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La saisie-exécution des navires : procédure, conditions, effets

Table des matières

En droit maritime, la saisie-exécution demeure une mesure redoutée par les armateurs. Contrairement à la saisie conservatoire qui immobilise simplement le navire, la saisie-exécution aboutit à sa vente forcée. Processus complexe et rigide, elle met aux prises créanciers déterminés et propriétaires de navires en difficulté financière.

I. Concept de la saisie-exécution des navires

Définition et objectifs

La saisie-exécution permet au créancier de faire procéder à la vente forcée du navire de son débiteur aux enchères publiques. Elle vise à récupérer une créance impayée par la réalisation du bien. Le navire devient l’instrument de paiement.

Cette procédure est règlementée par le Code des transports (articles L. 5114-23 et suivants) et le Code des procédures civiles d’exécution.

Place dans les procédures d’exécution maritimes

La saisie-exécution s’inscrit parmi les moyens d’exécution forcée en matière maritime. Le professeur Rodière l’avait qualifiée de « mesure extrême, aussi rare que la saisie conservatoire est banale ».

Elle se distingue d’autres mécanismes comme les saisies douanières ou les confiscations pénales qui obéissent à une logique répressive plutôt que recouvratoire.

Comparaison avec la saisie conservatoire

Les différences entre ces deux procédures sont nombreuses.

La saisie conservatoire :

  • Exige une créance « paraissant fondée en son principe »
  • Ne requiert pas de titre exécutoire
  • Immobilise temporairement le navire
  • Constitue un moyen de pression

La saisie-exécution :

  • Nécessite un titre exécutoire
  • Vise la vente forcée du navire
  • Intervient souvent après l’échec d’une saisie conservatoire
  • Représente l’ultime recours du créancier

Notez qu’en pratique, la saisie conservatoire s’avère souvent suffisante pour contraindre le débiteur à payer, vu l’impact économique considérable qu’entraîne l’immobilisation d’un navire.

II. Conditions requises

Nécessité d’un titre exécutoire

Le créancier doit impérativement détenir un titre exécutoire. L’article R. 5114-22 du Code des transports est sans équivoque sur ce point.

Ce titre peut être:

  • Un jugement passé en force de chose jugée
  • Un acte notarié revêtu de la formule exécutoire
  • Une sentence arbitrale exequaturée
  • Un jugement étranger reconnu exécutoire en France

L’usage d’une ordonnance de référé-provision comme fondement d’une saisie-exécution a longtemps été discuté. Des tribunaux admettent désormais cette possibilité, non sans risques pour le créancier.

Caractères de la créance

La créance doit être:

  • Liquide (son montant est déterminé)
  • Exigible (son terme est échu)
  • Certaine (son existence n’est pas contestable)

Un titre exécutoire assure normalement ces caractères.

Attention: une procédure collective ouverte à l’étranger n’est opposable au créancier qu’à compter du jugement d’exequatur, comme l’a rappelé la cour d’appel de Montpellier dans l’affaire du navire « Biladi ».

Conditions tenant au navire

Le navire saisi doit appartenir au débiteur. Cette règle, simple en apparence, se complique avec les montages juridiques courants en droit maritime.

Les « single ship companies » (sociétés à navire unique) posent problème. Le créancier peut croire que l’exploitant du navire en est propriétaire, alors que propriété et exploitation relèvent souvent d’entités distinctes.

La jurisprudence rejette généralement les saisies-exécutions visant des navires n’appartenant pas au débiteur, contrairement à la saisie conservatoire qui admet plus de souplesse.

Exception notable : les créanciers titulaires d’un droit de suite (hypothécaires notamment) peuvent poursuivre la vente forcée du navire même après sa cession à un tiers.

III. Procédure de la saisie-exécution

Commandement de payer préalable

La procédure débute par un commandement de payer signifié :

  • Au propriétaire ou son représentant
  • Au capitaine du navire
  • Au consignataire du navire

Ce commandement doit contenir :

  • La référence au titre exécutoire
  • Le décompte des sommes dues (principal, frais, intérêts)
  • L’avertissement qu’à défaut de paiement sous 24 heures, la vente forcée pourra être poursuivie
  • L’heure précise de la signification
  • L’élection de domicile du créancier

L’omission de ces mentions formelles peut entraîner la nullité de la procédure.

Délai entre commandement et saisie

Un délai de 24 heures doit être respecté entre la notification du commandement et l’établissement du procès-verbal de saisie.

Ce délai, bref mais impératif, vise à laisser au débiteur une dernière chance de s’exécuter. Sa violation entraîne la nullité de la saisie.

Le commandement devient caduc après 10 jours. Une nouvelle signification sera nécessaire passé ce délai.

Procès-verbal de saisie

L’huissier dresse un procès-verbal après s’être rendu à bord du navire. Ce document doit mentionner:

  • Les coordonnées du créancier poursuivant
  • Le titre exécutoire fondant la saisie
  • Le montant de la créance
  • La date du commandement
  • Le tribunal devant lequel la vente sera poursuivie
  • Les caractéristiques du navire (nom, type, jauge, pavillon)
  • L’inventaire détaillé (chaloupes, canots, agrès, apparaux)

L’absence des mentions substantielles peut entraîner la nullité du procès-verbal.

Rôle de l’huissier et désignation du gardien

L’huissier joue un rôle central. Il doit personnellement procéder à la saisie; un clerc même assermenté ne peut le remplacer.

Il désigne un gardien, souvent le capitaine lui-même. Le port autonome ne peut assurer cette fonction, comme l’a jugé le Conseil d’État.

Le gardien doit signer l’acte de saisie. Son rôle est crucial pour prévenir tout préjudice au navire pendant l’immobilisation.

IV. Publicité et inscription

Notification aux autorités portuaires

Le procès-verbal est notifié:

  • Aux services du port où se trouve le navire
  • Au consul du pays dont relève le navire (si pavillon étranger)

Cette notification vise à empêcher matériellement le départ du navire. En pratique, les autorités portuaires sont souvent alertées dès le commandement, pour éviter toute fuite.

Inscription au registre spécial

L’acte de saisie doit être inscrit :

  • Sur le registre tenu par le conservateur des hypothèques maritimes
  • Sur la fiche matricule du navire (si francisé)
  • Sur un fichier spécial (si non francisé)

Cette inscription doit intervenir dans les 7 jours du procès-verbal (délai augmenté à 27 jours dans certains cas).

Depuis le 1er janvier 2022, cette publicité relève des greffiers des tribunaux de commerce, et non plus de l’administration des douanes.

Dénonciation aux créanciers inscrits

Le conservateur délivre un état des inscriptions dans les 10 jours suivant la transcription du procès-verbal.

La saisie est dénoncée aux créanciers inscrits (notamment hypothécaires) dans les 7 jours qui suivent, au domicile élu lors de leur inscription.

Cette dénonciation contient assignation devant le juge et vaut citation à comparaître.

Délais à respecter

Le non-respect des délais de publicité et d’inscription peut rendre la saisie inopposable aux tiers, compromettant gravement son efficacité.

Un propriétaire averti pourrait vendre son navire ou constituer des droits sur celui-ci, au détriment du saisissant négligent.

V. Vente forcée du navire

Organisation par le juge de l’exécution

Le juge de l’exécution organise la vente après avoir vérifié:

  • L’existence du titre exécutoire
  • La régularité de la procédure de saisie
  • Le respect des formalités de publicité

Son jugement organisant la vente est susceptible d’appel.

Fixation des conditions de vente et mise à prix

Le juge fixe :

  • La mise à prix
  • Les conditions de la vente
  • Le cahier des charges (généralement préparé par l’avocat du saisissant)

Il peut différer la date des enchères si la conjoncture lui semble défavorable à l’obtention d’un bon prix.

Publicité de la vente

Les modalités de vente sont publiées:

  • Par extrait dans un journal d’annonces légales
  • Par affiches placées sur le navire, au tribunal, au port
  • À la chambre de commerce, au bureau des douanes

Ces affiches contiennent des mentions précises: poursuivant, titre exécutoire, description du navire, mise à prix…

Un délai de 15 jours doit séparer cette publicité de la vente.

Déroulement des enchères

Les enchères se déroulent :

  • À l’audience des criées du juge de l’exécution
  • Devant un autre tribunal désigné
  • En l’étude d’un notaire ou d’un courtier
  • En tout autre lieu du port

Elles doivent être présentées par un avocat inscrit au barreau compétent.

Le juge constate la vente par un jugement qui met fin à l’instance.

Incidents possibles

Plusieurs incidents peuvent survenir:

  • Absence d’enchère: le juge fixe une nouvelle date avec une mise à prix inférieure
  • Défaut de paiement par l’adjudicataire: la vente est résolue et une procédure de réitération des enchères s’engage
  • Demande en distraction formée par un tiers se prétendant propriétaire

Ces incidents allongent considérablement la procédure.

VI. Conséquences et suites de la vente

Transfert de propriété

L’adjudication transfère la propriété du navire à l’adjudicataire. Ce transfert est immédiat, mais l’adjudicataire doit verser le prix dans les 24 heures.

L’expédition du jugement d’adjudication constitue le titre de vente.

Le débiteur saisi reçoit signification du jugement avec mise en demeure de délivrer le navire.

Purge des privilèges et hypothèques

L’adjudication purge tous les privilèges et hypothèques grevant le navire.

Sur requête de l’adjudicataire, le juge constate cette purge et ordonne la radiation des inscriptions correspondantes.

Aucune inscription nouvelle n’est possible du chef du débiteur saisi, même si le créancier dispose d’un titre antérieur à la saisie.

Distribution du prix

La distribution du prix diffère selon le nombre de créanciers:

  • Créancier unique: le prix lui est simplement remis
  • Pluralité de créanciers: une procédure complexe s’engage

Le juge de l’exécution tente d’abord un arrangement amiable. En cas d’échec, il établit un projet de distribution notifié aux créanciers, qui peuvent le contester dans un délai de 15 jours.

Situation de l’équipage

L’adjudication légitime le licenciement du capitaine. Ce dernier peut obtenir des dommages-intérêts si le nouveau propriétaire ne le maintient pas à son poste.

Les autres membres d’équipage ne sont pas concernés par cette disposition particulière.

Quant aux contrats d’affrètement, l’usage veut qu’on termine au moins le voyage en cours, mais cette pratique n’a pas de caractère obligatoire.

Les salaires impayés bénéficient d’un privilège de premier rang, offrant aux marins une protection relative.

Sources

  • Code des transports, articles L. 5114-23 à L. 5114-29 et R. 5114-20 à R. 5114-46
  • Jurisprudence : Cass. com., 13 janvier 1998, n° 95-15.497 ; Cass. com., 17 décembre 2003, n° 02-14.840 ; CA Montpellier, 3 avril 2014, n° 13/05373
  • Décret n° 2016-1893 du 28 décembre 2016 relatif aux dispositions du livre Ier du Code des transports
  • Rodière R., Traité général de droit maritime, Le navire, Introduction et armement, Dalloz, 1980
  • Maslin J.-P., De Franssu A., « Navire et autres bâtiments de mer – Vente forcée des navires – Saisie-exécution », JurisClasseur Transport, Fascicule 1135, 2017
  • Payan G., « Saisie des bateaux, navires et aéronefs », Répertoire de procédure civile Dalloz, 2016
  • Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer

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