Utiliser un chèque pour régler un achat ou recevoir un paiement semble faire partie des gestes courants. Pourtant, derrière cette apparente simplicité se cachent des règles juridiques précises. Pouvez-vous refuser un paiement par chèque ? Que signifie réellement le fait de « remettre » un chèque ? Quelles sont les obligations de votre banque lorsqu’un chèque est présenté sur votre compte ? Et que faire en cas d’opposition ?
Cet article se penche sur les aspects pratiques du paiement par chèque, en clarifiant les droits et obligations de chacun : celui qui paie, celui qui reçoit, et la banque qui traite l’opération. Une bonne compréhension de ces règles est essentielle pour naviguer sereinement dans vos transactions.
Quand peut-on ou doit-on payer par chèque ?
En règle générale, le choix du moyen de paiement est libre. Un créancier (par exemple, un commerçant) n’est pas obligé d’accepter un paiement par chèque et peut exiger des espèces, qui ont cours légal (sauf accord contractuel spécifique ou s’il est adhérent d’un centre de gestion agréé, auquel cas il doit accepter les chèques).
Cependant, la loi impose l’utilisation d’un moyen de paiement scriptural (chèque, virement, carte bancaire) pour certaines transactions, principalement dans un but de lutte contre la fraude et le blanchiment. Ainsi, selon l’article L.112-6 du Code monétaire et financier et le décret D.112-3, vous ne pouvez pas payer en espèces :
- Une dette supérieure à 1 000 € si vous agissez en tant que professionnel ou si vous avez votre domicile fiscal en France et payez un professionnel.
- Une dette supérieure à 15 000 € si vous n’avez pas votre domicile fiscal en France et n’agissez pas pour des besoins professionnels (le professionnel doit alors relever votre identité et domicile).
- Les salaires supérieurs à un montant mensuel de 1 500 €.
- L’achat de métaux ferreux ou non ferreux (quel que soit le montant, le paiement doit se faire par chèque barré ou virement).
Dans ces cas, le chèque (généralement barré) est l’un des moyens de paiement autorisés.
Une autre règle importante concerne l’identification. Lorsque vous remettez un chèque en paiement, le bénéficiaire est en droit (et a même intérêt à le faire pour sa propre sécurité) de vous demander de justifier de votre identité au moyen d’un document officiel portant votre photographie (carte d’identité, passeport, permis de conduire), comme le prévoit l’article L.131-15 du Code monétaire et financier. S’il ne le fait pas et accepte un chèque qui s’avère volé, sa propre responsabilité pourrait être engagée vis-à-vis du véritable titulaire du compte.
Remettre un chèque ne signifie pas avoir payé
C’est un point juridique fondamental et souvent mal compris : la simple remise d’un chèque, même acceptée par le créancier, ne constitue pas un paiement libératoire. L’article L.131-67 du Code monétaire et financier est très clair : cette remise « n’entraîne pas novation », c’est-à-dire qu’elle ne remplace pas l’ancienne dette par une nouvelle.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour vous ?
- La dette initiale subsiste : Tant que le chèque n’a pas été effectivement encaissé par le bénéficiaire et crédité sur son compte, votre dette envers lui existe toujours. Si le chèque revient impayé (faute de provision, par exemple), le créancier peut toujours vous réclamer le paiement de la dette initiale.
- Les garanties sont maintenues : Toutes les garanties qui étaient attachées à la créance initiale (par exemple, le privilège du vendeur, une caution, une hypothèque) subsistent jusqu’à l’encaissement effectif du chèque.
- Preuve de paiement : Pour prouver que vous avez bien payé votre dette, il ne suffit pas de montrer la souche de votre chéquier. Il faut pouvoir démontrer que le chèque a été débité de votre compte et crédité sur celui du bénéficiaire.
Toutefois, la remise du chèque n’est pas sans effet. Elle est considérée comme un commencement d’exécution du paiement. Cette nuance a son importance. Par exemple, si vous devez payer votre loyer avant le 5 du mois sous peine de voir jouer une clause résolutoire, l’envoi d’un chèque (suffisamment approvisionné) avant cette date peut suffire à paralyser la clause, même si le chèque n’est encaissé que quelques jours plus tard. La jurisprudence considère en effet que le débiteur a manifesté son intention de payer dans les délais. Il en va de même pour le paiement des primes d’assurance pour éviter la suspension de garantie.
Lorsque le chèque sert à payer un autre effet de commerce (comme une lettre de change), des règles spécifiques s’appliquent (articles L.511-40 et L.511-41 du Code de commerce) pour permettre au porteur de l’effet initial de conserver ses recours si le chèque de paiement revient impayé.
La présentation du chèque au paiement : les délais à connaître
Un chèque est dit « payable à vue », ce qui signifie qu’il peut être présenté à l’encaissement dès son émission. La loi fixe cependant un délai de présentation :
- Huit jours pour un chèque émis et payable en France métropolitaine.
- Vingt ou soixante-dix jours pour les chèques émis à l’étranger et payables en France, selon la zone géographique d’émission.
Ce délai court à compter du lendemain du jour indiqué comme date de création sur le chèque (article L.131-32 du Code monétaire et financier).
Quelle est la sanction si ce délai est dépassé ? Elle est en pratique assez limitée. Le chèque reste parfaitement valable et la banque (le tiré) a l’obligation de le payer s’il y a provision, et ce, jusqu’à l’expiration du délai de prescription de l’action en paiement (un an après l’expiration du délai de présentation). Le tireur reste également tenu de maintenir la provision. La principale conséquence d’une présentation tardive est la perte pour le porteur de ses recours dits « cambiaires » contre les éventuels endosseurs (les personnes qui auraient transmis le chèque avant lui). Toutefois, le recours contre le tireur lui-même subsiste, surtout si la provision faisait défaut au départ.
Aujourd’hui, la présentation physique du chèque est devenue rare. Les banques utilisent un système d’échange d’images-chèques dématérialisées (système CORE), régi par des conventions interbancaires, qui accélère le traitement mais ne change rien aux obligations fondamentales des parties.
Les obligations de la banque (tiré) au moment du paiement
Lorsque votre banque reçoit un chèque tiré sur votre compte, elle a plusieurs obligations cruciales.
La vérification du chèque
Avant de payer, la banque doit effectuer un contrôle de la régularité apparente du titre :
- Vérifier la présence des mentions obligatoires.
- Détecter d’éventuelles anomalies visibles (ratures importantes, surcharges suspectes…).
- Surtout, vérifier que la signature figurant sur le chèque correspond bien au spécimen que vous avez déposé à l’ouverture du compte. C’est une obligation essentielle découlant de son devoir de dépositaire des fonds (article 1937 du Code civil et L.131-38 du Code monétaire et financier implicitement). Même avec l’échange d’images-chèques, la banque tirée reste responsable de cette vérification de signature. Si elle paie un chèque dont la signature est manifestement contrefaite, elle engage sa responsabilité vis-à-vis de vous et devra, en principe, recréditer votre compte (sauf si une faute de votre part a facilité la fraude).
- Elle doit aussi s’assurer, si le chèque lui est présenté directement (hors circuit interbancaire), de la qualité et de l’identité du porteur.
L’obligation de payer (si provision)
Si le chèque est régulier et que la provision sur votre compte est suffisante et disponible, la banque doit payer (article L.131-70 du Code monétaire et financier). Un refus de paiement injustifié engagerait sa responsabilité, tant vis-à-vis de vous (le tireur, pour atteinte à votre crédit) que vis-à-vis du porteur du chèque.
Le cas de la provision partielle
Que se passe-t-il si les fonds sur votre compte ne couvrent qu’une partie du montant du chèque ? La banque ne peut pas simplement rejeter le chèque. Le porteur du chèque a le droit d’exiger le paiement partiel, jusqu’à concurrence de la provision disponible. Inversement, la banque a l’obligation de proposer ce paiement partiel au porteur (article L.131-37 du Code monétaire et financier). Si elle refuse ce paiement partiel et rejette le chèque pour insuffisance de provision sans mentionner la partie disponible, elle commet une faute et engage sa responsabilité.
Le paiement des chèques barrés
La quasi-totalité des chéquiers délivrés aujourd’hui contiennent des chèques « barrés ». Le barrement consiste en deux lignes parallèles apposées au recto du chèque. Son but est la sécurité : il interdit que le chèque soit payé en espèces au guichet.
Un chèque barré ne peut être payé qu’à :
- Une autre banque (ou établissement assimilé).
- Un client de la banque tirée elle-même.
Concrètement, cela signifie que le bénéficiaire doit déposer le chèque sur son propre compte bancaire pour en obtenir le paiement via le circuit interbancaire. C’est une mesure qui assure la traçabilité des fonds. Une banque qui paierait un chèque barré en espèces engagerait lourdement sa responsabilité (article L.131-45 du Code monétaire et financier).
Il existe aussi un « barrement spécial », plus rare, où le nom d’une banque spécifique est inscrit entre les barres. Dans ce cas, le chèque ne peut être payé qu’à cette banque désignée (ou à son client).
Situations particulières : l’opposition au paiement
L’une des situations les plus délicates est l’opposition au paiement formée par le tireur. Comme nous l’avons vu dans le premier article, le principe est l’irrévocabilité de l’ordre donné par le chèque. L’opposition est donc une exception très strictement encadrée.
Les seuls motifs valables
L’article L.131-35 du Code monétaire et financier n’autorise l’opposition que dans les cas suivants :
- Perte du chèque.
- Vol du chèque.
- Utilisation frauduleuse du chèque (par exemple, falsification après une remise volontaire, usage par un mandataire sans pouvoir…).
- Ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire à l’encontre du porteur du chèque (pour éviter que les fonds ne lui soient versés au détriment de ses créanciers).
Attention : Tout autre motif est illégal. En particulier, un litige commercial (marchandise non conforme, service mal exécuté…), un désaccord sur le prix, ou le regret d’avoir fait le chèque ne sont absolument pas des motifs valables d’opposition.
La procédure d’opposition
Pour être valable, l’opposition doit être confirmée immédiatement par écrit à la banque, quel que soit le support (lettre, fax, message électronique sécurisé…). Une simple opposition téléphonique ne suffit pas à obliger la banque à refuser le paiement.
Le rôle délicat de la banque
Face à une opposition écrite, la banque a un rôle de contrôle :
- Elle doit vérifier si le motif invoqué par l’opposant figure bien parmi les cas légaux listés ci-dessus.
- Elle n’a pas à vérifier la véracité des faits allégués (ce n’est pas son rôle de juger si le chèque a réellement été volé, par exemple).
- Elle doit informer par écrit l’opposant des sanctions pénales encourues si l’opposition est faite pour un motif illégal.
- Si le motif invoqué n’est pas légal, ou si l’opposition n’est pas confirmée par écrit, la banque doit payer le chèque (si provision). Refuser le paiement dans ce cas constituerait une faute et engagerait sa responsabilité. Si le motif est légal, elle doit refuser le paiement.
Conséquences et mainlevée
Une opposition licite bloque le paiement et la provision correspondante. Si l’opposition est illicite (motif non prévu par la loi ou motif légal invoqué fallacieusement), le bénéficiaire du chèque peut saisir le juge des référés pour obtenir la mainlevée de l’opposition. C’est une procédure rapide qui permet au juge d’ordonner à la banque de payer si l’opposition n’est manifestement pas fondée sur un des cas légaux.
Le paiement par chèque implique donc un ensemble de règles précises pour chaque acteur. Les connaître permet d’éviter bien des désagréments.
Pour une analyse personnalisée de votre cas, notre équipe se tient à votre disposition.
Sources
- Code monétaire et financier (notamment Livre I, Titre I, Chapitre II ; Livre I, Titre III, Chapitre I ; Livre III, Titre I, Chapitre III)
- Code de commerce (articles sur les effets de commerce)
- Code du travail (paiement des salaires)
- Code de procédure civile d’exécution (saisies)
- Code civil (dépôt bancaire)