La justice offre parfois des outils discrets mais redoutables. L’ordonnance sur requête appartient à cette catégorie. Mesure provisoire rendue sans débat contradictoire, elle permet d’agir vite et discrètement quand la situation l’exige. Son efficacité repose sur l’effet de surprise qu’elle procure.
Définition et place dans notre système judiciaire
L’ordonnance sur requête se définit juridiquement comme « une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse » (article 493 du Code de procédure civile). Elle s’intègre aux procédures d’urgence aux côtés du référé, mais s’en distingue par son caractère non contradictoire.
Cette procédure offre une voie d’action judiciaire rapide quand attendre un débat contradictoire compromettrait l’efficacité de la mesure sollicitée.
Une invention de la pratique devenue institution
Ce mécanisme trouve ses origines dans l’initiative de deux magistrats du tribunal civil de la Seine au 19ème siècle : Bertin et de Belleyme. Le second, président de cette juridiction de 1829 à 1856, introduisit l’ordonnance sur requête dans la pratique judiciaire et ébaucha son régime.
Pendant longtemps, le législateur ignora cette création prétorienne. Il fallut attendre le décret n°71-740 du 9 septembre 1971, puis le nouveau Code de procédure civile pour que l’institution soit officiellement consacrée et son régime détaillé.
Les avantages de discrétion et d’efficacité ont ensuite conduit à une multiplication des cas d’application, tant par voie législative que par extension jurisprudentielle sur le fondement de l’article 812 du Code de procédure civile.
Ordonnances nommées et innommées : une distinction clé
La distinction entre ordonnances sur requête « nommées » et « innommées » structure profondément cette institution.
Les ordonnances nommées reposent sur des textes spécifiques prévoyant expressément cette procédure. Exemples :
- Mesures urgentes pour protéger les intérêts d’une famille (article 220-1 du Code civil)
- Constatation de contrefaçon (article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle)
- Nomination d’un administrateur provisoire en copropriété (loi du 10 juillet 1965)
Les ordonnances innommées s’appuient sur l’article 812 alinéa 2 du Code de procédure civile, qui permet au président du tribunal judiciaire d’ordonner « sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement ».
Cette distinction emporte des conséquences pratiques majeures, notamment sur la motivation des circonstances justifiant la dérogation au contradictoire.
Trois caractéristiques essentielles
- Son caractère provisoire : Elle n’a pas autorité de chose jugée au principal et ne lie pas le juge du fond. Le juge peut revenir sur sa décision s’il apparaît qu’elle n’était pas justifiée (article 496 du Code de procédure civile).
- L’absence de contradiction : La partie adverse n’est pas appelée. Elle pourra ultérieurement contester la mesure par la voie du « référé-rétractation » (article 496, alinéa 2).
- L’urgence : Explicitement requise pour les ordonnances innommées (article 812), elle caractérise de fait la plupart des situations justifiant ces mesures.
Applications pratiques multiples
L’ordonnance sur requête intervient dans des contextes variés :
- Mesures probatoires : constats d’huissier (adultère, concurrence déloyale), mesures d’instruction avant tout procès (article 145 du Code de procédure civile)
- Mesures conservatoires : saisies conservatoires, sûretés judiciaires
- Mesures d’administration : nomination d’administrateurs provisoires
- Mesures d’expulsion : occupants sans droit ni titre, manifestants (depuis l’arrêt Ferodo, Soc. 17 mai 1977)
L’arrêt Ferodo de 1977 a notamment consacré la possibilité d’expulser par ordonnance sur requête des personnes impossibles à identifier individuellement, ouvrant une voie procédurale précieuse dans certaines situations de crise.
Quand privilégier cette voie procédurale ?
L’ordonnance sur requête s’impose principalement dans trois situations :
- Absence d’adversaire identifiable : impossibilité pratique d’assigner une personne
- Nécessité d’un effet de surprise : risque de disparition de preuves, déplacement d’actifs
- Impossibilité d’identifier tous les adversaires : occupants illicites non identifiés
Pour les ordonnances innommées, le requérant doit démontrer ces circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire.
Un avocat évaluera les chances de succès de cette procédure et guidera dans le choix entre référé et requête, cette dernière restant subsidiaire au référé contradictoire quand les textes prévoient les deux options.
Pour toute situation exigeant célérité et discrétion, consulter rapidement un professionnel permet souvent de préserver des droits qui pourraient être irrémédiablement compromis par la lenteur ou la publicité d’une procédure ordinaire.
Sources
- Article 493 du Code de procédure civile : définition générale de l’ordonnance sur requête
- Article 812 du Code de procédure civile : pouvoir du président du tribunal judiciaire en matière d’ordonnance sur requête
- Arrêt Ferodo, Chambre sociale de la Cour de cassation, 17 mai 1977 : consécration des ordonnances sur requête pour l’expulsion de personnes non identifiées
- Décret n°71-740 du 9 septembre 1971 : première consécration législative de l’ordonnance sur requête
- Articles 145, 496 et 497 du Code de procédure civile : régime procédural des ordonnances sur requête
- Sylvie PIERRE-MAURICE, « Ordonnance sur requête et matière gracieuse », Dalloz, 2003 : étude doctrinale approfondie sur la nature juridique de l’ordonnance sur requête