Les règles relatives à la nullité pour vice de forme constituent un point clé de la procédure civile. Elles déterminent quand et comment un acte de procédure peut être annulé pour irrégularité formelle. Ces règles, codifiées aux articles 112 à 116 du Code de procédure civile, méritent une attention particulière.
Les conditions d’annulation pour vice de forme
L’exigence d’un texte : « pas de nullité sans texte »
L’article 114 du Code de procédure civile pose un principe fondamental : aucun acte de procédure ne peut être annulé pour vice de forme si cette nullité n’est pas expressément prévue par un texte.
Ce principe connaît deux exceptions importantes. L’acte peut être annulé, même sans texte spécifique, en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
La jurisprudence définit la formalité substantielle comme celle qui « tient à la raison d’être de l’acte et lui est indispensable pour remplir son objet » (Civ. 3 mars 1955, JCP 1955.II.8654).
Exemple de formalité substantielle : l’obligation pour l’expert de mentionner dans son rapport la suite donnée aux dires des parties (Civ. 3e, 3 oct. 1991, n° 89-12.943).
L’exigence d’un grief : « pas de nullité sans grief »
Même si la nullité est prévue par un texte ou concerne une formalité substantielle, l’article 114 alinéa 2 du Code de procédure civile exige que l’irrégularité ait causé un grief à celui qui l’invoque.
C’est la pierre angulaire du système des nullités procédurales. Elle vise à éviter que le formalisme ne devienne un instrument dilatoire entre les mains de plaideurs de mauvaise foi.
La Cour de cassation adopte une conception in concreto du grief. Il ne suffit pas d’invoquer un trouble potentiel. Le plaideur doit démontrer que, dans son cas précis, l’irrégularité a perturbé l’exercice de ses droits de la défense.
Cette position a été affirmée dans de nombreuses décisions, notamment un arrêt du 20 octobre 2011 (Civ. 2e, n° 10-24.109) qui précise que le grief doit être apprécié concrètement dans chaque espèce.
La régularisation de l’acte
Troisième condition, l’acte entaché d’un vice de forme ne doit pas avoir été régularisé. L’article 115 du Code de procédure civile prévoit que la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte, si celle-ci ne laisse subsister aucun grief et intervient avant toute forclusion.
Particularité notable depuis la loi du 17 juin 2008 : même annulé, l’acte conserve son effet interruptif de prescription et de forclusion (article 2241 alinéa 2 du Code civil). Le délai de régularisation s’en trouve considérablement allongé.
Exemples de griefs reconnus par la jurisprudence
Griefs causés par l’irrégularité
Les tribunaux reconnaissent généralement deux types principaux de grief :
- Le défaut de comparution dû à une irrégularité dans la signification de l’acte. Par exemple, quand l’absence d’envoi par l’huissier de la lettre simple (prévue à l’article 658 du Code de procédure civile) a privé le destinataire de tout ou partie du délai légal d’appel (Civ. 2e, 26 nov. 1986, n° 85-13.834).
- L’exercice tardif d’un recours en raison d’une signification défectueuse du jugement.
En revanche, l’exception de nullité est rejetée quand l’irrégularité n’a pas empêché la partie de comparaître ou d’exercer un recours dans les délais. La jurisprudence est constante sur ce point (Civ. 3e, 24 oct. 2007, n° 06-19.379).
Autres griefs reconnus
La jurisprudence admet parfois d’autres types de grief :
- La difficulté à identifier l’adversaire en raison de l’omission d’une mention dans l’assignation.
- La difficulté à exécuter le jugement en cas d’absence ou d’inexactitude de la mention du domicile dans la déclaration d’appel (Civ. 2e, 14 juin 2001, n° 99-16.582).
- L’ignorance par le défendeur de l’état de liquidation de la société demanderesse, l’ayant empêché de vérifier ses pouvoirs (Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-24.192).
Ce qui ne constitue pas un grief
Les juges refusent de qualifier de grief :
- Le fait de ne pas pouvoir bénéficier d’une voie de procédure rapide en raison de l’indication, dans l’acte d’appel, de l’adresse professionnelle et non du domicile personnel (Civ. 2e, 25 nov. 2004, n° 02-12.829).
- L’ignorance par l’adjudicataire de l’identité de l’organisme destinataire du prix de vente, malgré une erreur dans la mention de cet organisme (Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-25.546).
Modalités procédurales de l’exception de nullité pour vice de forme
Moment d’invocation de l’exception
L’exception de nullité pour vice de forme doit être soulevée in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (article 112 du Code de procédure civile).
L’article 112 permet cependant de soulever l’exception au fur et à mesure de l’accomplissement des actes, pour ceux qui sont postérieurs à la défense au fond.
Toutes les irrégularités affectant un même acte doivent être soulevées simultanément (article 113 du Code de procédure civile).
La jurisprudence admet une exception à ces règles temporelles : l’exception reste recevable quand son auteur n’a eu connaissance de l’irrégularité que tardivement (Civ. 1re, 15 janv. 1991, n° 89-05.003).
Particularités dans le cadre de la mise en état
Dans le cadre d’une procédure avec mise en état devant le tribunal judiciaire ou la cour d’appel, l’exception de nullité doit être soulevée devant le juge ou le conseiller de la mise en état, par conclusions spéciales (articles 789 et 791 du Code de procédure civile).
Cette règle a été appliquée notamment dans un arrêt du 10 décembre 2020 (Civ. 2e, n° 19-22.609).
Particularité pour les mesures d’instruction : la nullité d’une expertise relève de la formation de jugement et non du juge de la mise en état, car elle constitue une défense au fond et non une exception de procédure (Civ. 2e, 31 janv. 2013, n° 10-16.910).
Absence de pouvoir du juge de relever d’office la nullité
Le Code de procédure civile ne précise pas si le juge peut relever d’office la nullité pour vice de forme. La jurisprudence a comblé cette lacune en décidant que le juge n’a pas ce pouvoir.
Cette position est constante depuis longtemps (Soc. 17 juin 2009, n° 08-41.358 ; Civ. 2e, 23 oct. 1991, n° 90-14.334).
Les professionnels du droit doivent accorder une attention particulière aux règles de nullité pour vice de forme. Un avocat peut préparer une riposte efficace quand l’acte adverse présente des vices de forme, mais aussi sécuriser ses propres actes. Cette maîtrise technique permet de transformer un point procédural en avantage stratégique. Pour bénéficier d’une analyse approfondie de vos actes de procédure ou déceler les failles dans ceux de votre adversaire, notre cabinet est à votre disposition.
Sources
- Code de procédure civile, articles 112 à 116
- Code civil, article 2241
- Civ. 3 mars 1955, JCP 1955.II.8654
- Civ. 3e, 3 oct. 1991, n° 89-12.943
- Civ. 2e, 20 oct. 2011, n° 10-24.109
- Civ. 2e, 26 nov. 1986, n° 85-13.834
- Civ. 3e, 24 oct. 2007, n° 06-19.379
- Civ. 2e, 14 juin 2001, n° 99-16.582
- Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-24.192
- Civ. 2e, 25 nov. 2004, n° 02-12.829
- Civ. 1re, 15 janv. 1991, n° 89-05.003
- Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-22.609
- Civ. 2e, 31 janv. 2013, n° 10-16.910
- Soc. 17 juin 2009, n° 08-41.358