Vous avez décidé, par une clause dans votre contrat ou par un accord postérieur au litige (le compromis), de confier votre différend commercial à l’arbitrage. C’est une étape décisive. Mais ensuite, que se passe-t-il concrètement ? Comment cette justice privée fonctionne-t-elle au quotidien ? L’idée d’une procédure moins formelle que devant les tribunaux peut séduire, mais elle suscite aussi des interrogations légitimes sur son déroulement, ses acteurs et les règles applicables. Cet article vise à démystifier l’instance arbitrale en décrivant ses grandes phases, depuis la constitution du tribunal jusqu’à la décision finale, en passant par le rôle des éventuelles institutions et les règles essentielles qui gouvernent le processus.
La mise en place du tribunal arbitral
La toute première étape, une fois la décision d’arbitrer prise et le litige identifié, consiste à constituer le « tribunal », c’est-à-dire à désigner la ou les personnes qui vont juger l’affaire : les arbitres.
La méthode de désignation est normalement prévue par la convention d’arbitrage elle-même, comme l’exige l’article 1444 du Code de procédure civile. Les possibilités sont variées : les parties peuvent nommer directement le ou les arbitres, convenir qu’elles désigneront chacune un arbitre et que ces deux co-arbitres choisiront ensuite le président du tribunal, ou encore se référer au règlement d’une institution d’arbitrage qui encadrera ce processus. Le Code de procédure civile impose que le tribunal arbitral soit composé d’un nombre impair d’arbitres (article 1451), généralement un ou trois, afin d’assurer une majorité lors de la prise de décision. Si la convention ne prévoit rien ou si le mécanisme de désignation se bloque (une partie ne nomme pas son arbitre, les arbitres ne s’accordent pas sur le président), la loi prévoit l’intervention supplétive du « juge d’appui » pour procéder aux nominations manquantes (article 1452 du Code de procédure civile), garantissant ainsi que la procédure puisse démarrer.
Une fois pressenti, l’arbitre doit formellement accepter sa mission. Mais cette acceptation est conditionnée par une obligation fondamentale : l’obligation de révélation, posée par l’article 1456 du Code de procédure civile. Avant d’accepter, et tout au long de la procédure, l’arbitre doit révéler toute circonstance de nature à affecter son indépendance ou son impartialité aux yeux des parties. Cela inclut les liens passés ou présents (personnels, professionnels, financiers) avec les parties, leurs conseils, les autres arbitres, ou même un intérêt quelconque dans l’issue du litige. Cette transparence est la pierre angulaire de la confiance dans l’arbitrage. Un manquement à cette obligation peut justifier une demande de récusation de l’arbitre et, si découvert tardivement, entraîner l’annulation de la sentence. L’acceptation de l’arbitre, éclairée par cette révélation, formalise la relation juridique entre les arbitres et les parties, parfois qualifiée de « contrat d’arbitre ».
Le rôle clé des institutions d’arbitrage et du juge d’appui
Le tribunal arbitral n’est pas toujours seul pour mener la procédure. Deux acteurs peuvent jouer un rôle de support important.
Si les parties ont choisi un arbitrage institutionnel, le centre d’arbitrage désigné (par exemple, le CMAP à Paris, l’AFA, ou un centre régional comme celui près de Marseille si l’affaire a un lien local) va administrer la procédure conformément à son règlement. Son rôle est administratif et non juridictionnel : il aide à la constitution du tribunal, gère les communications, collecte les provisions sur frais et honoraires, veille au respect du calendrier, et peut parfois, selon les règlements, exercer un contrôle formel sur le projet de sentence avant sa signature par les arbitres. L’institution offre ainsi un cadre et un soutien logistique appréciables.
Dans le cadre d’un arbitrage ad hoc (organisé directement par les parties), ou si le règlement institutionnel est muet sur un point ou l’institution défaillante, le juge d’appui intervient. Il s’agit, selon l’article 1459 du Code de procédure civile, du président du Tribunal Judiciaire territorialement compétent (ou, si la convention d’arbitrage l’a spécifiquement prévu uniquement pour la constitution du tribunal, le président du Tribunal de Commerce). Son rôle est subsidiaire : il n’intervient que pour surmonter les difficultés qui bloqueraient la procédure arbitrale. Ses principales missions concernent la constitution du tribunal (nomination d’arbitre en cas de désaccord ou de carence), les incidents liés aux arbitres (décision sur une demande de récusation si l’arbitre refuse de se retirer), ou encore la prorogation du délai d’arbitrage si les parties ne s’accordent pas. Le juge d’appui est donc le garant étatique du bon fonctionnement de l’arbitrage privé.
Les règles du jeu : la procédure devant les arbitres
Une fois le tribunal arbitral constitué, l’instance peut véritablement commencer. Comment se déroulent les débats ?
Le maître-mot est la souplesse procédurale. L’article 1464, alinéa 1er, du Code de procédure civile dispense les arbitres de suivre les règles de procédure strictes des tribunaux étatiques. Sauf si les parties en ont décidé autrement dans leur convention ou en se référant à un règlement d’arbitrage, le tribunal arbitral peut largement définir lui-même les règles de déroulement de l’instance (calendrier, forme des écritures, administration des preuves…).
Cette liberté n’est cependant pas totale. L’alinéa 2 du même article 1464 impose le respect des principes directeurs du procès, essentiels pour garantir une justice équitable. Parmi eux figurent :
- Le principe du contradictoire (visé notamment par l’article 16 du Code de procédure civile, applicable par renvoi) : chaque partie doit avoir connaissance de tous les arguments et pièces soumis par l’adversaire et pouvoir y répondre utilement. Aucune décision ne peut être fondée sur un élément non débattu.
- L’égalité des armes : les parties doivent disposer des mêmes possibilités pour présenter leur cause.
- Le respect des droits de la défense.
- L’obligation de loyauté procédurale, qui incombe tant aux parties qu’aux arbitres (article 1464, alinéa 3). Un aspect de cette loyauté est sanctionné par l’article 1466 : une partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’invoquer une irrégularité devant l’arbitre en temps utile est réputée y avoir renoncé et ne pourra plus s’en prévaloir ensuite.
À ces principes s’ajoute la confidentialité de la procédure arbitrale, posée comme règle par défaut en droit interne par l’article 1464, alinéa 4, sauf si les parties souhaitent y déroger.
Concrètement, une procédure arbitrale s’articule souvent (mais sans obligation rigide) autour des phases suivantes :
- Phase initiale : Les parties précisent leurs demandes et moyens, souvent par un premier mémoire ou lors d’une réunion initiale avec les arbitres qui peut donner lieu à un « acte de mission » définissant le périmètre du litige et les règles de procédure applicables.
- Phase écrite : Plusieurs tours d’échange de « mémoires » (conclusions écrites) et de pièces justificatives permettent à chaque partie de développer son argumentation et de répondre à celle de l’adversaire.
- Administration des preuves : Les arbitres dirigent l’instruction. Ils peuvent ordonner la production de documents détenus par une partie, y compris sous astreinte (article 1467, alinéa 3). Ils peuvent entendre des témoins (qui ne prêtent pas serment, article 1467, alinéa 4) ou désigner un expert technique pour les éclairer sur un point précis.
- Phase orale : Une ou plusieurs audiences peuvent être tenues pour permettre aux avocats de plaider oralement, aux parties de s’exprimer et aux arbitres de poser des questions pour clarifier certains points.
- Clôture de l’instruction : Une fois que les arbitres s’estiment suffisamment informés, ils prononcent la clôture des débats (article 1476). Après cette date, plus aucun nouvel argument ou nouvelle pièce ne peut être versé au dossier, sauf demande expresse du tribunal.
La question du temps : le délai d’arbitrage
Contrairement à une idée parfois reçue, une procédure arbitrale n’est pas sans fin. Elle est enserrée dans un délai précis.
Si la convention d’arbitrage ne fixe aucune durée, la mission des arbitres est limitée à six mois à compter du jour où le dernier d’entre eux a accepté sa mission (articles 1456 et 1463 du Code de procédure civile). Les parties peuvent toutefois convenir d’un délai différent, plus court ou plus long, soit directement dans leur convention, soit en adoptant un règlement d’arbitrage qui prévoit une durée spécifique.
Ce délai, qu’il soit légal ou conventionnel, peut être prorogé (article 1463, alinéa 2). La prorogation peut résulter d’un accord unanime des parties. À défaut d’accord, elle peut être demandée par une partie ou par le tribunal arbitral lui-même au juge d’appui (ou à l’institution d’arbitrage, si son règlement le prévoit). Il est important d’anticiper cette demande avant l’expiration du délai initial, car une fois le délai expiré, les arbitres sont dessaisis et ne peuvent plus valablement statuer.
Le cours du délai peut également être affecté par des causes de suspension ou d’interruption prévues par la loi (articles 1471 à 1475 du Code de procédure civile). C’est le cas, par exemple, lors du décès d’une partie, de certains incidents comme une demande de récusation en cours d’examen, ou si le tribunal arbitral décide de surseoir à statuer dans l’attente d’un événement extérieur (par exemple, une décision pénale connexe, bien que cela soit moins automatique qu’auparavant). Après une interruption ou une suspension, l’instance reprend et le délai continue à courir, l’arbitre pouvant même, dans certains cas, décider de le prolonger (article 1475, alinéa 2).
La fin de l’instance : délibéré et sentence
Une fois l’instruction close, le tribunal arbitral entre dans la phase finale : la prise de décision.
Les arbitres se retirent pour délibérer en secret (article 1479 du Code de procédure civile). Cette phase de discussion collégiale est essentielle et son absence pourrait vicier la décision. La décision est ensuite prise à la majorité des voix (article 1480).
L’instance arbitrale prend fin par le prononcé de la sentence arbitrale, qui est la décision tranchant tout ou partie du litige. Ce prononcé emporte dessaisissement des arbitres (article 1485) : leur mission est terminée pour ce qui a été jugé. L’instance peut aussi prendre fin, de manière moins satisfaisante, par l’expiration du délai d’arbitrage si aucune sentence n’a été rendue à temps (article 1477).
Le déroulement d’un arbitrage, bien que potentiellement souple, obéit à des règles et des étapes clés qu’il convient de bien appréhender. Une bonne maîtrise de la procédure est essentielle pour défendre efficacement vos intérêts tout au long de l’instance. Notre cabinet vous assiste à chaque phase de l’arbitrage, depuis la mise en place du tribunal jusqu’aux plaidoiries finales.
Sources
- Code de procédure civile (notamment articles 1451, 1452, 1456, 1459, 1463, 1464, 1466, 1467, 1471-1477, 1479, 1480, 1485, 16)