Quelle est cette procédure qui permet de pénétrer chez un concurrent pour y chercher des preuves de contrefaçon? La saisie-contrefaçon représente un outil procédural puissant et parfois méconnu. Sa mise en œuvre exige une parfaite maîtrise de ses conditions, ce qui peut nécessiter l’expertise d’un avocat spécialisé dans les voies d’exécution. Instrument d’investigation privilégié dans les litiges de propriété intellectuelle, elle offre au titulaire d’un droit la possibilité d’établir la preuve d’une contrefaçon.
1. Le fondement de l’action en saisie-contrefaçon
Pour une compréhension fondamentale de cette procédure, il est essentiel de connaître son fondement. La saisie-contrefaçon repose sur le droit à la preuve. Le président du tribunal saisi ne peut refuser de délivrer une ordonnance autorisant cette procédure, dès lors que la requête vise la description des éléments suspectés d’être contrefaits.
Un véritable droit à la preuve
La saisie-contrefaçon repose sur le droit à la preuve. Le président du tribunal saisi ne peut refuser de délivrer une ordonnance autorisant cette procédure, dès lors que la requête vise la description des éléments suspectés d’être contrefaits.
Comme le souligne la jurisprudence, le juge a « le pouvoir de fixer les conditions et l’étendue de la saisie-contrefaçon, mais non celui de refuser l’autorisation d’y procéder qui lui a été demandée dans les formes et avec les justifications prévues par la loi » (Com. 22 juin 1999, n° 97-12.699).
Cette procédure non contradictoire ménage un effet de surprise. Le saisi n’est pas averti de son engagement, garantissant ainsi l’efficacité de la mesure.
Des conditions d’exercice strictes
La Cour d’appel de Paris a pu exiger « un minimum de pièces » pour justifier une telle demande (CA Paris, 28 janv. 2014, RG n° 13/08128). Cette position va toutefois à l’encontre de la raison d’être de cette procédure dont le but est précisément de collecter les preuves.
La jurisprudence récente confirme qu’il n’est pas logique d’exiger la preuve de la contrefaçon puisque le but de la saisie-contrefaçon est d’obtenir cette preuve (CA Paris, 16 mai 2017 et 26 mai 2017). Le non-respect de ces conditions d’exercice strictes peut cependant ouvrir droit à contestation de la saisie-contrefaçon par le saisi.
2. En matière de propriété industrielle
Les titres invocables
Le titre sur lequel on fonde la demande détermine le périmètre de la saisie-contrefaçon. Pendant une procédure, impossible de viser des produits contrefaits se rapportant à d’autres titres du saisissant (CA Paris, 23 sept. 1998).
Sont concernés:
- Les brevets français ou européens
- Les certificats d’utilité
- Les certificats complémentaires de protection
- Les marques françaises, communautaires ou internationales
- Les dessins et modèles déposés en France ou à l’étranger
- Les indications géographiques
- Les certificats d’obtention végétale
- Les topographies de produits semi-conducteurs
Un titre étranger peut servir de fondement, en application de l’article 31 du règlement du 22 décembre 2000 ou des articles 24 des conventions de Bruxelles et de Lugano.
Validité temporelle du titre
Le titre doit être en vigueur au moment de la requête.
« Le requérant est tenu, non seulement de présenter le brevet sur lequel il se fonde, mais aussi de justifier que ce titre est en vigueur » (Com. 29 janv. 2008).
Pour un titre expiré, la Chambre commerciale a considéré qu’une saisie-contrefaçon n’était pas possible (Com. 14 déc. 2010, n° 09-72.946).
Demandes de titres non publiées
Lorsque des demandes de titres n’ont pas été publiées, une saisie-contrefaçon reste possible avec notification au contrefacteur présumé (TGI Paris, 28 juin 1983 pour les brevets; CA Colmar, 13 mai 1994 pour les marques).
3. En matière de propriété littéraire et artistique
L’absence d’enregistrement
Contrairement à la propriété industrielle, le droit d’auteur ne nécessite aucun dépôt. L’œuvre est protégée du seul fait de sa création: « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » (CPI, art. L. 111-1).
L’auteur bénéficie d’une présomption de qualité d’auteur, appartenant « à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée » (CPI, art. L. 113-1).
La condition d’originalité
Une œuvre est protégée si elle est originale. La jurisprudence définit l’originalité comme l’expression juridique du caractère personnel de la création.
L’évolution de cette notion, notamment avec les créations numériques, a conduit à considérer pour les logiciels « un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante » (Cass. ass. plén., 7 mars 1986, n° 83-10.477).
Les droits invocables
La saisie-contrefaçon peut intervenir en cas de violation:
- Des droits patrimoniaux (reproduction, représentation)
- Du droit moral
Avant la loi du 11 mars 2014, l’application aux faux artistiques était discutée. La Cour de cassation a admis le recours à la saisie-contrefaçon pour une peinture faussement signée lors d’une vente aux enchères (Civ. 1re, 18 juill. 2000, n° 98-15.851).
Une fois les conditions d’éligibilité à la saisie-contrefaçon établies, il convient d’explorer les aspects procéduraux essentiels, notamment les règles de compétence et les exigences de la requête.
4. Les parties à la saisie
Le saisissant
Le demandeur doit avoir capacité et qualité pour agir. Les règles sont strictes, sanctionnées par la nullité de la saisie (CPC, art. 118).
Il doit:
- Avoir la capacité d’ester en justice
- Justifier de sa qualité pour exercer l’action en contrefaçon
- Produire le titre de propriété intellectuelle invoqué
En cas de pluralité de requérants, il suffit qu’un seul justifie d’un titre (CA Paris, 3 avr. 2002).
Les différents titulaires du droit d’action
Peuvent agir:
- Le propriétaire du titre
- Le copropriétaire (avec notification aux autres)
- Le licencié exclusif (après mise en demeure du titulaire)
- Le licencié non exclusif (avec consentement du propriétaire)
- Le créateur des dessins et modèles (droit moral)
Le saisi
Le saisi peut être:
- Le contrefacteur présumé
- Un tiers détenteur des produits suspects
- Un client, fournisseur, transporteur
- Une personne de droit public
La saisie peut être pratiquée en tout lieu utile: bureaux, usines, entrepôts, lieux de stockage, magasins, salons, expositions, voire chez le saisissant lui-même.
Elle peut intervenir hors de la présence du saisi. Les déclarations de celui-ci peuvent être portées sur le procès-verbal de l’huissier, sans obligation.
Sources
- Code de la propriété intellectuelle: articles L.111-1, L.113-1, L.332-1 à L.332-4, L.521-4, L.615-5, L.623-27-1, L.716-4-7, L.722-4
- Code de procédure civile: articles 114, 118
- Cour de cassation, chambre commerciale, 22 juin 1999, n° 97-12.699
- Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2008, Bulletin civil IV, n° 18
- Cour de cassation, chambre commerciale, 14 décembre 2010, n° 09-72.946
- Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 mars 1986, n° 83-10.477
- Cour de cassation, 1re chambre civile, 18 juillet 2000, n° 98-15.851
- Cour d’appel de Paris, 28 janvier 2014, RG n° 13/08128
- Cour d’appel de Paris, 16 mai 2017, RG n° 15/15766
- Cour d’appel de Paris, 26 mai 2017, RG n° 15/10201
- Tribunal de grande instance de Paris, 28 juin 1983, PIBD 1983, n° 336
- Cour d’appel de Colmar, 13 mai 1994, Ann. propr. ind. 1995