Coincé avec un prestataire qui ne livre pas le service promis? Un artisan qui tarde à réaliser des travaux payés d’avance? L’injonction de faire représente une arme juridique encore méconnue mais potentiellement efficace.
Définition de l’injonction de faire
L’injonction de faire constitue une procédure judiciaire spécifique permettant d’obtenir l’exécution d’une obligation contractuelle. Elle se distingue par sa nature: elle ne vise pas le paiement d’une somme d’argent, mais l’accomplissement d’une prestation.
Dans son acception générale, l’injonction désigne « l’ordre, la prescription ou le commandement qui, émanant d’une autorité, doit être obligatoirement exécuté » selon le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu.
La définition technique renvoie plus précisément à la procédure spéciale organisée par les articles 1425-1 et suivants du Code de procédure civile. Cette procédure permet au créancier d’une obligation contractuelle de faire d’obtenir du juge qu’il enjoigne à son débiteur de l’exécuter en nature.
Cette voie de droit vise particulièrement:
- La livraison d’objets commandés
- La restitution de biens en dépôt
- La délivrance de documents contractuels
- L’exécution de prestations de services
Origine et évolution historique
L’injonction de faire s’inscrit dans une évolution relativement récente du droit français. Tandis que l’injonction de payer existait depuis les années 1930, l’injonction de faire n’a été introduite qu’en 1988.
Le décret n°88-209 du 4 mars 1988 a consacré cette procédure, modifiant le titre IV du livre III du Code de procédure civile. Cette création répondait au contexte de développement de la société de consommation et à la multiplication des petits litiges entre professionnels et consommateurs.
L’Institut national de la consommation avait proposé dès 1980 ce mécanisme, repris par la Commission de réforme du droit de la consommation en 1984. Le législateur a finalement retenu ces propositions quatre ans plus tard.
Depuis 1997, le Code de la consommation renvoie explicitement à cette procédure à l’article R.631-2 (ancien R.142-2).
Malgré les attentes, la procédure n’a pas connu le succès escompté. Sa légitimité s’est néanmoins renforcée avec l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, reconnaissant plus largement le droit du créancier à l’exécution forcée en nature.
L’injonction de faire à l’international
La France présente une certaine originalité avec ce mécanisme spécifique. En Belgique, par exemple, l’expression « injonction de faire » existe mais sans procédure dédiée comparable à celle du droit français. Le Code judiciaire belge connaît bien une « procédure sommaire d’injonction de payer » mais rien d’équivalent pour les obligations de faire.
Au Québec, le Code de procédure civile consacre un chapitre entier aux injonctions de faire ou de ne pas faire (articles 509 et suivants), distinguant les injonctions permanentes et interlocutoires. Ces procédures diffèrent néanmoins de l’injonction française et de son mécanisme d’inversion du contentieux.
D’autres pays européens pratiquent des techniques similaires. En Italie, le Code de procédure civile (article 639) prévoit une procédure sommaire pour certaines obligations. En Suède, la procédure d’assistance ordinaire (handräckning) s’applique notamment à diverses obligations de livraison ou d’exécution.
Le paradoxe de l’injonction de faire
La création de l’injonction de faire semblait contredire la logique de l’ancien article 1142 du Code civil, selon lequel « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur ».
Ce texte de 1804 était traditionnellement interprété comme empêchant l’exécution forcée des obligations de faire. Pourtant, le droit français a progressivement évolué pour favoriser l’exécution en nature plutôt que l’allocation de dommages-intérêts.
L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et sa loi de ratification du 20 avril 2018 ont consacré ce renversement en affirmant à l’article 1221 du Code civil que « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».
Curieusement, malgré cette évolution substantielle, le Code de procédure civile continue de parler d’injonction « de faire » alors que le Code civil a abandonné la distinction classique entre obligations de faire, de ne pas faire et de donner.
Si l’injonction de faire demeure une procédure relativement marginale dans la pratique, elle garde sa pertinence dans certains contentieux. Son utilisation adaptée peut éviter des procédures plus longues et coûteuses pour obtenir l’exécution d’obligations contractuelles.
Avant d’envisager cette voie, une analyse précise des conditions d’application s’impose. Un conseil juridique permettra d’évaluer la pertinence de cette procédure au regard des circonstances particulières de chaque situation contractuelle.
Sources
- Code de procédure civile, articles 1425-1 à 1425-9
- Code civil, article 1221 (issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016)
- Code de la consommation, article R.631-2
- Décret n°88-209 du 4 mars 1988
- LAHER Rudy, « Injonction de faire », Répertoire de procédure civile, Dalloz, décembre 2020
- CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, 13e édition, 2020, PUF