Jusqu’aux années 1970, l’assurance-crédit souffrait en France d’une situation juridique incertaine. Le droit européen a brisé ces frontières artificielles, permettant son développement comme véritable contrat d’assurance. Comment cette évolution s’est-elle produite? Quelles en sont les implications pour les entreprises?
La compétence communautaire en matière d’assurance-crédit
Le Traité de l’Union européenne attribue explicitement des compétences spécifiques en matière de crédit et d’assurance-crédit. Les articles 112 et 113 relatifs à la politique commerciale commune en constituent le socle juridique.
L’article 113 précise que « la politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes notamment en ce qui concerne […] la politique d’exportation ainsi que les mesures de défense commerciale« . Cette base légale a permis d’harmoniser des dispositions nationales disparates.
Les étapes de l’harmonisation européenne
La directive du 24 juillet 1973 : première ouverture
La directive CEE du 24 juillet 1973 marque le premier pas décisif. Elle autorise les assureurs à s’établir dans n’importe quel pays de l’Union, sous certaines conditions. Cette directive rompt avec le cloisonnement antérieur qui réservait certaines activités aux banques ou aux assureurs selon les pays.
L’avis de la CJCE du 11 novembre 1975 : compétence exclusive
La Cour de Justice des Communautés Européennes renforce cette orientation dans son avis n°1/75 du 11 novembre 1975. Elle affirme que « le domaine de la politique commerciale commune, et plus particulièrement celui de la politique d’exportation, englobe nécessairement les régimes d’aide à l’exportation » et relève de la compétence exclusive communautaire.
Les États membres ne peuvent donc intervenir qu’après accord explicite de la Communauté.
La directive 87/343 du 22 juin 1987 : reconnaissance définitive
Cette directive constitue une avancée majeure pour l’assurance-crédit. Malgré des réserves initiales sur sa compatibilité avec les principes communautaires, elle établit un cadre harmonisé pour cette activité.
La directive du 22 juin 1988 : libre prestation de services
La directive n°88/357/CEE simplifie les règles permettant aux entreprises d’opérer à l’étranger. Elle classe l’assurance-crédit et l’assurance caution dans la catégorie des « grands risques » lorsque le souscripteur exerce une activité professionnelle et que le risque se rapporte à cette activité.
Conséquences pratiques pour les assureurs et les assurés
La libre prestation de services
Les directives européennes instaurent la libre prestation de services, permettant aux assureurs d’un État membre de proposer leurs services dans un autre État membre sans y être établis. L’article L.112-7 du Code des assurances oblige désormais l’assureur à informer le souscripteur, avant tout engagement, du nom de l’État membre où est situé l’établissement contractant.
La « licence unique » et le principe du home country contrat
Les directives des 18 juin et 10 novembre 1992 instituent la « licence unique » reposant sur le principe du home country contrat. Tout assureur peut proposer des contrats d’assurance à partir de l’État membre où se trouve son siège social. Cette reconnaissance implicite a permis aux assureurs de pratiquer l’assurance-crédit dans toute l’Union.
L’intégration en droit interne français
Adaptation du Code des assurances
Le Code des assurances a intégré progressivement ces évolutions européennes. La loi n°94-5 du 4 janvier 1994 a introduit plusieurs exceptions, notamment l’article L.111-6, 1°, c, qui classe l’assurance-crédit parmi les grands risques.
L’article L.112-2 impose à l’assureur de remettre une fiche d’information préalable à la conclusion du contrat. L’article L.112-4 détaille les informations minimales que doit contenir la police d’assurance-crédit.
Classification en branches distinctes
L’article R.321-1 du Code des assurances répertorie expressément tant l’assurance-crédit que l’assurance caution parmi les activités qu’une entreprise d’assurance peut pratiquer avec agrément. L’assurance-crédit est classée dans la branche 14, distincte de l’assurance caution (branche 15).
Cette classification distincte confirme définitivement la nature juridique de l’assurance-crédit comme véritable contrat d’assurance.
La qualification de contrat d’assurance n’est pas anodine. Elle implique l’application de règles spécifiques comme l’indemnisation, la subrogation ou les obligations d’information, qui diffèrent des mécanismes bancaires.
Les entreprises utilisant l’assurance-crédit doivent maîtriser ce cadre juridique pour optimiser leur protection. Un conseil juridique spécialisé permet d’identifier les clauses essentielles et d’éviter les pièges contractuels dans un domaine où les enjeux financiers peuvent être considérables.
Sources
- Directive CEE du 24 juillet 1973
- Avis n°1/75 de la CJCE du 11 novembre 1975 (Rec. CJCE 1975, I, p. 1355)
- Directive 87/343 du 22 juin 1987 (JOCE n° L 185, 4 juill. 1987)
- Directive n°88/357/CEE du 22 juin 1988 (JOCE n° L 172, 4 juill. 1988)
- Code des assurances, articles L.111-6, L.112-2, L.112-4, L.112-7 et R.321-1
- Loi n°94-5 du 4 janvier 1994
- Véronique Nicolas, « Assurance-crédit interne et à l’exportation », JurisClasseur Droit bancaire et financier, Fasc. 800, 31 août 2005