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Les formes d’abus de position dominante : pratiques interdites et risques juridiques

Table des matières

L’abus de position dominante représente une infraction majeure au droit de la concurrence. Les sanctions peuvent atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise fautive. Les exemples récents concernent des acteurs variés: Google (2,4 milliards d’euros), EDF (1,8 milliard d’euros), ou encore Intel (1,06 milliard d’euros).

Les autorités distinguent deux grandes catégories d’abus: les abus d’exclusion et les abus d’exploitation. Les premiers visent à évincer des concurrents. Les seconds cherchent à tirer profit de la position dominante au détriment des partenaires commerciaux. Cette distinction détermine l’analyse des autorités de concurrence et les stratégies de défense.

Voyons les principales pratiques condamnées et comment les entreprises peuvent évaluer leurs risques juridiques.

Les abus d’exclusion: pratiques visant à éliminer les concurrents

L’abus d’exclusion vise les comportements d’une entreprise dominante qui influencent la structure d’un marché déjà fragilisé par sa présence. Ces pratiques font obstacle au maintien ou au développement de la concurrence par des moyens différents d’une compétition normale.

Les exclusivités commerciales imposées aux partenaires

Un accord d’exclusivité n’est pas abusif en soi. Sa qualification dépend de plusieurs facteurs:

  • Sa durée
  • Sa portée
  • Les conditions de résiliation
  • Le contexte du marché

Les autorités analysent si l’exclusivité verrouille le marché. Une pratique simple peut devenir illicite quand elle émane d’une entreprise dominante.

Les accords d’achat exclusif

Les engagements d’approvisionnement exclusif contraignent un acheteur à s’approvisionner uniquement auprès de l’entreprise dominante.

Dans l’arrêt Hoffmann-La Roche (1979), la Cour de justice a jugé que « le fait de lier des acheteurs par une obligation de s’approvisionner pour la totalité ou une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de l’entreprise dominante constitue une exploitation abusive ».

Ces pratiques empêchent les acheteurs de diversifier leurs sources d’approvisionnement et barrent l’accès au marché aux autres producteurs.

Les remises de fidélité accompagnent souvent ces accords exclusifs. Elles offrent une réduction tarifaire en contrepartie d’un approvisionnement exclusif. L’Autorité de la concurrence a condamné des pratiques similaires dans le secteur de la distribution de presse (décision 09-D-04).

L’exclusivité peut aussi résulter de mesures de surveillance, menaces ou représailles. L’Autorité a ainsi sanctionné un fabricant qui avait imposé aux revendeurs de pratiquer des prix imposés sous peine de mesures de rétorsion (décision 17-D-02).

Les ventes liées et ventes groupées

Ces pratiques consistent à subordonner la vente d’un produit à l’achat d’un autre produit distinct. L’article 102 du TFUE interdit de « subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation de prestations supplémentaires qui n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats ».

Pour qu’une vente liée constitue un abus, quatre conditions doivent être réunies:

  1. L’entreprise doit être dominante sur le marché du produit liant
  2. Les produits liant et lié doivent être deux produits distincts
  3. L’entreprise ne permet pas d’obtenir le produit liant sans le produit lié
  4. La pratique doit restreindre la concurrence

La Commission européenne a sanctionné Microsoft pour avoir intégré son navigateur Internet Explorer dans Windows. Cette pratique permettait au navigateur de bénéficier de l’omniprésence du système d’exploitation.

Les pratiques tarifaires abusives

Les prix prédateurs

La prédation consiste à vendre à perte pour éliminer des concurrents. L’entreprise dominante fixe volontairement ses prix à un niveau qui lui fait subir des pertes à court terme. Son objectif: évincer les concurrents puis augmenter ses prix une fois seule sur le marché.

Pour identifier un prix prédateur, les autorités comparent le prix pratiqué aux coûts de l’entreprise:

  • Zone noire: prix inférieurs aux coûts évitables moyens – présumés abusifs
  • Zone grise: prix inférieurs aux coûts totaux mais supérieurs aux coûts variables – abusifs s’ils s’inscrivent dans un plan d’éviction
  • Zone blanche: prix supérieurs aux coûts totaux moyens – présumés licites

La prédation n’est économiquement rationnelle que si l’entreprise peut récupérer ses pertes ultérieurement.

Les prix discriminatoires

La discrimination tarifaire consiste à pratiquer des prix différents à l’égard d’acheteurs se trouvant dans des situations équivalentes. Cette pratique devient abusive quand elle émane d’une entreprise dominante et vise à fausser la concurrence.

Un cas emblématique concerne la différenciation entre appels « on net » (au sein du même réseau) et « off net » (vers d’autres réseaux) dans la téléphonie mobile. L’Autorité a sanctionné ces pratiques car elles renforçaient « l’effet club » des grands opérateurs et désavantageaient les petits concurrents.

Le ciseau tarifaire

Ce mécanisme concerne les entreprises opérant à la fois sur un marché amont et un marché aval. L’entreprise dominante fixe:

  • Un prix élevé sur le marché amont où elle fournit ses concurrents
  • Un prix bas sur le marché aval où elle les concurrence

Résultat: les concurrents ne peuvent être rentables même s’ils sont aussi efficaces.

L’Autorité a par exemple condamné France Télécom pour avoir pratiqué des tarifs de détail inférieurs aux prix des offres de réseau nécessaires à l’élaboration de ces offres (décision 09-D-24).

Les refus de relations commerciales

Le refus de vente

Une entreprise dominante peut refuser de vendre dans certaines circonstances. Mais ce refus devient abusif s’il vise à éliminer un concurrent et renforcer sa position dominante.

Le refus est particulièrement problématique quand il concerne un produit indispensable à l’exercice d’une activité concurrentielle. L’Autorité a sanctionné un fabricant qui refusait de vendre à un concurrent un composant qu’il était le seul à fabriquer (décision 10-D-39).

Le refus d’accès aux infrastructures essentielles

Une infrastructure est « essentielle » quand:

  1. Elle ne peut être reproduite dans des conditions raisonnables
  2. Son accès est refusé ou restreint
  3. L’accès est techniquement possible
  4. L’accès est indispensable pour exercer une activité concurrentielle

Des exemples typiques incluent un port maritime, un réseau ferroviaire ou une base de données critique.

L’entreprise qui gère une telle infrastructure doit y accorder un accès à des conditions transparentes et non discriminatoires.

La rupture abusive de relations commerciales

La rupture d’un contrat relève normalement du contentieux commercial. Mais elle devient un abus de position dominante si elle a un objet ou des effets anticoncurrentiels.

Le Conseil de la concurrence a sanctionné une pratique qui avait entraîné la disparition d’un revendeur et déstabilisé un marché aval (décision 04-D-26).

Autres pratiques d’exclusion

La rétention d’informations

L’Autorité a sanctionné des pratiques de communication tardive, imprécise ou incomplète d’informations à des concurrents. Par exemple, TDF a été condamnée pour avoir fourni tardivement des informations indispensables à ses concurrents lors d’un appel d’offres (décision 15-D-10).

Cette pratique crée une asymétrie d’information qui désavantage les concurrents.

Le dénigrement des concurrents

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur un concurrent. Pour être qualifié d’abus, il doit:

  • Émaner d’une entreprise dominante
  • Viser à exclure un concurrent
  • Être fondé sur des assertions non vérifiées

L’Autorité a condamné des laboratoires pharmaceutiques qui instillaient des doutes sur la qualité des médicaments génériques concurrents (décision 13-D-11).

Les abus d’exploitation: pratiques visant à tirer profit d’une position dominante

L’abus d’exploitation intervient lorsqu’une entreprise dominante utilise son pouvoir « pour obtenir des avantages de transactions qu’elle n’aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace » (CJCE, United Brands, 1978).

Les pratiques tarifaires excessives

Les prix excessivement élevés

Un prix excessif est « sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie ». La preuve peut s’établir de deux manières:

  • Par comparaison avec des situations de marché équivalentes
  • Par analyse de la disproportion entre le prix de vente et les coûts de production

L’Autorité a condamné France Télécom pour avoir maintenu un tarif des liaisons entre La Réunion et la métropole faisant apparaître une « disproportion manifeste » entre le prix et la valeur du service (décision 09-D-24).

Les prix imposés aux revendeurs

L’Autorité a sanctionné un fabricant de boules de pétanque qui imposait des prix de revente à ses distributeurs. Cette pratique privait les revendeurs « d’un vecteur essentiel de dynamisation de leurs ventes » et les consommateurs de la concurrence tarifaire entre revendeurs (décision 17-D-02).

Les conditions contractuelles déséquilibrées

Les clauses abusives

Certaines clauses contractuelles peuvent constituer des abus d’exploitation. Par exemple, une clause de priorité qui oblige un partenaire à donner préférence à l’entreprise dominante à conditions égales. Cette clause organise une asymétrie dans la négociation et permet de limiter artificiellement la concurrence.

Les discriminations tarifaires

Les pratiques discriminatoires peuvent aussi relever de l’abus d’exploitation lorsqu’elles désavantagent certains clients dans la concurrence sur leur propre marché.

L’Autorité considère que l’entreprise dominante porte alors atteinte au bon fonctionnement des marchés au-delà de son seul intérêt (décision 10-D-30).

La nouvelle approche des autorités de concurrence

La doctrine économique a influencé la pratique des autorités de concurrence. Une « nouvelle approche » met l’accent sur les effets réels des pratiques plutôt que sur leur qualification formelle.

L’évolution vers une analyse économique

La Commission européenne et l’Autorité de la concurrence analysent désormais:

  • Les effets concrets des pratiques sur la concurrence
  • Leur impact sur le bien-être des consommateurs
  • Les gains d’efficience éventuels

Cette approche permet une qualification plus nuancée des comportements.

Les possibilités de justification objective

Deux types de justifications peuvent être admis:

  1. La nécessité objective: le comportement est objectivement nécessaire
  2. Les gains d’efficience: la pratique produit des gains d’efficience qui l’emportent sur les effets anticoncurrentiels

L’article L. 420-4, III, du code de commerce prévoit désormais que les pratiques peuvent être justifiées « par des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qui réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte ».

Cette évolution offre une marge de manœuvre aux entreprises dominantes pour justifier certaines pratiques.

Comment se prémunir contre les risques juridiques?

Face à la complexité des règles et à la sévérité des sanctions, les entreprises en position dominante doivent adopter une approche préventive.

La première étape consiste à déterminer si votre entreprise occupe une position dominante sur un marché. Si tel est le cas, certaines pratiques commerciales habituelles peuvent devenir risquées. Une vigilance particulière s’impose pour:

  • Les politiques tarifaires (remises, prix différenciés)
  • Les clauses d’exclusivité
  • Les refus de vente
  • La communication commerciale (risque de dénigrement)

Une analyse régulière de vos pratiques commerciales à l’aune du droit de la concurrence vous permettra d’identifier et de corriger les comportements potentiellement abusifs. Notre équipe d’avocats expert en droit de la concurrence peut vous accompagner dans cette démarche et sécuriser votre stratégie commerciale. N’hésitez pas à nous contacter pour une évaluation personnalisée de votre situation.

Sources

  • Code de commerce, article L. 420-2
  • Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, article 102
  • Décisions de l’Autorité de la concurrence
  • Jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne

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