Le secret bancaire n’est pas ce coffre-fort hermétique que certains imaginent. Si ce principe protège la confidentialité des informations financières des clients, il connaît de nombreuses exceptions, notamment face aux autorités de régulation. Ces dernières disposent de prérogatives étendues pour accéder aux données bancaires, dans le cadre de leurs missions de surveillance et de contrôle. Comprendre les conditions et les limites du secret bancaire face à ces acteurs est essentiel.
Banque de France : au cœur des données financières
La Banque de France joue un rôle central dans la collecte et la gestion d’informations financières sensibles. Plusieurs fichiers qu’elle administre impliquent un accès direct à des données normalement protégées par le secret bancaire, illustrant une des exceptions autorités publiques au principe général.
Les fichiers centralisés sous haute surveillance
La Banque de France gère plusieurs fichiers majeurs qui centralisent des informations sur les incidents de paiement et la situation financière des particuliers et des entreprises :
- Le Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) : Institué par l’article L. 751-1 du Code de la consommation, ce fichier recense les incidents caractérisés liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels. La Banque de France est seule habilitée à centraliser ces informations. Les établissements de crédit sont tenus de déclarer ces incidents.
- Le Fichier Central des Chèques (FCC) : Conformément à l’article L. 131-85 du Code monétaire et financier, le FCC mémorise les incidents de paiement liés aux chèques (rejets pour défaut de provision) et les interdictions bancaires ou judiciaires d’émettre des chèques. Là encore, la déclaration par les banques est obligatoire.
- Le Fichier national des chèques irréguliers (FNCI) : Également géré par la Banque de France (articles L. 131-85 et L. 131-86 CMF), il centralise les coordonnées bancaires des personnes interdites d’émettre des chèques, les oppositions pour perte ou vol, les coordonnées des comptes clôturés et les caractéristiques de faux chèques. Ce fichier est consultable par les commerçants pour vérifier la régularité d’un chèque remis en paiement.
Pour ces fichiers, la loi prévoit une dérogation explicite au secret bancaire dans l’intérêt général (lutte contre le surendettement, sécurité des moyens de paiement). Cependant, l’utilisation de ces informations est strictement encadrée. L’article L. 163-11 du Code monétaire et financier sanctionne pénalement toute utilisation de ces données à d’autres fins que celles prévues par les textes.
Autres prérogatives de la Banque de France
Au-delà de la gestion de ces fichiers, la Banque de France dispose d’autres pouvoirs impliquant un accès à des informations confidentielles :
- Le Fichier Bancaire des Entreprises (FIBEN) : La Banque de France collecte des informations auprès des entreprises, des banques et des greffes pour attribuer une cotation reflétant la capacité des entreprises à honorer leurs engagements financiers. Cette mission nécessite l’accès à des données confidentielles. Conformément à l’article L. 144-1 du Code monétaire et financier, elle peut communiquer ces analyses à d’autres établissements de crédit, aux administrations à vocation économique ou financière, et à d’autres acteurs définis par la loi, sous certaines conditions.
- Droit de communication général : L’article L. 141-6 du Code monétaire et financier lui permet de se faire communiquer par les établissements assujettis « tous documents et renseignements qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions fondamentales ». Cela inclut l’établissement de la balance des paiements et les statistiques monétaires.
- Pouvoirs de contrôle spécifiques : L’article L. 317-1 du Code monétaire et financier habilite les agents de la Banque de France à rechercher et constater par procès-verbal certaines infractions relatives aux comptes de dépôt, aux services de paiement ou à la monnaie électronique. Dans ce cadre, ils peuvent accéder aux locaux professionnels et demander communication de tous documents, le secret professionnel ne leur étant pas opposable.
L’ACPR : un superviseur aux pouvoirs étendus
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), adossée à la Banque de France, est chargée de la surveillance des secteurs bancaire et de l’assurance. Pour mener à bien sa mission, elle bénéficie d’un accès quasi illimité aux informations bancaires confidentielles.
Des prérogatives d’inspection musclées
L’article L. 511-33 du Code monétaire et financier pose clairement le principe : le secret professionnel ne peut être opposé à l’ACPR. L’article L. 612-24 détaille ses pouvoirs d’investigation :
- Le secrétaire général de l’ACPR peut « demander aux établissements soumis à son contrôle tous renseignements, documents, quel qu’en soit le support, et en obtenir la copie, ainsi que tous éclaircissements ou justifications nécessaires à l’exercice de sa mission ».
- Il peut également exiger la communication des rapports des commissaires aux comptes et de tous documents comptables.
- Ce pouvoir s’étend aux filiales des établissements contrôlés et aux tiers auxquels des fonctions opérationnelles ont été externalisées.
Cette disposition légale confère aux agents de l’ACPR un droit d’accès très large aux informations détenues par les banques. La jurisprudence a confirmé cette prérogative (Cass. com., 25 févr. 2003, n° 00-14.494).
Le refus de déférer à une demande d’information de l’ACPR ou l’entrave à sa mission de contrôle est sanctionné pénalement par l’article L. 571-4 du Code monétaire et financier (un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende).
Partage d’informations entre autorités
L’efficacité de la supervision repose aussi sur la coopération entre les différentes autorités. L’article L. 631-1 du Code monétaire et financier autorise l’ACPR à échanger des informations confidentielles qu’elle a collectées avec d’autres organismes, notamment :
- La Banque de France
- L’Autorité des marchés financiers (AMF)
- Le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR)
- L’Autorité de la concurrence
- La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
- TRACFIN
- L’Agence française anticorruption
Ce partage d’informations est encadré : il doit être utile à l’accomplissement des missions respectives de chaque autorité, et les informations transmises restent couvertes par le secret professionnel vis-à-vis des tiers.
De plus, l’article L. 612-28 impose à l’ACPR d’informer le procureur de la République lorsqu’elle relève des faits susceptibles de justifier des poursuites pénales.
L’AMF : le gendarme des marchés face au secret
L’Autorité des marchés financiers (AMF), chargée de veiller à la protection de l’épargne, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés, dispose également de moyens significatifs pour accéder aux informations couvertes par le secret bancaire dans le cadre de ses missions.
Un pouvoir d’investigation étendu
Pour mener ses contrôles et enquêtes, l’AMF bénéficie de prérogatives importantes :
- Droit de communication : L’article L. 621-10 du Code monétaire et financier permet aux enquêteurs de l’AMF de « se faire communiquer tous documents, quel qu’en soit le support » et d’entendre toute personne susceptible de fournir des informations.
- Inopposabilité du secret : L’article L. 621-9-3 précise explicitement que « le secret professionnel ne peut être opposé à l’Autorité des marchés financiers ». Les banques ne peuvent donc refuser de communiquer des informations relevant du champ de compétence de l’AMF.
- Accès aux locaux : Les enquêteurs et contrôleurs peuvent accéder aux locaux à usage professionnel (article L. 621-10).
- Accès aux données de connexion (« fadettes ») : Après une censure par le Conseil constitutionnel en 2017 (décision n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017) jugeant le dispositif initial insuffisamment encadré, la loi du 23 octobre 2018 (article L. 621-10-2) a réintroduit la possibilité pour l’AMF d’accéder aux données de connexion (identification de l’abonné, caractéristiques techniques de la communication, localisation) détenues par les opérateurs, mais sous le contrôle d’un magistrat dédié (le contrôleur des demandes de données de connexion).
Des procédures encadrées par le juge
Pour les opérations les plus intrusives, comme les visites domiciliaires (perquisitions), l’intervention du juge est requise. L’article L. 621-12 du Code monétaire et financier encadre strictement cette procédure :
- La visite doit être autorisée par une ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention (JLD).
- Elle ne peut viser que la recherche de manquements précis (délits boursiers, manquements aux obligations professionnelles sanctionnables par l’AMF).
- La visite s’effectue sous le contrôle du JLD, en présence d’un officier de police judiciaire.
- Les horaires sont limités (entre 6h et 21h, sauf exceptions).
- Les droits de la défense et le secret professionnel (notamment de l’avocat) doivent être respectés.
La jurisprudence européenne (CJUE, 13 septembre 2018, C-358/16 et C-594/16) a également précisé que la levée du secret professionnel des autorités de surveillance doit être justifiée par un intérêt légitime et proportionnée.
L’obstruction aux missions de contrôle ou d’enquête de l’AMF est un délit pénal puni de deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (article L. 642-2 CMF). De plus, l’AMF peut prononcer des sanctions administratives pour manquement d’entrave (article L. 621-15 CMF).
Le rôle des régulateurs dans la surveillance du système financier justifie ces atteintes encadrées au secret bancaire. Toutefois, la multiplication des exceptions et l’extension des pouvoirs des autorités soulèvent des questions légitimes sur l’équilibre entre la nécessité du contrôle et la protection de la confidentialité des données financières. Face à une demande d’information d’un régulateur, l’assistance d’un avocat compétent en droit bancaire peut être précieuse pour s’assurer du respect des procédures et protéger vos droits.
Sources
- Code monétaire et financier, articles L. 131-85, L. 141-6, L. 142-9, L. 144-1, L. 511-33, L. 571-4, L. 612-24, L. 612-28, L. 621-9-3, L. 621-10, L. 621-10-2, L. 621-12, L. 631-1, L. 642-2
- Code de la consommation, article L. 751-1
- Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude
- Cass. com., 25 février 2003, n° 00-14.494
- CJUE, 13 septembre 2018, C-358/16, UBS Europe SE e.a.
- CJUE, 13 septembre 2018, C-594/16, Enzo Buccioni
- Conseil constitutionnel, décision n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017
- JurisClasseur Droit bancaire et financier, Fasc. 141-5 : Devoirs professionnels des établissements de crédit. Secret bancaire. – Personnes et organismes auxquels le secret professionnel est inopposable. – Personnes publiques