La probatio diabolica (« preuve du diable ») est une preuve impossible à rapporter. Elle est susceptible d’entraîner un renversement de la charge de la preuve. Ce que la cour d’appel d’Aix-en-Provence semble avoir oublié dans une affaire récente.
La preuve diabolique au cœur d’une saisie-attribution
Une saisie-attribution est pratiquée sur les comptes bancaire de Monsieur X. Celui-ci décide de contester en assignant son créancier devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Marseille.
Le créancier était un organisme de recouvrement qui avait racheté la créance d’une banque. Sa procédure de recouvrement était poursuivie sur le recouvrement sur le fondement d’un acte authentique, c’est-à-dire d’un acte notarié.
Rappelons, à ce stade, qu’un créancier ne peut poursuivre le recouvrement forcé d’une créance qu’à condition de disposer d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible. Cela résulte des dispositions de l’article L. 111-2 du code des procédures civiles d’exécution : « Le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »
Les actes notariés ensuite sont visés à l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution : « 4° Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ; ».
La prescription du titre exécutoire comme enjeu
Lorsque le créancier poursuit le recouvrement sur le fondement d’un acte authentique, le délai de prescription est très court.
En effet, le délai de prescription d’une créance constatée par un acte notariée dépend de sa nature. Dans notre cas, elle consistait dans un prêt immobilier soumis aux dispositions du code de la consommation. Il fallait donc appliquer le délai de prescription biennal de l’article L. 218-2 du code de la consommation.
Le créancier avait donc notifié des actes interruptifs de prescription tous les deux ans. Il espérait ainsi éviter que sa créance ne soit frappée de prescription.
Dans le cadre des débats qui ont suivi l’assignation, Monsieur X a découvert l’existence d’un nouveau commandement de payer. Ce commandement avait été signifié deux ans plus tôt, afin d’interrompre la prescription. Or il avait été signifié à la mauvaise adresse. C’était problématique car à ce moment-là, Monsieur X échangeait avec son créancier par email et téléphone. Pourquoi le créancier n’avait-il pas donné le numéro de téléphone de Monsieur X à son huissier ?
Monsieur X a donc demandé au juge de prononcer la nullité du procès-verbal de signification de ce commandement de payer. Si le tribunal suivait sa demande, alors la chaîne des actes interruptifs de prescription se trouvait privée d’un maillon. La créance s’en trouvait, en bout de course, prescrite.
De la notification de l’appel à la probatio diabolica
Le juge de l’exécution a finalement estimé que la signification du commandement était régulière. Un appel était donc interjeté.
Les débats sont réitérés devant la cour et sont menés jusqu’aux plaidoiries.
Postérieurement aux plaidoiries, la cour d’appel fait parvenir une note aux parties. Elle demande à Monsieur X de se prononcer à propos de la recevabilité de l’appel.
En matière de procédures civiles d’exécution, le délai pour interjeter appel est de 15 jours à compter de la notification de la décision (article R. 121-20 du code des procédures civiles d’exécution). La décision est notifiée par lettre recommandée par le greffe du juge de l’exécution (article R. 121-15 du code des procédures civiles d’exécution).
La cour relève que l’appel a été régularisé postérieurement à l’expiration du délai de 15 jours.
Monsieur X s’en étonne et explique qu’il n’a jamais reçu la notification du jugement. La cour produit alors l’accusé de réception de la notification. La signature qui y figure n’est pas celle de Monsieur X.
Pour le prouver, celui-ci produit des documents sur lesquels apparaît sa signature : contrats, carte d’identité, etc.
La preuve diabolique, ou preuve d’un fait négatif
La cour d’appel rend finalement un arrêt dans lequel elle reconnaît que Monsieur X n’est pas le signataire de l’accusé de réception de la notification du jugement. Elle juge toutefois l’appel irrecevable au visa des dispositions de l’article 670 du code de procédure civile : « La notification est réputée faite à personne lorsque l’avis de réception est signé par son destinataire.
La notification est réputée faite à domicile ou à résidence lorsque l’avis de réception est signé par une personne munie d’un pouvoir à cet effet. »
Elle fait notamment référence au deuxième alinéa en relevant que la lettre recommandée avait été envoyée à la bonne adresse.
La cour en déduit qu’en pareille hypothèse, « la signature figurant sur l’avis de réception d’une lettre recommandée adressée à une personne physique est présumée être jusqu’à preuve contraire celle de son destinataire ou de son mandataire ».
Elle poursuit en expliquant que « Si les copies de pièces de comparaison produites en cours de délibéré par [Monsieur X] démontrent l’absence de similitude de la signature apposée sur l’avis de réception de la notification du jugement entrepris et celle figurant sur ces documents, l’appelant ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, de l’absence de mandat ou de procuration du signataire de cet accusé de réception ».
La cour d’appel demande à Monsieur X de rapporter une preuve négative (une absence de mandat) : c’est la définition exacte de la probatio diabolica.
La présence d’une preuve diabolique a normalement pour effet de renverser la charge de la preuve : c’est ce renversement de la charge de la preuve que la cour d’appel refuse, plaçant Monsieur X dans une impasse probatoire.