Rejoindre un réseau de franchise représente un engagement personnel et financier considérable. C’est une aventure entrepreneuriale qui peut s’avérer fructueuse, mais dont le succès dépend en grande partie de la solidité des bases sur lesquelles elle repose. La phase qui précède la signature du contrat, ainsi que la conclusion elle-même, sont des moments déterminants. Une information incomplète, une négociation déséquilibrée ou un contrat mal appréhendé peuvent transformer le rêve en désillusion. Cet article vous guide à travers les étapes essentielles de la formation du contrat de franchise, en mettant l’accent sur les points de vigilance et les droits qui vous protègent en tant que futur franchisé. Nous aborderons l’information précontractuelle, la négociation, les avant-contrats possibles et les conditions requises pour qu’un contrat de franchise soit valablement formé.
L’information précontractuelle : une étape fondamentale
Avant même de penser à signer, la loi française impose au franchiseur une obligation d’information détaillée envers le candidat. L’objectif est de vous permettre de vous engager en pleine connaissance de cause.
L’obligation légale d’information : la loi « Doubin »
Le dispositif clé est souvent appelé « loi Doubin », dont les dispositions figurent aujourd’hui principalement à l’article L. 330-3 du Code de commerce. Cette obligation s’impose à toute personne qui met à disposition une marque, un nom commercial ou une enseigne en exigeant du cocontractant un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité. La franchise est donc directement concernée. Cette obligation ne se limite pas à la première signature ; elle s’applique également en cas de renouvellement du contrat ou de cession de celui-ci à un nouveau franchisé.
Le Document d’Information Précontractuel (DIP) : que doit-il contenir ?
L’obligation d’information se matérialise par la remise d’un Document d’Information Précontractuel, le fameux DIP. Ce document doit vous être communiqué au moins vingt jours avant la signature du contrat, ou avant tout versement d’une somme d’argent exigée par le franchiseur (par exemple, pour réserver une zone). Ce délai est incompressible et vise à vous laisser le temps de l’analyser sereinement, éventuellement avec l’aide de conseils (avocat, expert-comptable).
Que trouve-t-on dans ce DIP ? L’article R. 330-1 du Code de commerce liste les informations obligatoires. Elles concernent notamment :
- L’identité et l’expérience du franchiseur (ancienneté de l’entreprise, historique…).
- L’état du marché concerné (national et local).
- Les informations sur le réseau (nombre de franchisés, liste des entreprises, sorties du réseau l’année précédente…).
- Les éléments financiers (nature et montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne que vous devrez engager avant de démarrer).
- Les principales clauses du contrat proposé (durée, conditions de renouvellement, résiliation, cession, exclusivités…).
Une attention particulière doit être portée à la présentation du marché local. La jurisprudence a précisé qu’elle ne doit pas être générique mais adaptée à la zone d’implantation envisagée, incluant idéalement des informations sur la population, la concurrence locale, etc. De même, les informations sur les entreprises ayant quitté le réseau doivent être précises (causes de la sortie : expiration, résiliation, annulation). Le franchiseur doit prouver qu’il vous a bien remis ce document complet dans les délais. Une clause dans le contrat final où vous reconnaissez avoir reçu le DIP n’est pas une preuve suffisante pour le franchiseur et ne vous empêche pas de contester ultérieurement un défaut d’information.
Les comptes prévisionnels : prudence requise
C’est un point névralgique et source fréquente de litiges. Le franchiseur est-il obligé de fournir des comptes prévisionnels, c’est-à-dire une estimation du chiffre d’affaires et de la rentabilité future de votre activité ? La loi (article L. 330-3) n’impose pas explicitement la fourniture d’une étude de marché prévisionnelle chiffrée. La jurisprudence confirme cette absence d’obligation légale stricte de fournir des prévisionnels.
Cependant, si le franchiseur choisit de vous communiquer de tels chiffres (directement ou en vous fournissant les éléments pour les établir), il engage sa responsabilité. Ces prévisions doivent être sincères et établies sur des bases sérieuses et réalistes. Des chiffres exagérément optimistes, déconnectés de la réalité du marché local ou des performances passées d’unités comparables du réseau, peuvent caractériser un manquement grave du franchiseur. De tels manquements, parmi d’autres obligations du franchiseur, peuvent entraîner des sanctions. Vous pourriez alors, sous certaines conditions, obtenir l’annulation du contrat ou des dommages et intérêts. La question de savoir si une erreur sur la rentabilité, même non provoquée par des chiffres erronés du franchiseur, peut vicier votre consentement reste cependant débattue (nous y reviendrons). Dans tous les cas, une analyse critique de ces prévisionnels, idéalement avec un expert-comptable, s’impose.
Attention aux documents publicitaires
Les plaquettes commerciales, les informations diffusées sur les salons ou sur internet par le franchiseur peuvent également avoir une importance. Si ces documents sont suffisamment précis et détaillés et qu’ils ont influencé votre décision de contracter, la jurisprudence admet qu’ils peuvent acquérir une valeur contractuelle. Le franchiseur serait alors tenu par les promesses ou les affirmations contenues dans sa publicité. Soyez donc attentif à conserver ces éléments.
Que risque le franchiseur en cas de manquement ?
Si le franchiseur manque à son obligation d’information précontractuelle (absence de DIP, DIP incomplet ou erroné remis tardivement, informations trompeuses…), quelles sont les conséquences ? La sanction n’est pas automatique. La jurisprudence considère que le manquement à l’article L. 330-3 n’entraîne la nullité du contrat que s’il a vicié votre consentement (erreur ou dol). Il faut prouver que si vous aviez eu l’information correcte, vous n’auriez pas contracté, ou auriez contracté à des conditions différentes.
Même sans aller jusqu’à la nullité, un manquement du franchiseur peut engager sa responsabilité civile. Cette situation, bien que précoce, peut préfigurer les complexités de la cessation du contrat de franchise et ses enjeux. Vous pourriez alors obtenir des dommages et intérêts, correspondant généralement à la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses. Cela peut couvrir une partie des frais engagés inutilement. L’article 1112-1 du Code civil, issu de la réforme de 2016, consacre d’ailleurs une obligation générale d’information précontractuelle pour toute partie qui connaît une information déterminante pour le consentement de l’autre, ce qui pourrait renforcer les possibilités d’action.
La phase de négociation et les avant-contrats
Une fois l’information reçue et analysée, vient le temps de la négociation, même si dans les faits, la marge de manœuvre pour modifier un contrat type de franchise est souvent limitée. Il est donc crucial d’en comprendre toutes les clauses, notamment celles relatives aux obligations du franchisé.
Négocier le contrat de franchise : liberté et bonne foi
Le principe est celui de la liberté des négociations. Chacun est libre d’entamer, de conduire et de rompre les pourparlers contractuels. Cependant, cette liberté est encadrée par l’exigence de bonne foi, rappelée à l’article 1104 du Code civil. Rompre brutalement des négociations avancées sans motif légitime peut constituer une faute.
En cas de rupture fautive, l’indemnisation est toutefois limitée. L’article 1112 du Code civil précise que la réparation du préjudice ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. Vous pourriez obtenir le remboursement de certains frais engagés (études, déplacements…) mais pas l’équivalent du gain espéré.
Pendant les négociations, une obligation de confidentialité pèse également sur les informations échangées (article 1112-2 du Code civil).
Les avant-contrats utiles
Pour sécuriser la phase de négociation ou préparer la signature définitive, divers avant-contrats peuvent être conclus :
- Accord de confidentialité : Indispensable si le franchiseur vous communique des éléments de son savoir-faire ou des données stratégiques avant la signature.
- Contrat de réservation de zone : Fréquent, il vous garantit l’exclusivité sur un territoire pendant une période donnée, le temps pour vous de finaliser votre projet (trouver un local, un financement…). En contrepartie, vous versez une somme (indemnité d’immobilisation). L’article L. 330-3 du Code de commerce impose que les prestations assurées en contrepartie et les obligations en cas de dédit soient précisées par écrit. Attention aux clauses stipulant que cette somme reste acquise au franchiseur même si le contrat final n’est pas signé ; leur validité peut être discutée si la non-signature n’est pas de votre fait.
- Promesse de contrat sous condition suspensive : Le contrat de franchise peut être signé mais son entrée en vigueur subordonnée à la réalisation d’un événement futur et incertain, comme l’obtention d’un prêt bancaire ou la signature d’un bail commercial. Si la condition ne se réalise pas sans faute de votre part, le contrat est censé n’avoir jamais existé (article 1304-6 du Code civil).
Les conditions pour un contrat valide
Pour qu’un contrat de franchise soit valable juridiquement, il doit respecter les conditions générales de validité des contrats, posées par l’article 1128 du Code civil.
Le consentement : doit être libre et éclairé
Votre consentement, comme celui du franchiseur, ne doit pas être vicié. Trois vices du consentement peuvent entraîner la nullité du contrat :
- L’erreur : C’est une fausse représentation de la réalité. Pour être une cause de nullité, l’erreur doit porter sur les qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant et être excusable (vous ne pouviez pas raisonnablement l’éviter). L’erreur sur la rentabilité économique de la franchise est un cas particulier. Pendant un temps, la jurisprudence semblait admettre qu’une erreur substantielle sur la rentabilité, même non provoquée par le franchiseur, pouvait justifier l’annulation. Toutefois, une décision plus récente (Com. 24 juin 2020) a restreint cette possibilité, indiquant que l’erreur sur la rentabilité ne peut entraîner la nullité que si elle procède de données établies et communiquées par le franchiseur. Cela rapproche l’erreur sur la rentabilité du dol, limitant les cas d’annulation pour erreur « spontanée » du franchisé sur ses perspectives de gain.
- Le dol : C’est une erreur provoquée par des manœuvres, des mensonges ou la dissimulation intentionnelle d’une information déterminante (réticence dolosive) par le cocontractant (article 1137 du Code civil). Si le franchiseur vous a trompé volontairement (par exemple en fournissant des prévisionnels sciemment faux, en cachant des informations négatives importantes sur le réseau ou le marché local…), le contrat peut être annulé. Contrairement à l’erreur simple, l’erreur provoquée par un dol est toujours excusable et peut porter sur la valeur ou un simple motif.
- La violence : C’est le fait d’extorquer le consentement par la contrainte. Elle peut être physique ou morale. L’article 1143 du Code civil vise spécifiquement l’abus de l’état de dépendance dans lequel se trouve le cocontractant, obtenant de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit sans cette contrainte et en tirant un avantage manifestement excessif. Bien que plus difficile à prouver dans le contexte de la formation initiale d’une franchise, cette violence économique pourrait être invoquée dans certaines situations de renouvellement forcé, par exemple.
La capacité des parties
Chaque partie doit avoir la capacité juridique de contracter. Pour une personne physique qui se lance en franchise, cela signifie généralement être majeur et ne pas faire l’objet d’une mesure de protection (tutelle, curatelle) l’empêchant de gérer ses affaires. Si le franchisé crée une société, c’est la capacité de la société et de son représentant légal qui importe.
Un contenu licite et certain
Le contrat doit avoir un contenu (objet) licite et certain (article 1128 du Code civil).
- Objet déterminé ou déterminable : Les obligations de chaque partie doivent être claires. Le savoir-faire transmis doit être suffisamment identifié. Concernant le prix des marchandises fournies par le franchiseur (si applicable), l’article 1164 du Code civil permet qu’il soit fixé unilatéralement par le franchiseur, à charge pour lui de motiver le montant en cas de contestation et de ne pas en abuser (sanction possible : résiliation ou indemnisation).
- Contrepartie non illusoire ou dérisoire : L’engagement de chaque partie doit avoir une contrepartie réelle dans l’engagement de l’autre (article 1169 du Code civil). Si le savoir-faire promis s’avère inexistant, banal ou non éprouvé, la contrepartie de vos obligations financières (droit d’entrée, redevances) disparaît, et le contrat peut être annulé pour défaut de cause/contrepartie.
- Licéité : Le contrat ne doit pas être contraire à l’ordre public (article 1162 du Code civil). Cela inclut le respect des règles de concurrence. Certaines clauses (exclusivité d’approvisionnement très large, interdiction totale de vente en ligne…) pourraient être jugées illicites si elles restreignent excessivement la concurrence sans justification légitime liée à la nature même de la franchise (protection du savoir-faire, image du réseau).
La phase de formation du contrat est dense et technique. Prendre le temps de bien comprendre chaque étape, de vérifier les informations reçues et d’analyser le projet de contrat est essentiel pour démarrer votre activité de franchisé sur des bases saines.
Un conseil adapté à votre situation durant cette phase préparatoire pourrait vous faire économiser temps et ressources. Contactez-nous pour en savoir plus.
Sources
- Code de commerce, notamment les articles L. 330-3 et R. 330-1 (Information précontractuelle).
- Code civil, notamment les articles 1104 (Bonne foi), 1112 (Négociation), 1112-1 (Obligation d’information), 1128 (Conditions de validité), 1130-1144 (Vices du consentement), 1162 (Licéité du contenu), 1163-1165 (Objet et prix), 1169 (Contrepartie), 1171 (Clause créant un déséquilibre significatif), 1178-1187 (Nullité et caducité), 1304-1304-7 (Condition suspensive).