Les transactions commerciales comportent un risque permanent : l’insolvabilité du débiteur. Le ducroire bancaire, mécanisme de garantie sous-estimé, offre une protection précieuse contre ce risque. Mais cette sécurité n’est pas sans conditions ni limites.
La notion d’insolvabilité dans le ducroire
L’insolvabilité constitue le cœur du ducroire bancaire. Contrairement aux idées reçues, cette notion dépasse la simple faillite juridiquement constatée.
La jurisprudence a établi ce principe depuis longtemps. Un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 27 novembre 1869 précisait déjà que « la charge du risque embrasse le défaut de paiement aussi bien que l’insolvabilité » (DP 1870, 2, p. 118).
Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé cette position dans deux arrêts majeurs :
- « L’obligation du commissionnaire ducroire ne se limite pas à la solvabilité du tiers, sauf convention contraire » (Cass. com., 6 janv. 1981, n° 1981-700106)
- « À défaut de stipulation contraire, fût-elle implicite, la clause de ducroire garantit le défaut de paiement à l’échéance par un tiers et non la solvabilité de celui-ci » (Cass. com., 22 oct. 1996, n° 1996-003944)
En pratique, les parties peuvent définir contractuellement l’insolvabilité. Dans l’escompte en ducroire, on subordonne parfois la mise en œuvre de la garantie au constat d’une situation financière obérée (PV de carence, redressement judiciaire). Pour un crédit documentaire irrévocable, c’est l’absence de provision sur le compte qui caractérise la défaillance.
Un banquier est-il alors obligé de payer en toutes circonstances ? Non.
L’impact de la force majeure sur l’obligation de garantie
La force majeure libère-t-elle le ducroire ? Question controversée.
La jurisprudence tend vers l’obligation de garantie même en cas de force majeure. Plusieurs décisions l’attestent, notamment Cass. req., 6 mars 1935 (S. 1935, 1, p. 210) et Cass. com., 6 janv. 1981 (JCP G 1982, II, 19829).
La doctrine se divise. Collard, Dutilleut et Delebecque (Contrats civils et commerciaux, 2002) estiment que le ducroire doit garantie même en cas de force majeure. D’autres comme Ripert et Roblot considèrent que la force majeure exonère le garant.
Il convient toutefois de noter que les parties peuvent stipuler contractuellement l’exclusion de la force majeure. Une clause bien rédigée peut protéger efficacement le banquier ducroire.
Les cas d’exonération de la responsabilité de la banque
Trois situations dispensent le banquier ducroire d’exécuter son obligation.
La faute du créancier
Le comportement fautif du créancier s’apprécie par rapport à ses relations avec le débiteur et à la convention de garantie.
Dans l’escompte en ducroire, si le remettant n’a pas exécuté ses obligations (livraison, prestation), il perd le bénéfice du ducroire. « L’escompte à forfait ne prive pas le banquier de ses recours contre un client qui lui aurait remis du papier creux« , soulignent Ferronnière et de Chillaz (Les opérations de banque, p. 255).
Pour le crédit documentaire irrévocable, le principe d’autonomie de l’engagement bancaire cède si les documents présentés sont irréguliers. Dans le système de paiement par carte, le non-respect des contrôles et formalités par le commerçant entraîne la perte de garantie.
Une méconnaissance ou négligence de ces aspects peut transformer une garantie supposée en litige coûteux.
La fraude du créancier
La fraude du bénéficiaire libère également le banquier ducroire. Un vendeur qui créerait des factures fictives perdrait le bénéfice de la garantie.
Pour le crédit documentaire irrévocable, la fraude peut prendre diverses formes : documents falsifiés, émission par une personne sans qualité, ou marchandises viciées. Dans ce cas, le principe d’autonomie s’efface devant la fraude caractérisée.
Dans le système des cartes de paiement, fractionner artificiellement le prix de vente pour bénéficier pleinement de la garantie constitue une fraude qui autorise la banque à refuser sa garantie.
La compensation
La compensation constitue un moyen d’extinction des obligations réciproques qui libère le ducroire. Doctrine et jurisprudence s’accordent sur ce point, comme l’illustre le jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 24 mars 1904 (DP 1905, 5, p. 12).
Cependant, si le bénéficiaire peut invoquer l’inopposabilité des exceptions (engagement bancaire autonome), l’exception de compensation ne fait pas obstacle à l’exécution de la garantie.
En matière de crédit documentaire, la question divise. Le Tribunal de commerce de Bruxelles (18 avril 1985) a admis la compensation, tandis que le Tribunal de Genève (3 décembre 1987) l’a rejetée.
Les recours possibles de la banque
L’obligation ducroire disparaît quand la créance est inexistante ou éteinte, faute de cause.
Dans une opération d’escompte en ducroire, la banque retrouve son recours contre l’endosseur. Dans les autres cas, l’établissement bancaire peut refuser l’exécution si possible, ou exercer une action en remboursement s’il a déjà payé.
Le juge conserve néanmoins un pouvoir souverain d’appréciation. Dans un arrêt de la Cour d’appel de Riom du 11 juillet 2012 (n° 11/02342), les juges ont examiné minutieusement les conditions de cessation de la garantie ducroire pour déterminer si une faute était caractérisée.
Un conseil avisé reste indispensable pour structurer correctement une opération ducroire, tant pour le banquier que pour le bénéficiaire. Les aspects techniques et juridiques entremêlés nécessitent une expertise pointue pour éviter que la garantie ne devienne illusoire.
Le cabinet reste à disposition pour analyser vos contrats de ducroire et sécuriser vos transactions commerciales garanties.
Sources
- Code monétaire et financier, articles L. 313-1, L. 313-23, L. 313-24 et L. 313-29
- Cour de cassation, chambre commerciale, 6 janvier 1981, n° 1981-700106
- Cour de cassation, chambre commerciale, 22 octobre 1996, n° 1996-003944
- Cour d’appel de Toulouse, 27 novembre 1869, DP 1870, 2, p. 118
- Cour d’appel de Riom, chambre commerciale, 11 juillet 2012, n° 11/02342
- Ferronnière J. et de Chillaz E., Les opérations de banque, Dalloz, 6e édition, 1980
- Collard Dutilleut F. et Delebecque Ph., Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 6e édition, 2002
- Ripert G. et Roblot R., Traité élémentaire de droit commercial, LGDJ, 9e édition, 1981