Les rouages de la politique monétaire européenne demeurent parfois obscurs pour les non-initiés. Pourtant, cette mécanique influence quotidiennement nos économies. Cet article déchiffre les objectifs et instruments qui définissent cette politique communautaire majeure.
1. Objectifs principaux du SEBC
La stabilité des prix comme priorité absolue
La mission première du Système européen de banques centrales (SEBC) est claire : maintenir la stabilité des prix. Ce mandat, inscrit à l’article 105 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), constitue la boussole qui guide toutes les actions monétaires européennes.
La Banque centrale européenne (BCE) a précisé cette notion. Elle la définit comme « une progression de l’indice des prix à la consommation harmonisé inférieure à 2% par an pour la zone euro à moyen terme ». Cette définition évite deux écueils majeurs : l’inflation galopante et la déflation. Elle vise un équilibre délicat.
Le soutien aux politiques économiques
Ce même article 105 du TFUE précise : « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté« . Cette hiérarchie est capitale. La BCE peut soutenir d’autres objectifs comme la croissance ou l’emploi, mais uniquement si la stabilité des prix n’est pas menacée.
Une limite stricte existe toutefois : l’interdiction formelle pour la BCE de financer directement les déficits publics (article 101 TFUE). Cette disposition a été au cœur de nombreux débats durant les crises de dettes souveraines.
Indicateurs sous surveillance constante
Pour piloter sa politique, la BCE suit deux « piliers » d’analyse :
- L’agrégat monétaire M3 (monnaie liquide + dépôts à vue + dépôts à court terme), dont la croissance-cible est fixée à 4,5%.
- Un ensemble d’indicateurs économiques avancés : évolution des salaires, stocks, taux de change et prix industriels.
Ces données forment un tableau de bord qui guide les décisions du Conseil des gouverneurs de la BCE.
2. Les instruments de la politique monétaire
Les opérations d’open market : principal levier d’action
La BCE agit principalement sur la liquidité du système bancaire par ses opérations d’open market. Quatre types d’interventions existent :
- Les opérations principales de refinancement : hebdomadaires, elles fournissent 75% du refinancement de l’Eurosystème. Le taux de ces opérations (taux de soumission minimal) constitue le principal signal de la politique monétaire.
- Les opérations de refinancement à plus long terme : mensuelles avec une durée de trois mois.
- Les opérations de réglage fin : exceptionnelles, elles corrigent des déséquilibres imprévus de liquidité.
- Les opérations structurelles : très rares, elles modifient durablement la structure de liquidité du marché.
Ces interventions se matérialisent par des prêts garantis par des titres (« prises en pension ») ou des achats/ventes fermes.
Les facilités permanentes : un corridor des taux
Contrairement aux opérations d’open market initiées par la BCE, les facilités permanentes sont utilisées à l’initiative des banques. Elles créent un « corridor » qui encadre les taux du marché :
- La facilité de prêt marginal permet aux banques d’obtenir des liquidités au jour le jour (à 3% en 2003).
- La facilité de dépôt leur permet de placer leurs excédents temporaires (à 1% en 2003).
Ces taux forment les bornes supérieure et inférieure du taux interbancaire.
Le système des réserves obligatoires : créer un besoin structurel
Les réserves obligatoires contraignent les banques à déposer auprès de leur Banque centrale nationale (BCN) un pourcentage de certains postes de leur passif. Ce mécanisme a deux fonctions :
- Créer un besoin structurel de refinancement, permettant à la BCE d’intervenir efficacement sur le marché.
- Stabiliser les taux d’intérêt à court terme en autorisant les banques à respecter ces obligations en moyenne sur un mois.
Le taux actuel des réserves obligatoires est de 2% pour les dépôts à vue et à court terme, et 0% pour les dépôts à plus long terme.
3. La conduite des opérations de change
Une répartition subtile des pouvoirs
Le Traité établit un partage des responsabilités en matière de politique de change :
- Le Conseil ECOFIN (ministres des Finances) détient le pouvoir de décision stratégique sur les orientations de change (article 111 TFUE).
- Le SEBC, via la BCE, est chargé de « conduire les opérations de change » conformément à ces orientations.
Cette architecture reflète un équilibre politique délicat entre souveraineté des États et autonomie de la politique monétaire.
La gestion des réserves de change
Les réserves de change du SEBC se répartissent entre :
- La BCE, qui détient environ 50 milliards d’euros en devises (principalement dollars américains).
- Les BCN, qui gèrent la majeure partie des réserves (environ 300 milliards de dollars en 2002).
Pour éviter que des opérations nationales n’influencent le cours de l’euro, celles dépassant un certain montant requièrent l’autorisation préalable de la BCE (article 31 des statuts du SEBC).
Les interventions sur le marché des changes
En pratique, la doctrine du Conseil est que des orientations de change ne devraient être formulées qu’exceptionnellement, en cas de « désajustement manifeste » entre l’euro et d’autres devises.
Les interventions peuvent être effectuées par la BCE directement ou par les BCN sur instruction de Frankfurt. Cette flexibilité opérationnelle permet d’adapter les interventions aux conditions de marché.
4. Les systèmes de paiement
TARGET : l’épine dorsale des paiements européens
Le système TARGET (Trans-European Automated Real-time Gross settlement Express Transfer) constitue l’infrastructure centrale des règlements en euros. Il interconnecte les 15 systèmes nationaux de règlement brut en temps réel.
En 2002, TARGET traitait quotidiennement plus de 250 000 opérations pour un montant dépassant 1 500 milliards d’euros. Ce système est vital pour :
- L’exécution de la politique monétaire.
- La réduction du risque systémique.
- La gestion de trésorerie des grandes entreprises européennes.
Une version améliorée (TARGET 2) est prévue pour 2006-2010, avec une meilleure adaptabilité à l’élargissement de l’Union.
La promotion des systèmes de paiement efficaces
Au-delà de TARGET, le SEBC contribue à l’amélioration des paiements de détail. Le projet de zone unique de paiements en euros vise à permettre des transactions transfrontières aussi simples et économiques que les paiements domestiques.
La BCE exerce également une surveillance active sur les systèmes de paiement existants, en vérifiant leur conformité aux normes internationales, notamment celles établies par la Banque des règlements internationaux (BRI).
La surveillance prudentielle
Le SEBC contribue à la stabilité financière en participant, via des avis et consultations, au contrôle prudentiel du secteur financier. Dix des douze pays de l’Eurosystème impliquent directement leur BCN dans la surveillance bancaire.
Des travaux de coordination sont menés en permanence pour prévenir les risques systémiques, particulièrement importants dans un marché financier intégré où la défaillance d’un acteur majeur pourrait déclencher un effet domino.
Sources
- Articles 105, 101 et 111 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
- Protocole n°3 sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, notamment les articles 14.3, 31 et 35.6.
- Documentation générale de la BCE sur les instruments et procédures de politique monétaire de l’Eurosystème (2002).
- Bulletin mensuel de la BCE et Rapports annuels.
- Document « Système européen de banques centrales et Banque de France« , Gabriel Montagnier, Répertoire de droit commercial, février 2004.