Le droit français prévoit deux régimes de responsabilité sans faute en matière de justice. L’un s’applique aux collaborateurs du service public. L’autre concerne les tiers. Ces mécanismes complètent le régime de responsabilité pour faute applicable aux usagers.
La responsabilité envers les collaborateurs du service public
Le principe du risque professionnel
Cette responsabilité repose sur la théorie du risque professionnel. L’État garantit ses collaborateurs contre les risques liés à leur participation au service public.
Ce principe existe depuis longtemps. L’arrêt Cames (CE, 21 juin 1895) l’a établi pour les collaborateurs permanents de l’Administration. L’arrêt Giry (Civ. 2e, 23 novembre 1956) l’a appliqué aux collaborateurs occasionnels.
Le préjudice doit être « anormal, spécial et d’une certaine gravité » pour être indemnisé.
Les collaborateurs permanents
Les experts désignés par un tribunal entrent dans cette catégorie. Le Conseil d’État a reconnu leur droit à indemnisation lorsque leur rémunération n’est pas assurée par la partie condamnée aux dépens (CE, 26 février 1971).
La Cour de cassation adopte une position différente. Elle exige la preuve d’une faute du service de justice pour indemniser l’expert impayé (Civ. 1re, 21 décembre 1987).
Les mandataires judiciaires
La Cour de cassation a clarifié leur situation. Les mandataires judiciaires sont des collaborateurs du service public de la justice.
Un mandataire victime d’une non-désignation systématique peut obtenir réparation sans prouver de faute. Il doit démontrer un préjudice anormal, spécial et d’une certaine gravité (Civ. 1re, 30 janvier 1996).
Cette jurisprudence a été confirmée en 2006, bien que le préjudice n’ait pas été retenu dans ce cas précis (Civ. 1re, 14 février 2006).
Les avocats : une situation particulière
L’avocat défendant une partie n’est pas considéré comme un collaborateur du service public. Il ne bénéficie pas de ce régime de responsabilité sans faute (Civ. 1re, 13 octobre 1998).
Il doit invoquer l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire et prouver une faute lourde ou un déni de justice.
Protection européenne des huissiers
La Cour européenne a renforcé la protection des huissiers de justice. Dans l’arrêt Pini contre Roumanie (22 juin 2004), elle affirme que les huissiers sont « un élément essentiel de l’État de droit ».
Un huissier séquestré pendant l’exécution d’une décision de justice peut engager la responsabilité de l’État. Celui-ci doit garantir la sécurité des auxiliaires de justice dans l’exercice de leurs fonctions.
La responsabilité envers les tiers
Un régime favorable mais restrictif
Le tiers au service public de la justice bénéficie d’un régime de responsabilité sans faute. Cette responsabilité repose sur le risque anormal et le préjudice exceptionnel.
Ce régime est plus favorable que celui des usagers, qui doivent prouver une faute lourde ou un déni de justice.
Définition restrictive du tiers
La jurisprudence définit strictement la notion de tiers. Est considérée comme tiers la personne totalement étrangère au service public de la justice.
Une personne blessée lors d’une opération de police judiciaire, sans lien avec cette opération, est un tiers (Civ. 1re, 10 juin 1986).
En revanche, la personne concernée par une procédure, même sans y être formellement partie, est qualifiée d’usager (Civ. 1re, 25 janvier 2005).
Cas d’application reconnus
La responsabilité sans faute a été retenue dans plusieurs situations :
- Blessure d’un passant par une balle perdue lors d’une opération de police judiciaire
- Dommage subi par le propriétaire de biens saisis
- Préjudice causé par un mineur délinquant placé chez ses grands-parents (CE, 26 juillet 2007)
Dans ce dernier cas, le Conseil d’État a reconnu que le placement d’un mineur délinquant crée « un risque spécial pour les tiers ».
Limites jurisprudentielles
Les mesures de libération n’engagent pas automatiquement la responsabilité de l’État.
Le Conseil d’État a jugé que « ni les décrets de grâce collective, ni les mesures de réduction de peine n’engagent, en l’absence de faute, la responsabilité de l’État » (CE, 15 février 2006).
Pour obtenir réparation, le tiers doit démontrer le caractère anormal et spécial du préjudice subi.
L’articulation avec les autres régimes
Ces régimes de responsabilité sans faute complètent le système général.
La qualification préalable est essentielle. Avant d’agir, déterminez votre statut : usager, collaborateur ou tiers.
Cette qualification conditionne le régime applicable et donc vos chances de succès.
Les collaborateurs et tiers bénéficient d’une présomption favorable. Les usagers doivent prouver une faute lourde ou un déni de justice.
Notre cabinet peut vous aider à déterminer votre statut exact face au service public de la justice. Cette première étape est cruciale pour choisir la stratégie juridique adaptée à votre situation.
Sources
- Code de l’organisation judiciaire, articles L. 141-1 à L. 141-3
- Arrêt Giry de la Cour de cassation du 23 novembre 1956
- Arrêt du Conseil d’État du 26 juillet 2007 sur le « risque spécial »