a person riding a skateboard on a city street

Le délai raisonnable de jugement : un droit fondamental souvent négligé

Table des matières

Dans l’attente d’une décision de justice, le temps peut sembler s’étirer indéfiniment. Ce sentiment trouve son écho dans la célèbre citation de La Bruyère : « Le devoir des juges est de rendre la justice, leur métier, de la différer ». Pourtant, la qualité de la justice ne se mesure pas uniquement à la justesse de ses décisions, mais aussi à sa capacité à les rendre dans un temps acceptable.

L’exigence européenne et nationale

Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable constitue l’une des garanties fondamentales de notre système judiciaire. Cette exigence, consacrée tant au niveau européen que national, vise à éviter que les justiciables ne restent trop longtemps dans l’incertitude juridique.

L’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) affirme que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue […] dans un délai raisonnable ». Ce principe a été intégré dans notre droit interne, notamment à l’article L. 111-3 du code de l’organisation judiciaire qui énonce que « les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable ».

La notion de délai raisonnable : une appréciation au cas par cas

Le concept de « délai raisonnable » reste volontairement souple et indéterminé. Il ne correspond pas à une durée fixe mais s’apprécie selon les circonstances propres à chaque affaire.

Complexité de l’affaire

Premier critère d’appréciation : la complexité de l’affaire. Une procédure impliquant de nombreuses parties, nécessitant des expertises techniques ou soulevant des questions juridiques nouvelles justifie naturellement un délai plus long.

Dans un arrêt du 15 juillet 1982, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu qu’un délai de 7 ans n’était pas déraisonnable pour une affaire commerciale particulièrement complexe impliquant plusieurs sociétés et des opérations financières internationales (CEDH, 15 juillet 1982, Eckle c/ Allemagne).

Comportement des parties

Le comportement des parties peut allonger les délais. Un plaideur multipliant les incidents de procédure ou tardant à produire ses écritures ne peut se plaindre d’une durée excessive qu’il a lui-même provoquée.

L’article 2 du code de procédure civile rappelle cette responsabilité en énonçant qu’il « appartient aux parties d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis ». Le juge peut sanctionner l’inaction des parties par diverses mesures, dont la radiation de l’affaire ou le rejet des pièces tardives (articles 470 et 135 du code de procédure civile).

Comportement des autorités judiciaires

La vigilance du juge quant à la durée de la procédure constitue un élément central d’appréciation. L’article 3 du code de procédure civile lui confie explicitement la mission de veiller « au bon déroulement de l’instance » et lui donne « le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires ».

Ce critère s’étend à l’organisation même du système judiciaire. La Cour européenne considère que les États doivent organiser leur système judiciaire de manière à permettre aux juridictions de respecter l’exigence du délai raisonnable. Une surcharge chronique des tribunaux ou un manque de moyens ne constituent pas des justifications recevables.

Enjeu du litige pour l’intéressé

Certaines affaires exigent une célérité particulière en raison de leur nature ou de leurs conséquences pour les parties. Il s’agit notamment des litiges concernant l’état des personnes, la garde d’enfants, les procédures prud’homales ou les contentieux impliquant des personnes vulnérables.

La jurisprudence européenne admet ainsi qu’une « diligence exceptionnelle » s’impose dans les affaires concernant l’autorité parentale (CEDH, 23 septembre 1994, Hokkanen c/ Finlande).

La prise en compte du temps écoulé

L’appréciation du délai raisonnable impose de considérer l’intégralité de la procédure, depuis la saisine de la première juridiction jusqu’à l’exécution effective de la décision.

L’article 2242 du code civil précise que cet effet interruptif « se prolonge jusqu’à l’extinction de l’instance ». Une jurisprudence constante de la Cour européenne considère que le délai ne s’arrête pas au prononcé du jugement mais inclut la phase d’exécution, constituant « le prolongement obligé du procès » (CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce).

Les phases préalables obligatoires (recours gracieux, tentative de conciliation) sont également prises en compte dans le calcul du délai. Cette vision globale empêche le morcellement artificiel de la procédure pour en masquer la durée totale.

Les sanctions de la violation du délai raisonnable

Contrairement à d’autres irrégularités procédurales, le dépassement du délai raisonnable n’entraîne pas l’annulation de la procédure. La sanction principale réside dans la réparation pécuniaire du préjudice moral subi par le justiciable.

Au niveau européen, l’article 41 de la CEDH prévoit une « satisfaction équitable » pour réparer le dommage causé par cette violation. En droit interne, l’action en responsabilité contre l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice constitue la voie de recours appropriée.

Cette action, régie par les articles L. 141-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire, permet d’engager la responsabilité de l’État en cas de « déni de justice » ou de « faute lourde ». La jurisprudence a progressivement assimilé le dépassement du délai raisonnable à un déni de justice, facilitant l’indemnisation des justiciables.

Le montant de l’indemnisation varie selon la durée excessive de la procédure, le comportement des parties et le préjudice effectivement subi. Dans certains cas, la simple reconnaissance de la violation peut constituer une réparation suffisante.

Dans le domaine pénal, des mécanismes spécifiques existent : la personne placée en détention provisoire doit être remise en liberté si sa détention excède une durée raisonnable. L’article 144-1 du code de procédure pénale prévoit que « la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable ».

Le délai raisonnable : un équilibre délicat

L’exigence du délai raisonnable rappelle cette tension permanente entre célérité et qualité de la justice. Le juge doit disposer du temps nécessaire pour examiner l’affaire tout en évitant des lenteurs injustifiées.

Pour assurer cet équilibre, diverses solutions ont été mises en œuvre : développement des procédures accélérées, renforcement des pouvoirs du juge dans la conduite de l’instance, promotion des modes alternatifs de règlement des litiges.

L’augmentation constante du contentieux et les contraintes budgétaires rendent ce défi plus complexe. Pourtant, une justice rendue tardivement risque de perdre son efficacité et sa légitimité aux yeux des justiciables.

Le respect du délai raisonnable n’est pas qu’une exigence technique. Il touche à l’essence même de la justice. Pour certains litiges, l’intervention rapide d’un avocat peut aider à accélérer la procédure en évitant les erreurs et les retards inutiles. Notre cabinet reste disponible pour vous accompagner et veiller au respect de vos droits procéduraux.

Sources

  • Convention européenne des droits de l’homme, article 6§1
  • Code de l’organisation judiciaire, article L. 111-3 et L. 141-1
  • Code de procédure civile, articles 2, 3, 135, 470
  • Code civil, article 2242
  • Code de procédure pénale, article 144-1
  • CEDH, 15 juillet 1982, Eckle c/ Allemagne
  • CEDH, 23 septembre 1994, Hokkanen c/ Finlande
  • CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce
  • Répertoire de procédure civile – Délai, Yves Strickler, février 2019, Dalloz

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR