L’objectif premier de la procédure d’injonction de payer est de surprendre. On condamne d’abord, on discute ensuite. Eventuellement. Car bien souvent, la discussion ne s’engage qu’au moment de la délivrance d’un acte d’exécution, tel le commandement aux fins de saisie-vente. L’effet de surprise atteint alors son point d’orgue tandis que le justiciable s’interroge : peut-il vraiment être saisi sans avoir été destinataire de la décision de justice qui le condamne et sans avoir pu s’expliquer ?
La preuve de l’existence d’actes de signification préalable
Conformément à l’article 503 du Code de procédure civile, les jugements doivent être notifiés avant d’être exécutés.
En matière d’ordonnance sur requête, le respect du principe de la contradiction requiert, d’une part, qu’une copie de la requête et de l’ordonnance soit remise à la personne à laquelle elle est opposée antérieurement à l’exécution des mesures qu’elle ordonne. Il impose, d’autre part, que l’ordonnance ne puisse être exécutée contre cette personne qu’après lui avoir été notifiée.
Au seuil d’une procédure de contestation d’un commandement aux fins de saisie-vente, il n’est pas toujours possible de savoir si le créancier a effectivement porté à la connaissance du débiteur l’injonction de payer support de la saisie en procédant à sa signification par un commissaire de justice.
Par conséquent, il n’y a pas d’autre solution pour le vérifier qu’engager la procédure et de sommer le créancier d’avoir à justifier :
- qu’il a fait signifier une première fois l’injonction de payer simple pour faire courir le délai d’opposition,
- puis qu’il a fait signifier une seconde fois l’injonction de payer revêtue de la formule exécutoire, avant d’engager les poursuites.
Du côté du créancier, la preuve de cette double formalité n’est pas nécessairement aisée.
En effet, plus l’injonction de payer est ancienne, et plus le risque de perdition des actes de signification augmente. Si en outre, la créance constatée par l’injonction de payer a fait l’objet d’une ou plusieurs cessions à d’autres créanciers, le risque est encore majoré. L’archivage et la destruction des vieux actes de signification rendent alors impossible leur production en justice.
Une preuve simplifiée pour l’injonction de payer simple
Sans doute est-ce en raison du risque de disparition des actes de signification que la jurisprudence fait une faveur au créancier saisissant en le dispensant d’avoir à produire le procès-verbal de signification de l’ordonnance d’injonction de payer simple (en d’autres termes, encore susceptible de faire l’objet d’une opposition de la part du débiteur condamné, par opposition à l’injonction de payer « exécutoire » qui ne peut plus être contestée sur le fond).
En effet, on présume que le greffier a nécessairement vérifié l’existence de cette formalité de signification préalable avant d’apposer la formule exécutoire et de rendre l’injonction de payer exécutoire.
C’est ainsi que dans un arrêt rendu le 12 juillet 2012, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation considère qu’en « apposant la formule exécutoire, le greffier du tribunal d’instance a constaté que l’ordonnance d’injonction de payer avait été signifiée (…) ; qu’il ne résulte d’aucun élément de la procédure que cette indication ait été portée de manière erronée (…) » (Cass. Civ. 2ème, 12 juillet 2012, pourvoi n°11-13.305)
Le créancier agissant sur le fondement d’une ordonnance d’injonction de payer peut donc faire délivrer un commandement aux fins de saisie-vente sans avoir à justifier de l’existence d’un acte de signification de l’injonction de payer dite « simple ».
Cet avantage probatoire va-t-il jusqu’à l’exempter de toute preuve de la signification de l’ordonnance d’injonction de payer, y compris lorsqu’elle est devenue exécutoire ?
Une preuve nécessaire pour l’injonction de payer exécutoire
Le Cabinet SOLENT AVOCATS a été confronté dans l’un de ses dossiers à une situation où le créancier saisissant ne justifiait d’aucune des deux significations préalables de l’ordonnance d’injonction de payer.
Dans son procès-verbal de saisie et son acte de dénonce, l’huissier instrumentaire se contentait d’affirmer lapidairement que la signification est « précédemment » intervenue, sans mentionner aucune date ni préciser de quelle signification il s’agissait, avant l’apposition de la formule exécutoire ou après.
Sommé d’avoir à produire ces justificatifs, le créancier s’abstenait néanmoins de le faire et il mettait en exergue la jurisprudence précitée avec la réflexion suivante : « si la formule exécutoire a été apposée, c’est que nous avons procédé à la signification. Nul besoin d’en justifier« .
En raisonnant par analogie avec une décision récente de la Cour de cassation (Cass. Civ. 1ère, 30 juin 2022, pourvoi n°21-10.229), nous avons choisi de rappeler que si le créancier saisissant n’était pas dispensé de rapporter la preuve de la signification d’une décision de première instance au seul motif que l’arrêt d’appel avait bien été signifié, les mêmes règles devaient s’appliquer au créancier agissant sur la base d’une ordonnance d’injonction de payer exécutoire. Il n’est pas question qu’il bénéficie d’une double présomption qui reviendrait à nier les dispositions de l’article 503 précité.
Nous avons été suivis par le Juge de l’exécution qui a estimé dans sa décision d’annulation de la saisie que le créancier ne justifiait pas qu’il était muni d’un titre exécutoire requis par l’article L. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution.
A retenir : S’il est dispensé de la preuve de la signification de l’injonction de payer simple, le créancier doit en revanche rapporter la preuve de la signification de l’injonction de payer exécutoire.