Le découvert bancaire, cette ligne rouge qui se dessine sur votre compte, peut sembler simple en apparence. Mais quand passe-t-il du statut de simple facilité de trésorerie à celui de crédit à la consommation, avec toutes les protections juridiques que cela implique? Cet article démêle les subtilités juridiques qui régissent cette pratique bancaire courante.
1. Quand un découvert devient-il un crédit?
Votre banque tolère parfois que votre compte soit à découvert. Cette souplesse a ses limites. Au-delà d’une certaine durée, ce qui semblait être un arrangement temporaire devient un véritable contrat de crédit soumis au Code de la consommation.
Selon l’article L.311-1 du Code de la consommation, un découvert entre dans la définition d’une « opération de crédit » lorsqu’il dépasse certains seuils temporels. Ce basculement n’est pas théorique : il entraîne l’application d’un arsenal juridique protecteur pour l’emprunteur.
2. La définition légale du découvert
Découvert exprès vs découvert tacite
Le Code de la consommation distingue deux types de découverts dans son article L.311-1, 12° et 13° :
- Le découvert exprès (ou « autorisation de découvert ») : c’est un contrat explicite par lequel la banque autorise son client à dépasser le solde disponible, dans une limite convenue.
- Le découvert tacite (ou « dépassement ») : il s’agit d’un découvert accepté implicitement par la banque, sans accord préalable formalisé.
Cette distinction n’est pas cosmétique. Comme nous le verrons, elle détermine partiellement le régime juridique applicable.
Le critère de la durée
La durée constitue le critère central pour déterminer le régime juridique applicable. Le législateur a créé trois catégories temporelles :
- Les découverts de moins d’un mois
- Les découverts entre un et trois mois
- Les découverts supérieurs à trois mois
La durée se calcule à partir du premier jour où le compte devient débiteur de façon continue. Attention toutefois : certaines manipulations comptables visant à interrompre artificiellement cette durée pourraient être sanctionnées par les tribunaux, comme l’a souligné la Cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble, 3 juillet 1996).
3. Le régime applicable selon la durée du découvert
Découverts de moins d’un mois
Les découverts remboursables dans un délai d’un mois sont exclus du champ d’application des dispositions relatives au crédit à la consommation, selon l’article L.312-4, 4° du Code de la consommation.
Pratiquement, cela signifie que ces découverts de courte durée échappent à l’ensemble des protections du crédit à la consommation : pas de délai de réflexion, pas d’obligation d’information standardisée, pas de droit de rétractation.
La banque doit néanmoins respecter ses obligations d’information générale, notamment sur les frais appliqués.
Découverts entre un et trois mois
Les découverts dont la durée se situe entre un et trois mois bénéficient d’un régime hybride. L’article L.312-84 du Code de la consommation précise qu’ils sont soumis à certaines dispositions protectrices, mais pas à toutes.
Parmi les protections applicables, on trouve notamment :
- L’obligation de vérifier la solvabilité de l’emprunteur (L.312-16)
- Les règles relatives aux sanctions en cas de défaillance (L.312-38 et L.312-39)
- Les règles de procédure en cas de litige
En revanche, ils échappent à d’autres obligations comme le formalisme complet du contrat de crédit.
Découverts supérieurs à trois mois
Dès qu’un découvert se prolonge au-delà de trois mois, le régime change radicalement. Il est alors pleinement soumis à l’ensemble des dispositions du crédit à la consommation.
L’article L.312-84 du Code impose alors à la banque de faire une offre de crédit en bonne et forme, avec toutes les mentions obligatoires. À défaut, la jurisprudence est claire : la banque s’expose à la déchéance de son droit aux intérêts (Cass. 1re civ., 26 nov. 2014).
Ce point n’est pas anecdotique : de nombreux contentieux bancaires portent précisément sur cette question.
4. Les obligations d’information spécifiques
Information précontractuelle
Pour les découverts entre un et trois mois, l’article R.312-32 du Code de la consommation impose au prêteur de fournir à l’emprunteur des informations précontractuelles spécifiques.
Ces informations doivent porter sur :
- L’identité et l’adresse du prêteur
- Le type de crédit
- Le montant de l’autorisation
- La durée du contrat
- Le taux débiteur et ses conditions
- Les frais applicables
- Le TAEG (Taux Annuel Effectif Global)
- Les conditions de résiliation
- Les modalités de remboursement
Ces informations doivent être transmises avant la conclusion du contrat, sur un support durable.
Relevé de compte
L’article L.312-88 du Code de la consommation, dans sa version modifiée par l’ordonnance du 4 octobre 2017, oblige la banque à adresser régulièrement à l’emprunteur un relevé de compte contenant des informations précises.
Selon l’article R.312-34, ce relevé doit mentionner :
- La période couverte
- La date et le solde du relevé précédent
- Les opérations effectuées depuis
- Le nouveau solde
- Le taux débiteur appliqué
- Les frais perçus
- Le TAEG (Taux Annuel Effectif Global)
- Le montant minimal à payer pour l’échéance suivante
Cette obligation répond à un objectif de transparence et permet au client de suivre l’évolution de sa situation.
5. Les modalités de résiliation du découvert
Préavis
Pour les autorisations de découvert à durée indéterminée, l’article L.312-91 du Code de la consommation prévoit un mécanisme de résiliation encadré.
La banque peut résilier l’autorisation moyennant un préavis d’au moins deux mois, communiqué sur un support durable (papier ou électronique). Ce délai doit permettre au client de s’organiser pour régulariser sa situation.
Motifs légitimes
La règle du préavis connaît une exception importante : en cas de « motif légitime », la banque peut résilier sans préavis. Elle doit toutefois communiquer les motifs au client, si possible avant la résiliation.
La loi ne définit pas exhaustivement ces motifs légitimes, mais la jurisprudence laisse entendre que l’insolvabilité avérée du client en constitue un. Dans tous les cas, une résiliation abusive pourrait engager la responsabilité civile de la banque.
Les contestations relatives à ces motifs posent une difficulté pratique majeure : elles interviennent généralement après que le découvert a été résilié, plaçant le client dans une situation délicate.
L’assistance d’un avocat spécialisé s’avère souvent nécessaire pour contester efficacement une résiliation abusive. Les délais étant courts et les enjeux importants, une réaction rapide est recommandée dès la notification de la résiliation du découvert.
Le cabinet reste à votre disposition pour analyser votre situation bancaire et déterminer si votre découvert a été géré conformément aux exigences légales. Une première consultation pourrait vous permettre d’identifier d’éventuelles irrégularités susceptibles d’ouvrir droit à des dédommagements.
Sources
- Code de la consommation, articles L.311-1, L.312-4, L.312-16, L.312-38, L.312-39, L.312-84, L.312-88, L.312-91, R.312-32, R.312-34
- Cour de cassation, 1re chambre civile, 26 novembre 2014
- Cour d’appel de Grenoble, 3 juillet 1996
- JurisClasseur Droit bancaire et financier, Fasc. 719 : CRÉDIT À LA CONSOMMATION. – Régime du Code de la consommation, Mise à jour du 25 avril 2023
- Ordonnance n° 2017-1433 du 4 octobre 2017 relative à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier