La sentence arbitrale a été rendue, mettant un terme, en principe, au litige qui opposait les parties. Mais que faire si vous estimez que cette décision est entachée d’une irrégularité grave ou viole des principes fondamentaux ? Est-ce véritablement la fin du chemin procédural ? Si l’arbitrage vise la finalité et l’efficacité, le droit français reconnaît néanmoins la possibilité de contester une sentence arbitrale internationale, mais dans un cadre très strict et pour des motifs limités. Il ne s’agit jamais de rejuger l’affaire au fond. Cet article détaille les différentes voies de recours ouvertes en France contre les sentences arbitrales internationales, en distinguant selon que la sentence a été rendue en France ou à l’étranger.
Le principe : des recours limités et pas de révision au fond
La première règle à comprendre est fondamentale : en matière d’arbitrage international, il n’existe pas d’appel permettant une révision au fond de la sentence par un juge étatique. L’article 1518 du Code de procédure civile est formel sur ce point. Le juge français saisi d’un recours ne vérifiera pas si l’arbitre a bien jugé en fait ou en droit, s’il a correctement interprété le contrat ou apprécié les preuves. L’objectif est de respecter la volonté des parties d’échapper à la justice étatique pour le fond de leur affaire.
Les recours existants visent uniquement à contrôler la régularité de la procédure arbitrale ou la compatibilité de la sentence avec certains principes essentiels. Ces recours sont limitativement énumérés par la loi, et les parties ne peuvent en créer d’autres par contrat (c’est une question d’ordre public).
De plus, un principe essentiel, codifié à l’article 1466 du Code de procédure civile (applicable en international via l’article 1506), est celui de la renonciation à se prévaloir des irrégularités. Une partie qui a connaissance d’une irrégularité au cours de la procédure arbitrale (par exemple, un doute sur l’indépendance d’un arbitre, une violation du contradictoire) mais qui s’abstient, sans motif légitime, de l’invoquer devant le tribunal arbitral en temps utile, est réputée y avoir renoncé. Elle ne pourra plus soulever ce grief devant le juge étatique lors d’un recours contre la sentence. La loyauté procédale impose d’agir sans attendre la décision finale.
Sentences rendues en France : le recours en annulation (Art. 1520)
Lorsqu’une sentence arbitrale internationale a été rendue en France, la seule voie de recours possible est le recours en annulation. Il doit être porté devant la Cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue.
Ce recours n’est ouvert que pour cinq motifs limitativement énumérés à l’article 1520 du Code de procédure civile :
- Le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent. Ce motif permet au juge de l’annulation de contrôler pleinement la compétence de l’arbitre. Il va réexaminer en fait et en droit l’existence, la validité et la portée de la convention d’arbitrage, ainsi que l’arbitrabilité du litige (c’est-à-dire si le litige pouvait légalement être soumis à l’arbitrage). Si le juge estime que l’arbitre n’était pas compétent (ou qu’il s’est déclaré incompétent alors qu’il l’était), il annule la sentence.
- Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué. Ce cas vise les vices affectant la composition même du tribunal. Il peut s’agir d’une violation des règles de désignation convenues par les parties ou prévues par le règlement d’arbitrage applicable. Il peut aussi s’agir d’un manquement aux exigences d’indépendance ou d’impartialité d’un arbitre, notamment s’il n’a pas respecté son obligation de révélation et que le fait non révélé était de nature à créer un doute légitime. Le respect du principe d’égalité des parties dans la désignation des arbitres relève également de ce contrôle.
- Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée. Ce motif sanctionne le non-respect par l’arbitre des limites de sa mission, telles que définies par la convention d’arbitrage et les demandes des parties. Sont visés :
- L’ultra petita : l’arbitre a accordé plus que ce qui était demandé, ou a statué sur des points non soumis à son arbitrage.
- Le non-respect des règles de procédure convenues par les parties (si ce non-respect est substantiel).
- Le non-respect du délai impératif éventuellement fixé par les parties pour rendre la sentence. En revanche, ce motif ne permet pas de critiquer l’appréciation des faits ou l’application du droit par l’arbitre, ni une éventuelle « dénaturation » des documents ou des clauses du contrat. L’omission de statuer (infra petita) n’est pas non plus, en principe, un cas d’annulation mais peut ouvrir droit à une demande de complément de sentence (voir plus bas).
- Le principe de la contradiction n’a pas été respecté. Ce cas sanctionne les violations graves des droits de la défense. Il faut que l’une des parties n’ait pas été mise en mesure de faire valoir ses arguments ou de discuter les pièces et arguments de l’adversaire dans des conditions satisfaisantes. L’égalité des armes entre les parties doit également avoir été respectée. Les exemples peuvent inclure le refus d’entendre un témoin essentiel sans justification, la prise en compte de pièces non communiquées, ou des délais excessivement courts ne permettant pas de répondre utilement.
- La reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international. C’est le contrôle ultime de la compatibilité de la sentence avec les valeurs fondamentales de l’ordre juridique français dans ses relations internationales. Il ne s’agit pas de l’ordre public interne, mais d’un noyau dur de principes essentiels (ordre public substantiel : interdiction de la corruption, du trafic illicite ; ordre public procédural : respect des droits fondamentaux de la défense, impartialité…). Le juge français exerce ici un contrôle approfondi : il examine la solution retenue par la sentence et peut vérifier les faits pour s’assurer qu’elle ne heurte pas de manière caractérisée (sans qu’une violation « flagrante » soit désormais exigée) ces principes fondamentaux. Les litiges relatifs au droit de la concurrence, par exemple, sont souvent examinés sous cet angle.
Si l’un de ces cinq motifs est retenu par la Cour d’appel, la sentence est annulée (totalement ou partiellement si le vice n’affecte qu’une partie divisible de la décision). Elle est alors considérée comme n’ayant jamais existé dans l’ordre juridique français.
La renonciation au recours en annulation (Art. 1522)
Une innovation importante de la réforme de 2011 est la possibilité pour les parties, par une convention spéciale, de renoncer expressément au recours en annulation contre une sentence rendue en France en matière internationale (article 1522 du Code de procédure civile). Cette renonciation doit être spécifique à ce recours ; une clause générale de renonciation à toutes voies de recours (comme on en trouve parfois dans les règlements d’arbitrage) ne suffit pas. Contrairement à d’autres législations (Suisse, Belgique), le droit français n’exige pas que les parties n’aient aucun lien avec la France pour pouvoir renoncer.
Attention, cette renonciation a une portée limitée. Elle empêche l’annulation de la sentence en France, mais elle n’empêche pas de contester l’ordonnance d’exequatur si l’exécution est demandée en France. Dans ce cas, la partie peut former un appel contre l’ordonnance d’exequatur en invoquant les cinq mêmes motifs que ceux prévus pour l’annulation (article 1522, alinéa 2). L’effet est différent : si l’appel réussit, la sentence ne sera pas exécutable en France, mais elle ne sera pas annulée et conservera sa validité juridique, pouvant potentiellement être exécutée dans d’autres pays.
Sentences rendues à l’étranger : l’appel de la décision sur l’exequatur (Art. 1525)
Lorsqu’une sentence arbitrale internationale a été rendue à l’étranger, elle ne peut pas faire l’objet d’un recours en annulation direct devant les juridictions françaises. Le seul contrôle possible en France intervient si une partie demande sa reconnaissance ou son exécution. Le recours est alors dirigé non pas contre la sentence elle-même, mais contre la décision du juge français (le Président du TGI de Paris) qui a statué sur cette demande de reconnaissance ou d’exequatur (article 1525).
Deux scénarios :
- Appel contre l’ordonnance de refus d’exequatur : Si le juge a refusé l’exequatur (ce qui ne peut se produire que si la reconnaissance/exécution est manifestement contraire à l’ordre public international – article 1514), la partie qui sollicitait l’exequatur peut faire appel de ce refus devant la Cour d’appel de Paris (article 1523). La Cour examinera si le refus était justifié.
- Appel contre l’ordonnance accordant l’exequatur : Si le juge a accordé l’exequatur, la partie contre qui l’exécution est poursuivie peut faire appel de cette ordonnance devant la Cour d’appel de Paris. La Cour examinera alors si l’exequatur aurait dû être refusé, en se fondant exclusivement sur les cinq motifs prévus à l’article 1520 (les mêmes que pour l’annulation d’une sentence rendue en France).
Il est crucial de rappeler la position libérale du droit français : le fait qu’une sentence ait été annulée dans son pays d’origine n’est pas en soi un motif de refus d’exécution en France (jurisprudence Hilmarton et Putrabali). Le juge français exerce son propre contrôle au regard des motifs prévus par le droit français.
Procédure et effets des recours
Que ce soit pour le recours en annulation ou l’appel de l’ordonnance d’exequatur, la procédure est portée devant la Cour d’appel compétente. Le délai pour agir est d’un mois à compter de la notification (généralement par signification d’huissier) de la sentence (pour l’annulation) ou de la décision sur l’exequatur (pour l’appel), ce délai étant augmenté pour les parties résidant à l’étranger. La notification doit mentionner le délai et les modalités du recours pour faire courir le délai.
Effet majeur : comme vu précédemment (article 6), l’exercice de ces recours n’a pas d’effet suspensif (article 1526). La sentence reste exécutable si l’exequatur a été obtenu, sauf si le Premier Président de la Cour d’appel ou le Conseiller de la mise en état ordonne l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution en cas de risque de préjudice grave pour l’une des parties.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel sur le recours en annulation ou sur l’appel de l’ordonnance d’exequatur est susceptible d’un pourvoi en cassation, limité aux questions de droit.
Les autres recours « correctifs »
Au-delà des recours principaux visant à anéantir ou empêcher l’exécution de la sentence, il existe d’autres mécanismes plus spécifiques :
- Interprétation, Rectification d’erreur matérielle, Complément pour omission de statuer : Prévus par l’article 1485 (applicable via 1506 sauf accord contraire), ils permettent de retourner devant le même tribunal arbitral (s’il peut être réuni) pour clarifier un point obscur, corriger une simple coquille ou obtenir une décision sur un point qui aurait été oublié. La demande doit être faite dans les 3 mois de la notification de la sentence.
- Tierce opposition : Ce recours, qui permet à un tiers dont les droits sont lésés par une décision de la contester, n’est pas ouvert contre une sentence arbitrale internationale en droit français. Les tiers doivent utiliser les voies de droit commun si leurs intérêts sont affectés par l’exécution de la sentence.
- Recours en révision : Prévu par l’article 1502 (applicable via 1506 sauf accord contraire), ce recours exceptionnel permet de demander au tribunal arbitral (s’il peut être réuni) de rétracter sa sentence si l’une des conditions très strictes de l’article 595 du Code de procédure civile est remplie (par exemple, découverte d’une fraude commise au cours de l’instance arbitrale, production de pièces décisives retenues par l’adversaire…). Il n’est ouvert que si la sentence n’est plus susceptible d’un autre recours (annulation ou appel).
En définitive, si la sentence arbitrale internationale jouit d’une grande stabilité, le droit français ménage des voies de recours ciblées pour sanctionner les irrégularités procédurales les plus graves ou les violations de l’ordre public international, tout en préservant le principe essentiel de l’absence de révision au fond.
Contester une sentence arbitrale obéit à des règles strictes et des délais courts. Que vous souhaitiez initier un recours ou défendre une sentence, notre cabinet vous apporte son expertise pour évaluer vos chances et mener la procédure.
Sources
- Code de procédure civile (notamment articles 593-603, 1466, 1485, 1502, 1506, 1514, 1518-1527)
- Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (1958) (notamment Article V)
- Jurisprudence clé (mentionnée à titre indicatif : Cass. Civ. 1ère, 23 mars 1994, Hilmarton; Cass. Civ. 1ère, 29 juin 2007, Putrabali)