« `html
Dans les transactions commerciales internationales, le crédit documentaire offre une sécurité précieuse aux parties. Cette technique de paiement repose sur un réseau complexe d’obligations entre acheteur, vendeur et banques. Démêlons ces relations juridiques et leurs implications pratiques.
Relations entre acheteur et vendeur
L’acheteur (donneur d’ordre) s’engage à ouvrir un crédit documentaire au profit du vendeur (bénéficiaire). Cette obligation naît du contrat de vente.
Moment d’ouverture du crédit
Le vendeur a droit à l’ouverture du crédit avant toute livraison. Le Tribunal de commerce de Marseille a clairement établi ce principe (23 février 1948, Droc c/ Sofrancor). Lorsque le contrat prévoit un délai de livraison, l’acheteur doit néanmoins ouvrir le crédit dès le début de cette période.
Conséquences du défaut d’ouverture
Que se passe-t-il si l’acheteur n’ouvre pas le crédit dans les délais prévus? La jurisprudence est sévère. La Cour de cassation (com., 11 février 1980) considère que le contrat ne s’est pas formé faute d’ouverture du crédit dans les délais fixés.
Si le contrat existe déjà, le vendeur peut:
- Invoquer l’exception d’inexécution
- Demander la résolution du contrat
- Réclamer des dommages-intérêts
Les tribunaux reconnaissent presque toujours cette obligation comme essentielle, justifiant la résolution.
Relations entre donneur d’ordre et banquier
Un deuxième niveau de relations se noue entre l’acheteur et sa banque.
Obligations de l’acheteur envers la banque
L’acheteur doit:
- Payer les commissions bancaires
- Constituer des garanties
- Rembourser les avances bancaires
La commission d’ouverture de crédit est exigible dès l’émission de l’accréditif. Elle reste généralement acquise à la banque, même si le crédit n’est pas utilisé.
La banque obtient un gage sur les marchandises grâce aux documents de transport, notamment le connaissement maritime (art. 92 du Code de commerce). Pour les autres modes de transport, des dispositifs spécifiques sont nécessaires.
Obligations de la banque envers l’acheteur
La banque doit:
- Ouvrir le crédit sans retard injustifié
- Vérifier minutieusement la conformité des documents
- Respecter strictement les instructions du donneur d’ordre
Cette vérification des documents est formelle: la banque contrôle leur régularité apparente, sans juger de l’exécution réelle du contrat de vente.
Comme l’a souligné la Cour de cassation (com., 13 juillet 1954): « La banque doit refuser le paiement lorsque les documents ne sont pas strictement conformes aux termes et conditions du crédit ».
Sanctions en cas de manquement de la banque
Si la banque paie avec des documents irréguliers, l’acheteur peut:
- Rejeter les documents
- Refuser de rembourser la banque
- Demander des dommages-intérêts
La jurisprudence permet à l’acheteur de « laisser pour compte » à la banque les marchandises livrées si les documents ne sont pas conformes.
Relations entre banque et bénéficiaire
Ce troisième niveau varie considérablement selon la nature du crédit.
Crédit révocable: absence de lien juridique direct
Dans un crédit révocable, aucun lien de droit ne se forme entre la banque et le vendeur. L’article 8 des Règles et Usances Uniformes (RUU) autorise la banque à modifier ou annuler le crédit à tout moment sans préavis.
Crédit irrévocable: engagement ferme de la banque
À l’inverse, le crédit irrévocable crée un engagement autonome et direct de la banque envers le bénéficiaire. Cet engagement naît de l’accréditif, document par lequel la banque s’oblige directement envers le vendeur (Cass. com., 20 octobre 1953).
Les caractéristiques essentielles de cet engagement sont:
- Son autonomie par rapport au contrat de vente
- Son irrévocabilité jusqu’à échéance
- L’inopposabilité des exceptions tirées des rapports banque-donneur d’ordre
La banque ne peut refuser le paiement en invoquant:
- La faillite du donneur d’ordre (Cass. civ., 26 janvier 1926)
- L’inexécution des obligations de l’acheteur envers elle
- L’inexécution du contrat de vente (Cass. com., 3 avril 1978)
La seule exception: la fraude. La jurisprudence admet que la banque peut refuser l’exécution en cas de fraude certaine (Cass. com., 4 mars 1953), à condition qu’elle affecte le crédit lui-même et non simplement l’exécution du contrat commercial.
Transmission du droit du bénéficiaire
Le bénéficiaire peut-il transférer son droit à un tiers? Oui, mais uniquement si une clause de transfert figure dans l’accréditif (article 48b des RUU).
D’autres mécanismes existent:
- L’ouverture d’un crédit subsidiaire (« adossé »)
- L’endossement de la lettre de change
- La cession du produit du crédit
Quant à la saisie du crédit par le donneur d’ordre, la Cour de cassation s’y oppose fermement (com., 14 octobre 1981), jugeant qu’elle contredirait l’engagement irrévocable.
Le crédit documentaire repose sur un équilibre délicat entre sécurité du paiement et rigueur documentaire. Maîtriser ces relations juridiques croisées évite bien des déconvenues.
Des questions sur votre projet d’exportation ou d’importation? Notre cabinet est spécialisé dans les techniques de paiement international. Une première consultation permet souvent d’identifier les risques spécifiques à votre transaction.
Sources
- Code de commerce, article 92
- Jurisprudence commerciale: Cass. com., 20 octobre 1953; Cass. com., 11 février 1980; Cass. com., 13 juillet 1954; Cass. civ., 26 janvier 1926; Cass. com., 3 avril 1978; Cass. com., 4 mars 1953; Cass. com., 14 octobre 1981
- Règles et Usances Uniformes relatives aux crédits documentaires, publication 600 de la Chambre de Commerce Internationale
- Tribunal de commerce de Marseille, 23 février 1948, Droc c/ Sofrancor
- JurisClasseur Droit bancaire et financier, Fasc. 1080: Crédit documentaire, mis à jour 27 septembre 2015
« `