper un contractant sur divers éléments de la transaction, notamment sur « la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises » (Article L. 441-1 du Code de la consommation). La tromperie porte sur l’information donnée à l’acheteur, sur les qualités alléguées du produit, sans nécessairement impliquer une modification physique de sa substance comme dans la falsification. Explorer la différence avec la tromperie peut être utile pour mieux cerner ces notions.
- La contrefaçon : La contrefaçon relève principalement du droit de la propriété intellectuelle. Elle vise la reproduction, l’imitation ou l’utilisation non autorisée d’une marque, d’un brevet, d’un dessin ou modèle, ou d’une œuvre protégée par le droit d’auteur. Un produit peut être contrefait sans être falsifié (par exemple, une copie exacte d’un sac de luxe avec une fausse marque) et inversement, un produit peut être falsifié sans être contrefait (par exemple, du vin coupé avec de l’eau mais vendu sous sa propre marque générique).
Les objectifs de la répression : sécurité sanitaire et loyauté économique
La répression de la falsification poursuit un double objectif fondamental. D’une part, elle vise à garantir la sécurité des consommateurs, en particulier lorsque les produits concernés sont des denrées alimentaires, des boissons ou des médicaments. L’altération de ces produits peut présenter des dangers directs pour la santé publique. D’autre part, elle protège la loyauté des échanges économiques. En falsifiant un produit, un opérateur économique trompe ses clients sur la qualité ou la nature réelle de ce qu’ils achètent, créant une concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises respectueuses des normes. La falsification s’inscrit ainsi parmi les différents types de fraudes commerciales que la loi cherche à prévenir et sanctionner.
Textes applicables (Code de la consommation, ex: L. 413-1 et suivants ?)
Le délit de falsification et les infractions qui y sont liées sont principalement définis et réprimés par le Code de la consommation, au sein du Livre IV intitulé « Conformité et sécurité des produits et services ». Les articles L. 413-1 et suivants constituent le cœur de cette réglementation. L’article L. 413-1 vise spécifiquement la falsification des denrées alimentaires, des produits agricoles ou naturels, tandis que d’autres textes peuvent concerner des catégories de produits spécifiques (médicaments, cosmétiques…). Ces dispositions sont complétées par les articles L. 441-1 et suivants relatifs à la tromperie et les articles L. 451-1 et suivants qui prévoient les sanctions pénales.
Les éléments constitutifs du délit de falsification
Pour qu’une infraction de falsification soit caractérisée sur le plan pénal, plusieurs éléments doivent être réunis. Il faut une marchandise spécifique, un acte matériel d’altération ou de dissimulation, et un lien avec une intention de vente.
Les types de marchandises concernées (denrées, boissons, produits agricoles/naturels)
Le Code de la consommation cible explicitement certaines catégories de produits lorsqu’il traite de la falsification. L’article L. 413-1 mentionne :
- Les denrées servant à l’alimentation de l’homme ou des animaux : Cela couvre une très large gamme de produits, des matières premières aux produits transformés (viande, poisson, lait, céréales, plats cuisinés, aliments pour bétail ou animaux de compagnie…).
- Les boissons : Vins, jus de fruits, alcools, eaux, sodas, etc.
- Les produits agricoles ou naturels non alimentaires : Par exemple, les semences, les engrais, certains produits cosmétiques d’origine naturelle, les matériaux de construction naturels, etc., dès lors qu’ils sont destinés à la vente.
La jurisprudence interprète parfois largement ces catégories pour inclure des produits qui, bien que non directement consommables, sont étroitement liés à l’alimentation ou à l’agriculture.
L’acte matériel de falsification : altération ou dissimulation
L’élément central de la falsification est l’acte matériel qui modifie la nature ou la qualité intrinsèque du produit. Cet acte peut prendre plusieurs formes concrètes :
Modification de la composition
Il s’agit de changer les proportions des ingrédients ou la nature même des composants d’un produit par rapport à ce qu’il devrait être selon la réglementation, les usages ou les déclarations faites. Par exemple :
- Couper du vin avec de l’eau ou un vin de qualité inférieure.
- Ajouter de la mélamine dans du lait pour augmenter artificiellement sa teneur apparente en protéines.
- Remplacer une huile végétale noble (huile d’olive vierge extra) par une huile de moindre qualité (huile de grignons d’olive) ou un mélange.
- Diminuer la teneur en viande d’un plat préparé en la remplaçant par des substituts moins coûteux non déclarés.
Ajout de substances non autorisées
Cela consiste à introduire dans le produit des substances qui ne devraient pas s’y trouver, soit parce qu’elles sont interdites par la réglementation, soit parce qu’elles sont étrangères à la composition normale du produit et non déclarées. Exemples :
- Utilisation de colorants ou de conservateurs interdits dans une denrée alimentaire.
- Ajout d’édulcorants non autorisés dans une boisson présentée comme « sans sucre ajouté ».
- Incorporation de substances chimiques dangereuses pour masquer une odeur ou améliorer artificiellement l’aspect.
Masquage d’un défaut ou d’une altération
La falsification peut aussi consister à dissimuler une altération préexistante du produit ou un défaut qui le rendrait impropre à la consommation ou à la vente dans des conditions normales. Il s’agit de masquer la réalité de l’état du produit. Par exemple :
- Traiter chimiquement de la viande avariée pour lui redonner une apparence de fraîcheur.
- Utiliser des additifs pour masquer le goût ou l’odeur d’un produit qui a commencé à se dégrader.
- Reconditionner des produits périmés en modifiant la date limite de consommation.
Dans tous les cas, l’acte doit avoir pour effet de rendre la marchandise non conforme à sa nature ou à ses qualités attendues.
Le lien avec une vente ou une intention de vente
Pour que l’infraction soit constituée, la falsification doit être réalisée sur une marchandise destinée à être vendue. Il n’est pas nécessaire que la vente ait effectivement eu lieu. La simple intention de mettre sur le marché le produit falsifié suffit. Cela signifie que la falsification peut être réprimée dès le stade de la fabrication, de la transformation ou du stockage, avant même que le produit n’atteigne le consommateur final. Le fait de falsifier un produit pour sa propre consommation, sans intention de le vendre, n’entre pas dans le champ de ce délit pénal spécifique (même si d’autres réglementations, notamment sanitaires, peuvent s’appliquer).
L’intention frauduleuse dans la falsification
Comme pour la plupart des délits, la falsification nécessite la preuve d’un élément intentionnel, c’est-à-dire une intention frauduleuse de la part de l’auteur.
La volonté de modifier ou masquer la nature réelle du produit
L’auteur doit avoir agi sciemment. Il doit avoir eu la volonté de procéder à l’altération ou à la dissimulation constitutive de la falsification. Une simple erreur de manipulation, une négligence ou une méconnaissance de la réglementation, si elles peuvent engager la responsabilité civile ou administrative de l’entreprise, ne suffisent pas, en principe, à caractériser l’intention frauduleuse requise pour le délit pénal de falsification.
L’auteur doit savoir que son action modifie la marchandise de manière substantielle et la rend non conforme à ce qu’elle devrait être, ou qu’il masque un défaut ou une altération. Il agit dans le but de tromper le futur acheteur sur les qualités réelles du produit, souvent pour en tirer un bénéfice économique illégitime (réduction des coûts de production, vente à un prix supérieur à la valeur réelle, écoulement de stocks défectueux…).
La preuve de l’intention : souvent déduite des faits
En pratique, prouver l’intention frauduleuse peut être complexe car elle relève de l’état d’esprit de l’auteur au moment des faits. Cependant, les tribunaux la déduisent très souvent des circonstances matérielles de l’infraction. Plusieurs indices peuvent ainsi révéler l’intention coupable :
- La nature et l’ampleur de la falsification : Une modification grossière ou l’utilisation de procédés sophistiqués pour masquer l’altération peuvent difficilement être considérées comme involontaires.
- La répétition des actes : Si la falsification est systématique ou concerne des volumes importants, l’hypothèse de l’erreur devient moins crédible.
- La dissimulation : La mise en place de moyens pour cacher la falsification aux contrôles (double étiquetage, fausses déclarations, etc.) démontre une conscience de l’illégalité de l’acte.
- Le mobile économique évident : Si la falsification permet une réduction significative des coûts ou une augmentation substantielle des marges, le caractère intentionnel est plus facilement présumé.
- Le statut professionnel de l’auteur : Un professionnel est censé connaître les règles applicables à son secteur d’activité. Son ignorance alléguée sera appréciée avec plus de sévérité.
Il appartient au ministère public d’apporter la preuve de cette intention, mais les juges disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits et des indices pour la considérer comme établie.
Les délits connexes à la falsification
Au-delà de l’acte même de falsifier une marchandise, le Code de la consommation réprime également certains comportements qui facilitent la mise sur le marché de produits non conformes ou dangereux, même si l’auteur n’est pas celui qui a procédé directement à la falsification. Ces délits visent à assainir l’ensemble de la chaîne de distribution.
Détention en vue de la vente de produits falsifiés, corrompus ou toxiques
L’article L. 413-2 du Code de la consommation sanctionne le fait de détenir, sans motif légitime, des marchandises servant à l’alimentation de l’homme ou des animaux, des boissons ou des produits agricoles ou naturels que l’on sait être falsifiés, corrompus ou toxiques. La simple détention en vue de vendre est ici punissable, même si aucune vente n’a encore eu lieu.
- Falsifié : Modifié dans sa substance comme vu précédemment.
- Corrompu : Altéré par des processus naturels de décomposition (putréfaction, moisissure…) le rendant impropre à la consommation.
- Toxique : Contenant des substances nuisibles à la santé.
La condition essentielle est la connaissance par le détenteur du caractère falsifié, corrompu ou toxique du produit. Cette connaissance peut, là encore, être déduite des circonstances (prix anormalement bas, conditions de stockage suspectes, alertes sanitaires…).
Exposition ou mise en vente de ces produits
L’étape suivante logiquement réprimée est l’exposition, la mise en vente ou la vente des mêmes types de produits (denrées alimentaires, boissons, produits agricoles ou naturels) en sachant qu’ils sont falsifiés, corrompus ou toxiques (Article L. 413-2 du Code de la consommation). Ici, l’infraction est constituée dès lors que le produit est présenté au public en vue d’une transaction, ou lorsque la vente est effectivement réalisée. La responsabilité peut incomber au fabricant, à l’importateur, au distributeur, ou à tout intermédiaire qui participe sciemment à la commercialisation de ces produits non conformes.
Publicité pour des produits falsifiés
Bien que moins fréquente en pratique pour la falsification pure (la publicité vantant rarement ouvertement un produit altéré), faire de la publicité pour un produit en sachant qu’il est falsifié pourrait tomber sous le coup de la complicité de mise en vente, ou être sanctionné via d’autres qualifications comme la publicité trompeuse (Article L. 121-2 et suivants du Code de la consommation) si les allégations publicitaires sont mensongères quant à la nature ou aux qualités du produit, ce qui est intrinsèquement le cas pour un produit falsifié.
Sanctions applicables en cas de falsification et délits connexes
La falsification et les délits associés ne sont pas pris à la légère par la loi, compte tenu des enjeux de santé publique et de loyauté économique. Les sanctions prévues par le Code de la consommation peuvent être lourdes.
Peines principales et complémentaires
Les peines principales encourues pour le délit de falsification (Article L. 451-1 du Code de la consommation) et pour les délits connexes de détention, exposition ou mise en vente de produits falsifiés, corrompus ou toxiques (Article L. 451-3) sont :
- Une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans.
- Une amende pouvant atteindre 300 000 euros. Ce montant peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel (calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus).
Outre ces peines principales, les tribunaux peuvent prononcer des peines complémentaires (Article L. 451-6), particulièrement dissuasives pour les entreprises :
- L’affichage ou la diffusion de la décision de condamnation.
- L’interdiction d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise, pour une durée maximale de cinq ans.
- L’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité de nature commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale, pour une durée maximale de cinq ans.
- La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit.
Pour les personnes morales (sociétés), l’amende encourue est quintuplée (soit jusqu’à 1 500 000 euros ou 10% du CA), et d’autres peines spécifiques peuvent s’ajouter, comme la dissolution, la fermeture d’établissements, l’exclusion des marchés publics, etc. (Article 131-39 du Code pénal).
Aggravation si danger pour la santé humaine ou animale
Les peines sont significativement aggravées lorsque la falsification ou la mise sur le marché de produits falsifiés, corrompus ou toxiques a eu pour conséquence de rendre la marchandise dangereuse pour la santé de l’homme ou de l’animal. Dans ce cas (Article L. 451-1 et L. 451-3 du Code de la consommation) :
- La peine d’emprisonnement est portée à sept ans.
- L’amende est portée à 750 000 euros.
Ces peines maximales montrent la sévérité avec laquelle le législateur traite les atteintes à la sécurité sanitaire par le biais de manœuvres frauduleuses sur les marchandises.
Prévention et défense en matière de falsification
Face à la sévérité des sanctions et aux risques pour la réputation, les entreprises ont tout intérêt à mettre en place des mesures préventives robustes. En cas de poursuites, une stratégie de défense adaptée est nécessaire.
Mise en place de contrôles qualité internes
La première ligne de défense contre la falsification, qu’elle soit commise en interne ou par des fournisseurs, réside dans des procédures de contrôle qualité rigoureuses à toutes les étapes : réception des matières premières, processus de fabrication, stockage, expédition. Cela inclut :
- Des analyses régulières des matières premières et des produits finis.
- Le respect strict des cahiers des charges et des normes réglementaires.
- La formation du personnel aux bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication.
- La mise en place de systèmes d’alerte interne en cas de détection d’anomalies.
Traçabilité des produits
Une traçabilité efficace permet de remonter rapidement la chaîne d’approvisionnement en cas de problème et d’identifier l’origine d’une éventuelle falsification. Elle est obligatoire dans de nombreux secteurs (alimentaire notamment) mais devrait être une préoccupation pour toutes les entreprises manipulant des marchandises sensibles. Des systèmes d’enregistrement clairs (numéros de lot, dates, fournisseurs, clients) sont indispensables.
Stratégies de défense en cas de poursuites
Si une entreprise ou son dirigeant se retrouve mis en cause pour falsification, l’assistance d’un avocat est primordiale. La défense peut s’articuler autour de plusieurs axes, selon les spécificités du dossier :
- Contester l’élément matériel : Démontrer qu’il n’y a pas eu d’altération substantielle ou de dissimulation au sens de la loi.
- Contester l’élément intentionnel : Prouver l’absence d’intention frauduleuse, en arguant par exemple d’une erreur involontaire, d’une négligence non coupable, ou de la responsabilité d’un tiers (fournisseur indélicat malgré les contrôles mis en place). La bonne foi doit être démontrée par des éléments concrets (procédures qualité, audits, etc.).
- Discuter la qualification juridique : Argumenter que les faits relèvent d’une autre qualification moins sévèrement réprimée (non-conformité administrative, simple tromperie sans altération…).
- Mettre en avant les mesures correctives prises : Si une non-conformité est avérée, démontrer que l’entreprise a réagi rapidement pour retirer les produits, informer les autorités et les consommateurs, et corriger ses processus peut influencer l’appréciation des juges.
La complexité des réglementations et la gravité des enjeux rendent indispensable une analyse juridique approfondie de chaque situation.
La falsification de marchandises est une infraction grave qui engage lourdement la responsabilité pénale des auteurs. Si vous êtes confronté à une situation de falsification, que vous en soyez victime ou que votre entreprise soit mise en cause, il est essentiel de réagir rapidement et de manière appropriée. N’hésitez pas à contacter notre cabinet d’avocats pour analyser votre situation et définir la meilleure stratégie à adopter.
Sources
- Code de la consommation, notamment articles L. 121-2 et s., L. 413-1 et s., L. 441-1 et s., L. 451-1 et s.
- Code pénal, notamment article 131-39.