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La responsabilité bancaire en qualité de prestataire de services d’investissement

Table des matières

Dans un contexte financier où les établissements de crédit diversifient leurs activités bien au-delà du simple crédit, leur rôle de prestataire de services d’investissement (PSI) soulève des problématiques juridiques particulières. Cette dimension spécifique engendre un régime de responsabilité distinct, avec des obligations professionnelles renforcées, notamment dans le cadre de la réglementation bancaire et financière européenne.

La double casquette des établissements bancaires

Les établissements bancaires exercent souvent simultanément des activités de prêteur classique et de PSI. Cette dualité fonctionnelle complique l’analyse juridique en cas de montages financiers complexes, notamment lorsqu’un prêt est associé à un placement financier. La jurisprudence effectue alors une distinction fondamentale : l’emprunteur peut soit invoquer les principes de la responsabilité contractuelle de droit commun, soit se prévaloir directement des règles spécifiques du Code monétaire et financier (CMF) et de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Face à un client déçu par un investissement financé par emprunt, la qualification de l’activité est cruciale. S’agit-il d’un simple prêt ou d’une prestation de service financier soumise à un devoir de conseil renforcé ? Tout dépend de l’initiative prise par la banque et de la mission qui lui a été confiée. Cette question est d’autant plus importante que les sociétés de gestion et autres acteurs agréés par l’AMF sont tenus d’obtenir un agrément financier pour fournir le service de conseil en investissement à titre de profession habituelle.

Les fondements juridiques de la responsabilité du PSI

Le droit de se prévaloir des règles du CMF

Depuis une décision déterminante du 24 juin 2008, il est établi que les emprunteurs peuvent invoquer les dispositions du CMF à l’appui de leur action en responsabilité contre un PSI. L’article L. 533-12 précise notamment que les informations doivent présenter « un contenu exact, clair et non trompeur ». Les PSI doivent communiquer aux clients les informations leur permettant de comprendre la nature du service et les risques associés.

Ce principe est renforcé par l’article L. 314-11 du Règlement général de l’AMF (RGAMF) qui établit une exigence de cohérence dans l’information délivrée. La responsabilité du PSI est engagée s’il ne présente pas les caractéristiques les moins favorables et les risques inhérents à l’opération proposée. Cette protection s’inscrit dans le cadre plus large de la directive MIF et des textes complétant la directive adoptée par le Parlement européen et du Conseil.

La jurisprudence « Buon » et ses développements

L’arrêt « Buon » du 5 novembre 1991 constitue un pilier de cette responsabilité spécifique. La Cour de cassation y a affirmé que le PSI est tenu « dès l’origine des relations contractuelles et quelle que soit la nature de celles-ci, de mettre en garde son client contre les risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme, hors le cas où ce dernier en a connaissance ».

Cette jurisprudence a connu d’importants développements, la Cour précisant que c’est au PSI qu’incombe la charge de prouver l’exécution de son obligation d’information et de mise en garde. Cette approche a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures et s’inscrit dans une tendance plus générale de protection des épargnants et investisseurs individuels contre les abus de marché.

Le devoir d’information : une obligation substantielle

Le PSI est débiteur envers l’investisseur d’une obligation générale d’information sur les caractéristiques essentielles du produit proposé. Cette information doit être complète, exacte et formulée en termes intelligibles pour le client, qu’il s’agisse d’un client professionnel ou d’un investisseur particulier.

Contenu et modalités de l’information

L’information doit notamment attirer l’attention sur :

  • Les caractéristiques du produit proposé, y compris sa qualification d’instrument financier
  • Les aspects les moins favorables pouvant résulter de l’évolution des cours
  • L’exposition potentielle à une perte de capital et tout autre risque économique

L’obligation est généralement considérée comme remplie par la remise d’un document explicitant ces éléments, parfois sous forme de déclaration de risque. Toutefois, les juridictions exigent que cette information soit adaptée à la situation financière du client, son expérience et ses objectifs d’investissement. Cette exigence s’applique tant aux établissements français qu’aux acteurs étrangers opérant en France dans le cadre du passeport européen.

La jurisprudence insiste particulièrement sur la cohérence entre les documents publicitaires et le prospectus d’information. Depuis quelques années, elle adopte cependant une approche plus libérale, considérant que des conditions générales explicites peuvent suffire à éclairer l’assuré sur les risques d’un produit d’investissement (Cass. com., 22 mai 2013 et 18 juin 2013).

Conséquences du manquement

En l’absence d’exécution de cette obligation d’information, la banque est tenue à réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance. Ce préjudice est évalué à la mesure de la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. La responsabilité administrative du PSI peut également être engagée devant la Commission des sanctions de l’AMF, avec des montants de sanction parfois considérables.

Le devoir de mise en garde pour les produits spéculatifs

Distinction entre risque et spéculation

Le droit des marchés financiers opère une distinction essentielle entre le simple risque inhérent à tout investissement et la spéculation véritable. Comme le rappelait un arrêt de la Chambre commerciale du 28 janvier 2014, « le banquier prestataire de services d’investissement n’est pas tenu d’un devoir de mise en garde à l’égard de son client, même non averti, s’il lui propose des produits financiers qui ne présentent aucun caractère spéculatif, peu important leur soumission à la variabilité des marchés financiers. »

Les opérations spéculatives sont définies comme des « opérations motivées par l’espoir d’une plus-value rapide et sans contrepartie directe dans la sphère réelle de l’économie ». Selon cette définition, des OPCVM ou des fonds communs de placement ne sont généralement pas considérés comme spéculatifs. Seules les opérations spéculatives sur les marchés à terme entrent clairement dans cette catégorie, bien que certaines opérations de prise ferme puissent également être concernées.

La qualité d’averti ou de non-averti

La preuve du caractère non averti de l’emprunteur est relativement facile à rapporter. L’investisseur averti doit avoir la capacité d’appréhender :

  • La nature du produit et son type
  • Les risques associés, notamment en cas d’investissement participatif ou de financement participatif (crowdfunding)
  • L’opportunité de l’opération dans le cadre de la gestion de son portefeuille

La jurisprudence précise que la qualité d’averti ne peut être établie par simple déduction ou présomption tirée des qualités professionnelles de l’assuré. Une connaissance spécifique des opérations en cause est nécessaire, ce qui différencie souvent les personnes morales des particuliers en tant qu’investisseurs.

Lorsque le produit est spéculatif et le client non averti, le devoir de mise en garde s’impose. L’intermédiaire qui commercialise de tels produits doit alerter explicitement sur les risques encourus, une obligation particulièrement importante pour les plateformes de crowdfunding agissant en intermédiation.

L’obligation de profilage et d’adéquation des services

L’article L. 533-13 du CMF impose au PSI deux séries d’obligations majeures :

  1. Une obligation de connaissance et de profilage du client
  2. Une obligation de vérification du caractère adapté ou adéquat du produit ou service proposé

Ces obligations s’inscrivent dans le cadre plus large de la directive européenne MIF et de son application en droit français, notamment via l’article 131-1 du règlement général de l’AMF.

La catégorisation des clients

Le PSI doit catégoriser ses clients en distinguant les clients professionnels et non professionnels. Cette classification, conforme aux exigences de l’Union européenne, détermine le niveau de protection accordé et influence directement la procédure d’évaluation de l’adéquation des services proposés.

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’AMF ont publié des recommandations détaillées sur les informations à recueillir (Position AMF n° 2013-02 et Recommandation ACP 2013-R-01). Le client peut se prévaloir de la méconnaissance de ces règles pour établir le défaut d’adéquation des services d’investissement proposés par rapport à sa situation. Cette évaluation fait partie des compétences essentielles que doivent maîtriser les responsables de la conformité des établissements financiers.

La preuve des diligences accomplies

Les PSI doivent se préconstituer la preuve de leurs diligences en matière de profilage et d’adéquation. En cas de contentieux, il leur incombera de démontrer qu’ils ont satisfait à leurs obligations, notamment en conservant la trace des questionnaires et formulaires utilisés pour évaluer l’honorabilité et la compétence du client.

Un dossier complet doit être constitué pour chaque client, comprenant les éléments relatifs à sa situation financière, ses objectifs d’investissement et son expérience. Cette exigence de documentation est particulièrement importante lorsque le PSI gère un portefeuille pour le compte de tiers ou fournit des services aux investisseurs portant sur des instruments financiers complexes.

Le préjudice découlant d’un manquement à ces obligations résulte généralement de la perte d’une chance d’avoir pu, par un investissement plus judicieux ou une orientation moins risquée, éviter la moins-value subie sur l’investissement.

Sources

  • LEGEAIS Dominique, « Responsabilité de la banque et ingénierie financière », JurisClasseur Commercial, Fasc. 346-1, 14 avril 2015
  • Arrêt « Buon », Cass. com., 5 nov. 1991, Bull. civ. 1991, IV, n° 327
  • Cass. com., 24 juin 2008, RD bancaire et fin. 2008, n° 6, p. 20
  • Cass. com., 28 janv. 2014, n° 12-29.204, JurisData n° 2014-001041
  • Code monétaire et financier, articles L. 533-12 et L. 533-13
  • Règlement général de l’Autorité des marchés financiers, article L. 314-11
  • Position AMF n° 2013-02 et Recommandation ACP 2013-R-01
  • Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers (MIF II)
  • Règlement (UE) n° 600/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers
  • Autorité européenne des marchés financiers, Guidelines on certain aspects of the MiFID II suitability requirements, 6 novembre 2018

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