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Le juge de l’exécution a-t-il disparu ? Suite et fin

Table des matières

La cour de cassation confirme, aux termes d’un avis attendu, que le juge de l’exécution demeure compétent pour connaître des contestations des mesures d’exécution forcée mobilières.

La précision était nécessaire après la diffusion d’une circulaire ministérielle fort maladroite, et qui avait donné lieu à d’innombrables complications au sein des juridictions.

Reproduction in extenso de l’arrêt :

Deuxième chambre civile

Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile:

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Chevet, conseiller référendaire , et les conclusions de

M. Adida-Canac, avocat général, entendu en ses observations orales.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les demandes d’avis n° H25-70.003, G25-70.004, J25-70.005 et K25-70.006 sont jointes.

Énoncé de la demande d’avis

2. La Cour de cassation a reçu le 23 janvier 2025, quatre demandes d’avis formées le 20 janvier 2025 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Créteil (tribunal de proximité de Sucy-en-Brie), en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile, à l’occasion de procédures de saisie des rémunérations dont il est saisi.

3. Les demandes, rédigées dans des termes identiques, sont ainsi formulées :

« Quelle est la portée de la décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023 d’abroger une partie de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire (Cons. cons. 17 nov 2023, n°2023-1068 QPC) sur la compétence du juge de l’exécution ?

La décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023 d’abroger une partie de l’article L. 213-6, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire conduit-elle à ce que le juge de l’exécution ne soit plus compétent en matière de saisie des rémunérations, compétence déterminée par l’article L. 213-6 en son alinéa 5 ?

Et, dans l’affirmative, doit-on considérer que la saisie des rémunérations du travail est une action personnelle ou mobilière au sens du tableau IV-li annexé au code de l’organisation judiciaire permettant son traitement par le juge de proximité, sous réserve des seuils de compétence ? »

Examen de la demande d’avis

4. L’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire dispose, dans sa rédaction antérieure au 1er décembre 2024 :

« Le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre.

Le juge de l’exécution connaît, sous la même réserve, de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s’élèvent à l’occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s’y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit ainsi que de la procédure de distribution qui en découle.

Il connaît, sous la même réserve, des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires.

Il connaît de la saisie des rémunérations, à l’exception des demandes ou moyens de défense échappant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

Le juge de l’exécution exerce également les compétences particulières qui lui sont dévolues par le code des procédures civiles d’exécution. »

5. Selon l’article 62 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

6. Par une décision du 17 novembre 2023 (Cons. const., 17 novembre 2023, n° 2023-1068 QPC), le Conseil constitutionnel a dit, dans son dispositif, que les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire sont contraires à la Constitution.

7. La portée de cette décision est susceptible de deux interprétations.

8. Il pourrait s’en déduire, selon une interprétation, qu’il résulte de la décision précitée que, depuis le 1er décembre 2024, le juge de l’exécution n’est plus compétent pour statuer sur les contestations des mesures d’exécution forcée mobilières.

9. Cependant, la réponse de la Cour de cassation à une demande d’avis doit s’inscrire dans sa jurisprudence. Or, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’autorité absolue des décisions du Conseil constitutionnel s’attache non seulement au dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire (Ass. plén., 10 octobre 2001, pourvoi n° 01-84.922, Bull. 2001, Ass. plen., n°11 ; 1ère Civ., 15 décembre 2011, pourvoi n°10-27.473, publié; 2e Civ., 7 février 2019, pourvoi n°17-27.099).

10. Cette jurisprudence de la Cour de cassation découle de celle du Conseil constitutionnel qui juge que l’autorité des décisions visées par cette disposition s’attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même (Cons. const., 16 janvier 1962, n°62-18; Cons. const., 25 février 2022, n° 2021-974 QPC).

11. Le Conseil d’Etat juge également que l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel s’attache au dispositif ainsi qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire (CE 2 mars 2011, n°323830 ; CE, 4 mai 2012, n°337490).

12. Dans les motifs de la décision précitée du 17 novembre 2023, le Conseil constitutionnel relève que la requérante reproche aux dispositions des articles L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, L. 231-1 et L. 233-1 du code des procédures civiles d’exécution de ne pas prévoir, en cas de vente par adjudication faisant suite à une saisie de droits incorporels, la possibilité pour le débiteur de contester devant le juge de l’exécution le montant de leur mise à prix et en déduit que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire (paragraphes 4 et 5).

13. Il énonce qu’en application de l’article L. 231-1 précité, un créancier muni d’un titre exécutoire peut faire procéder à la saisie de droits incorporels dont son débiteur est titulaire ainsi qu’à leur vente forcée, et que les dispositions contestées de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire donnent compétence au juge de l’exécution pour connaître des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée (paragraphes 9 et 10).

14. Il retient qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation, telle qu’elle ressort de l’arrêt de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que le juge de l’exécution n’est pas compétent pour connaître de la contestation du montant de la mise à prix fixé unilatéralement, en cas de vente par adjudication des droits incorporels saisis, par le créancier, et qu’aucune autre disposition ne permet au débiteur de contester ce montant devant le juge judiciaire (paragraphes 11 et 12).

15. Il en déduit, qu’au regard des conséquences significatives qu’est susceptible d’entraîner pour le débiteur la fixation du montant de la mise à prix des droits saisis, il appartient au législateur d’instaurer une voie de recours et qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées sont entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif (paragraphes 13 et 14).

16. Il reporte au 1er décembre 2024 la date de l’abrogation et dit qu’afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er décembre 2024, le débiteur est recevable à contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels saisis devant le juge de l’exécution dans les conditions prévues par le premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire (paragraphes 17 et 18).

17. Le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel et les motifs ainsi rappelés aux paragraphes 12 à 16 qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même conduisent la Cour de cassation à considérer que l’abrogation partielle du premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, limitée aux seuls mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée », n’a de conséquence sur le texte qu’en tant qu’il n’institue pas de recours en contestation de la mise à prix dans le régime de la saisie des droits incorporels et qu’elle n’a, dès lors, pas pour effet de priver le juge de l’exécution de la compétence d’attribution exclusive qu’il tient des dispositions non abrogées de cet alinéa.

18. Il s’ensuit que la Cour de cassation est d’avis que, dans l’attente de l’adoption d’une disposition législative instaurant le recours du débiteur contre la mise à prix en matière de saisie de droits incorporels, le juge de l’exécution demeure compétent, dans les limites de la décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023, en application de l’article L. 213-6, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction résultant du dispositif de cette décision, pour connaître des contestations des mesures d’exécution forcée mobilières.

19. En outre, la Cour de cassation est d’avis que l’abrogation partielle du premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire est sans incidence sur le cinquième alinéa aux termes duquel le juge de l’exécution connaît de la saisie des rémunérations, à l’exception des demandes ou moyens de défense échappant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, ce dont il résulte que le juge de l’exécution demeure compétent pour statuer sur la demande du créancier et les contestations y afférentes.

20. Les réponses apportées aux deux premières questions rendent sans objet la troisième.

EN CONSÉQUENCE, la Cour :

EST D’AVIS QUE

1°/ dans l’attente de l’adoption d’une disposition législative instaurant le recours du débiteur contre la mise à prix en matière de saisie de droits incorporels, le juge de l’exécution demeure compétent, dans les limites de la décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023, en application de l’article L. 213-6, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction résultant de cette décision, pour connaître des contestations des mesures d’exécution forcée mobilières ;

2°/ l’abrogation partielle du premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire est sans incidence sur le cinquième alinéa aux termes duquel le juge de l’exécution connaît de la saisie des rémunérations, à l’exception des demandes ou moyens de défense échappant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, ce dont il résulte que le juge de l’exécution demeure compétent pour statuer sur la demande du créancier et les contestations y afférentes ;

DIT N’Y AVOIR LIEU A AVIS pour le surplus ;

Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 13 mars 2025, après examen de la demande d’avis lors de la séance du 12 mars 2025 où étaient présents, conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire : Mme Martine!, président, Mme Chevet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mme Grandemange,

M. Delbano, Mme Vendryes, Mme Gaillard, M. Waguette, conseillers, Mme Bohnert, M. Cardini, Mme Techer, Mme Latreille, Mme Bonnet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, Mme Thomas, greffier de chambre.

Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre.

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