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La Banque de France : évolution historique et cadre juridique actuel

Table des matières

L’institution monétaire française a traversé plus de deux siècles d’existence. Son histoire reflète les transformations politiques, économiques et monétaires de la France. Aujourd’hui intégrée au Système européen de banques centrales, elle conserve un statut juridique unique qui mérite examen.

1. De la création en 1800 à l’intégration européenne

Les origines de la Banque de France

La Banque de France naît d’un arrêté des consuls du 28 nivôse an VIII (18 janvier 1800). Elle prend la forme d’une société par actions, construction juridique visant à marquer son indépendance vis-à-vis du gouvernement. Le public se méfiait alors du papier-monnaie après l’échec des assignats.

La loi du 24 germinal an XI (14 avril 1803) lui confère le privilège d’émettre des billets. Ce monopole d’émission, d’abord limité à Paris, s’étend progressivement à l’ensemble du territoire français.

Le cadre juridique initial reste le décret impérial du 16 janvier 1808, appelé « statuts fondamentaux ». La Banque s’installe rue de la Vrillière à Paris, dans l’ancien hôtel du comte de Toulouse, où demeure encore aujourd’hui son siège social.

La nationalisation de 1945

Après la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre d’une politique de nationalisation des secteurs clés de l’économie, la Banque de France est nationalisée par la loi n°45-015 du 2 décembre 1945. Cette réforme ne modifie pas sa forme originaire de société anonyme, mais fait de l’État son actionnaire unique. Les anciens actionnaires privés sont indemnisés par des obligations, dont les dernières sont remboursées en janvier 1965.

Malgré cette nationalisation, le décret du 31 décembre 1936 qui régissait son fonctionnement reste en vigueur. Ce n’est qu’avec la loi n°73-7 du 3 janvier 1973 que ses statuts sont révisés, apportant plus de souplesse dans l’exercice de ses activités.

Les réformes successives et l’impact du Traité de Maastricht

Le Traité de Maastricht du 7 février 1992 bouleverse le statut de la Banque de France. La mise en œuvre de l’Union économique et monétaire (UEM) impose une refonte profonde de ses relations avec l’État.

La loi du 4 août 1993 tente d’adapter le statut de la Banque aux exigences communautaires, particulièrement à la règle d’indépendance vis-à-vis de l’État. Cette loi est partiellement censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°93-324 DC du 3 août 1993. Après l’entrée en vigueur du Traité, le 1er novembre 1993, les dispositions écartées sont rétablies par la loi n°93-1444 du 31 décembre 1993.

La création du Système européen de banques centrales (SEBC) le 1er juin 1998 et le passage à la troisième phase de l’UEM le 1er janvier 1999 nécessitent de nouvelles modifications, apportées par la loi n°98-357 du 12 mai 1998.

Aujourd’hui, les dispositions relatives à la Banque sont incorporées dans le code monétaire et financier, dont elles constituent le titre IV.

2. Nature juridique et régime applicable

Le statut sui generis de « personne publique »

Longtemps, la nature juridique de la Banque de France est restée imprécise. La loi du 4 août 1993 la qualifie simplement d' »institution dont le capital appartient à l’État » (article L. 142-1 du code monétaire et financier).

Une clarification décisive intervient avec l’arrêt du Tribunal des conflits du 16 juin 1997 (Société La Fontaine de Mars), qui qualifie la Banque de France de « personne publique ». Le Conseil d’État précise cette notion dans un avis du 9 décembre 1999 rendu en assemblée générale : il s’agit d’une « personne publique sui generis » et non d’un établissement public.

Cette spécificité se confirme dans l’arrêt du 22 mars 2000 (Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France), où le Conseil d’État juge que la Banque de France « n’a pas le caractère d’un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractères propres ».

L’indépendance garantie à la Banque de France par le droit communautaire (article 108 du Traité CE) et par le droit national la distingue fondamentalement des établissements publics, tous soumis à un contrôle de l’État.

Droit applicable et compétence juridictionnelle

L’intégration au SEBC complexifie les règles de droit applicables à la Banque de France et la détermination des juridictions compétentes. Selon les cas, s’appliquent le droit communautaire, le droit interne privé ou public.

La Cour de justice des Communautés européennes connaît des litiges relatifs à l’application par la Banque de France de ses obligations résultant du Traité CE et des statuts du SEBC. Elle est compétente si le gouverneur de la Banque était relevé de ses fonctions pour une cause non prévue par les textes.

L’article L. 144-2 du code monétaire et financier dispose que les opérations de la Banque, ainsi que la gestion des activités autres que celles relevant du SEBC, sont régies par la législation civile et commerciale. Les litiges en découlant relèvent des juridictions judiciaires.

En revanche, selon l’article L. 144-3, les litiges relatifs à l’administration intérieure de la Banque ou l’opposant aux membres du Conseil de la politique monétaire, aux membres du conseil général ou à ses agents relèvent du juge administratif.

La jurisprudence a précisé que si l’activité en cause constitue une mission de service public comportant l’exercice de prérogatives de puissance publique (comme la tenue du fichier des incidents de paiement), la compétence est administrative.

Régime budgétaire, comptable et fiscal

Le régime budgétaire de la Banque de France prévoit l’adoption annuelle d’un état prévisionnel des recettes et d’un budget des dépenses par le conseil général. Dans les quatre mois de la clôture de l’exercice, le conseil délibère sur les comptes, après lecture d’un rapport du gouverneur et des commissaires aux comptes.

Au plan fiscal, l’article 1654 du code général des impôts dispose que la Banque de France « acquitte les impôts dans les conditions du droit commun », sans régime dérogatoire.

3. Le contrôle et la transparence

Le rôle de la Cour des comptes

La Banque de France est soumise au contrôle de la Cour des comptes selon l’article L. 133-1 du code des juridictions financières. Cette compétence entraîne celle de la cour de discipline budgétaire et financière à l’égard des dirigeants et des agents de la Banque.

L’article 58.2° de la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 permet aux commissions des finances du Parlement de demander à la Cour des comptes la réalisation d’enquêtes sur sa gestion. La première application de cette disposition a concerné un rapport sur le réseau de la Banque de France en 2003.

Les obligations de reporting

Jusqu’en 2003, la Banque de France publiait chaque semaine au Journal officiel une situation hebdomadaire, sorte de bilan simplifié. L’article 76 de la loi du 1er août 2003 sur la sécurité financière a supprimé cette obligation, sur recommandation de la BCE. Des indications sur le bilan sont désormais données dans son rapport annuel.

La relation avec les pouvoirs publics et le Parlement

L’indépendance de la Banque doit se concilier avec la transparence de son action. Le gouverneur adresse au moins annuellement un rapport d’activité au Président de la République et au Parlement. Il peut être entendu par les commissions des finances des assemblées, soit à son initiative, soit à l’initiative de celles-ci (article L. 143-1 du code monétaire et financier).

Par ailleurs, le Premier ministre et le ministre de l’Économie peuvent participer aux séances du Conseil de la politique monétaire, sans voix délibérative.

4. Les évolutions récentes

Impact des réformes de 2007-2008

La loi n°2007-212 du 20 février 2007 modifie l’organisation de la Banque pour tenir compte du transfert du pouvoir monétaire à la Banque centrale européenne. Elle enrichit le conseil général de deux nouveaux membres nommés en conseil des ministres. Le secret professionnel de ses membres est désormais inscrit dans la loi.

Le Conseil de la politique monétaire devient une simple formation du Conseil général, renommé « Comité monétaire du conseil général ».

La loi n°2008-776 du 4 août 2008 (dite « LME ») supprime complètement ce comité, devenu obsolète après le transfert des prérogatives monétaires à la BCE.

La réorganisation de la gouvernance

L’article L. 142-2 du code monétaire et financier confie au conseil général la responsabilité de délibérer sur les questions relatives à la gestion des activités de la Banque, aux statuts du personnel et à l’emploi des fonds propres.

La suppression du Comité monétaire reflète la réalité institutionnelle : la Banque de France n’est plus qu’un relais national pour l’application des décisions arrêtées par le conseil des gouverneurs de la BCE.

Les nouvelles attributions en matière de stabilité financière

La loi n°2013-672 du 26 juillet 2013 crée l’article L. 141-5-1 du code monétaire et financier, qui charge la Banque de France de veiller, conjointement avec le Haut Conseil de stabilité financière, à la stabilité du système financier.

La loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 renforce ses prérogatives en matière de surveillance des systèmes de règlement-livraison. Elle permet à la Banque de transmettre à d’autres autorités des informations couvertes par le secret professionnel et de conclure des accords de coopération.

Ces évolutions traduisent une orientation vers des missions de supervision et de stabilité, compensant la perte des fonctions monétaires traditionnelles.

Sources

  • Code monétaire et financier, articles L. 141-1 à L. 144-5
  • Traité instituant la Communauté européenne, articles 105 à 115
  • Loi n°45-015 du 2 décembre 1945 relative à la nationalisation de la Banque de France
  • Loi n°93-980 du 4 août 1993 relative au statut de la Banque de France
  • Loi n°98-357 du 12 mai 1998 modifiant le statut de la Banque de France
  • Décision du Conseil constitutionnel n°93-324 DC du 3 août 1993
  • Arrêt du Tribunal des conflits, 16 juin 1997, Société La Fontaine de Mars
  • Arrêt du Conseil d’État, 22 mars 2000, Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France
  • Loi n°2007-212 du 20 février 2007 modifiant les statuts de la Banque de France
  • Loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie
  • Loi n°2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires
  • Document « Système européen de banques centrales et Banque de France » par Gabriel Montagnier, février 2004

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