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Saisies conservatoires de meubles corporels : mode d’emploi

Table des matières

Dans le parcours du combattant du recouvrement de créances, la saisie conservatoire constitue une arme précieuse. Loin d’être une mesure anodine, elle permet de geler temporairement les biens du débiteur sans attendre un titre exécutoire. Cette procédure répond à l’urgence d’une situation où le patrimoine du débiteur pourrait s’évaporer. Voici comment naviguer dans ces eaux procédurales souvent méconnues.

1. Quand saisir conservatoirement les biens mobiliers de votre débiteur

La saisie conservatoire répond à deux conditions essentielles posées par l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution :

  • Une créance qui paraît fondée en son principe
  • Des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement

La première condition n’exige pas une créance certaine. Une apparence de bien-fondé suffit. Nul besoin que la créance soit liquide ou exigible. La jurisprudence admet même des créances conditionnelles.

Pour la seconde condition, la menace peut prendre diverses formes : insolvabilité imminente, risque de disparition des actifs, ou comportement suspect du débiteur. Le silence persistant après mise en demeure peut constituer un indice pertinent.

La particularité de cette procédure ? Elle se réalise sans titre exécutoire. L’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit même des cas de dispense d’autorisation judiciaire préalable, notamment quand le créancier dispose déjà d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice non encore dotée de force exécutoire.

2. Champ d’application de la saisie conservatoire de meubles corporels

Les biens saisissables

L’article L. 522-1 du Code des procédures civiles d’exécution définit le périmètre de cette mesure. Elle peut porter sur tous les biens mobiliers corporels appartenant au débiteur : meubles meublants, véhicules, marchandises, matériel professionnel, objets de valeur, etc.

Ces biens restent dans le patrimoine du débiteur pendant la procédure, mais deviennent indisponibles juridiquement. Une cour d’appel a précisé que « les bénéfices distribuables attachés à des parts sociales sont considérés comme des droits pécuniaires du débiteur » (Civ. 2e, 21 juin 2007, n° 06-13.386).

Les biens insaisissables

Certains biens échappent à cette mesure. L’article L. 112-2 du Code des procédures civiles d’exécution établit une liste de biens insaisissables, notamment :

  • Les biens nécessaires à la vie quotidienne et au travail du débiteur
  • Les objets indispensables aux personnes handicapées
  • Les biens nécessaires à l’exercice professionnel (dans certaines limites)
  • Les objets destinés aux soins des malades

Une jurisprudence intéressante a établi que « les prothèses dentaires ne sont pas saisissables lorsqu’elles sont installées » (Civ. 1re, 9 oct. et 11 déc. 1985).

Les immeubles sont également exclus du champ d’application, y compris les immeubles par destination. Exception faite pour le vendeur impayé qui peut saisir des biens rattachés à un fonds pour le paiement de leur prix.

3. La mise en œuvre de la saisie

Le rôle de l’huissier

Seul un huissier de justice peut procéder à cette saisie (art. L. 122-1 du Code des procédures civiles d’exécution). Sa première mission ? Présenter au débiteur l’autorisation du juge ou le titre permettant la saisie.

L’huissier doit également demander au débiteur s’il a fait l’objet d’une saisie antérieure sur les mêmes biens. Cette information est capitale car elle peut influencer la procédure.

En cas de refus d’accès, l’article L. 142-1 du même code autorise l’huissier à recourir à la procédure d’ouverture forcée. Attention toutefois : depuis une décision récente de la Cour de cassation, « une mesure conservatoire ne peut être pratiquée dans un lieu affecté à l’habitation du débiteur sans autorisation du juge de l’exécution » (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.629).

Le contenu de l’acte de saisie

L’article R. 522-1 du Code des procédures civiles d’exécution impose, à peine de nullité, plusieurs mentions dans l’acte de saisie :

  1. L’énonciation du titre ou de l’autorisation du juge
  2. La description détaillée des biens saisis
  3. La mention des déclarations du débiteur sur d’éventuelles saisies antérieures
  4. L’information que les biens sont indisponibles et placés sous la garde du débiteur
  5. La mention du droit du débiteur de demander la mainlevée
  6. La reproduction de certains textes légaux
  7. L’indication des personnes présentes lors de la saisie

Ces formalités ne sont pas de pure forme. Leur non-respect peut entraîner la nullité de la procédure, sous réserve de la preuve d’un grief conformément à l’article 114 du Code de procédure civile.

L’information du débiteur

Si le débiteur est présent, l’huissier lui remet immédiatement une copie de l’acte de saisie (art. R. 522-2 du Code des procédures civiles d’exécution). Cette remise vaut signification.

En son absence, l’article R. 522-3 impose une signification ultérieure avec invitation à informer l’huissier dans les huit jours de l’existence d’une éventuelle saisie antérieure.

Cette information constitue un jalon procédural crucial. Elle fait courir le délai de contestation et interrompt la prescription de la créance.

4. Les effets de la saisie

L’indisponibilité des biens

L’effet principal de la saisie conservatoire est de rendre les biens juridiquement indisponibles (art. L. 521-1 du Code des procédures civiles d’exécution). Cette indisponibilité interdit au débiteur d’aliéner les biens ou de les déplacer.

Le non-respect de cette interdiction expose le débiteur à des sanctions pénales. L’article 314-6 du Code pénal qualifie de délit le détournement d’objet saisi, passible de trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

La jurisprudence a apporté des précisions importantes sur ce point. Par exemple, un banquier teneur de compte doit avertir le juge qui autorise la liquidation d’un compte de son indisponibilité résultant d’une saisie conservatoire (Civ. 2e, 23 nov. 2006, n° 05-10.933).

Le maintien de l’usage par le débiteur

Paradoxalement, l’indisponibilité n’empêche pas tout usage. L’article R. 522-4 renvoyant à l’article R. 221-19 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que le débiteur conserve l’usage des biens, à condition qu’ils ne soient pas consomptibles.

Cette disposition équilibrée permet d’éviter une paralysie totale du patrimoine du débiteur, particulièrement quand il s’agit d’outils professionnels ou de biens d’usage quotidien.

Le déplacement des biens saisis reste possible dans des cas exceptionnels et pour cause légitime (art. R. 221-13). Le débiteur doit alors informer préalablement le créancier du lieu où les biens seront désormais situés.

Pour les véhicules, une immobilisation peut être ordonnée jusqu’à leur enlèvement en vue de la vente.

5. La conversion en saisie-vente

La saisie conservatoire n’est qu’une étape. Pour passer à l’exécution forcée, le créancier doit obtenir un titre exécutoire et convertir sa mesure en saisie-vente.

L’acte de conversion

L’article R. 522-7 du Code des procédures civiles d’exécution régit cette conversion par un acte d’huissier signifié au débiteur. Cet acte doit mentionner, à peine de nullité :

  1. La référence au procès-verbal de saisie conservatoire
  2. L’énonciation du titre exécutoire
  3. Le décompte distinct des sommes à payer
  4. Un commandement de payer sous huit jours

Si la saisie a été effectuée entre les mains d’un tiers, une copie de l’acte de conversion doit lui être signifiée.

Notons que l’ouverture d’une procédure collective après la saisie conservatoire mais avant la conversion entraîne la mainlevée de la saisie, comme l’a précisé la Cour de cassation : « l’arrêt des voies d’exécution du fait de l’ouverture de la procédure collective implique la mainlevée de toute saisie conservatoire de biens meubles corporels lorsque, à la date du jugement, les biens saisis n’ont pas encore été vendus » (Com. 2 févr. 1999, n° 96-17.517).

La procédure de mise en vente

Une fois l’acte de conversion signifié, le débiteur dispose d’un délai de huit jours pour payer. À défaut, la procédure de mise en vente est engagée (art. R. 522-8).

L’huissier doit d’abord procéder à la vérification des biens saisis en les comparant avec la description figurant dans l’acte initial. Si des objets manquent ou sont dégradés, un acte de constat est dressé.

L’article R. 522-9 prévoit que le débiteur doit informer l’huissier du lieu où se trouvent les biens manquants ou, s’ils ont fait l’objet d’une saisie-vente, lui communiquer les coordonnées de l’huissier qui y a procédé.

Après la vérification, le débiteur dispose d’un délai d’un mois pour vendre les biens à l’amiable. À défaut, la vente forcée est organisée selon les règles applicables à la saisie-vente.

6. La pluralité de saisies

La pratique révèle souvent des situations de concurrence entre créanciers. L’article L. 521-1, alinéa 3, du Code des procédures civiles d’exécution autorise expressément la pluralité de saisies conservatoires sur les mêmes biens.

Lorsqu’une nouvelle saisie intervient sur des biens déjà saisis, l’huissier qui procède à cette seconde mesure doit informer les créanciers antérieurs. L’article R. 522-11 impose la signification d’une copie du procès-verbal de saisie à chacun d’eux.

Cette information mutuelle est fondamentale car elle permet d’organiser la concurrence entre créanciers lors de la distribution des deniers. Toutefois, aucun délai ni sanction spécifique n’est prévu pour cette obligation d’information.

En cas de vente amiable proposée par le débiteur, l’article R. 522-13 prévoit une procédure particulière. Le créancier saisissant qui accepte la proposition doit en informer les autres créanciers, lesquels disposent d’un délai de quinze jours pour prendre position.

Si la vente forcée s’impose, l’article R. 522-14 oblige le créancier qui fait procéder à l’enlèvement des biens d’en informer les autres créanciers. Ces derniers doivent alors déclarer le montant de leur créance à l’officier ministériel chargé de la vente, sous peine de perdre leur droit de concourir à la distribution.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution, notamment articles L. 111-1 et suivants, L. 511-1 à L. 512-2, L. 521-1, L. 522-1, L. 523-1, R. 511-1 à R. 512-3, R. 521-1, R. 522-1 à R. 522-14
  • Code civil, article 2350
  • Code pénal, article 314-6
  • Civ. 2e, 21 juin 2007, n° 06-13.386, Bull. civ. II, n° 170
  • Civ. 1re, 9 oct. et 11 déc. 1985, RTD civ. 1986. 427
  • Civ. 2e, 23 nov. 2006, n° 05-10.933, Bull. civ. II, n° 328
  • Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.629, Procédures 2020, n° 196
  • Com. 2 févr. 1999, n° 96-17.517, Bull. civ. IV, n° 36
  • PIÉDELIÈVRE Stéphane et GUERCHOUN Frédéric, « Saisies et mesures conservatoires », Répertoire de procédure civile, Dalloz, juin 2021

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