Le séjour dans un hôtel, qu’il soit pour affaires ou pour le plaisir, repose sur un accord fondamental : le contrat d’hôtellerie. Souvent conclu rapidement, parfois même sans document écrit formalisé pour une simple nuitée, ce contrat n’en demeure pas moins la pierre angulaire de la relation entre l’exploitant et son client. Il engendre des droits et des obligations spécifiques pour chacun. Comprendre sa nature juridique parfois débattue, les étapes de sa formation – notamment à l’ère des réservations en ligne – et les devoirs essentiels qu’il impose est indispensable pour prévenir les malentendus et les litiges.
Quelle est la nature juridique de ce contrat ?
Qualifier juridiquement le contrat d’hôtellerie n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Est-ce un type de contrat standardisé ou une catégorie à part entière ? La loi elle-même donne quelques indices, mais aussi matière à interprétation.
Ce n’est pas un contrat de dépôt au sens strict. Certes, l’article 1952 du code civil indique que le dépôt des effets par le voyageur à l’hôtel « doit être regardé comme un dépôt nécessaire ». Cependant, cette assimilation vise surtout à faciliter la preuve en cas de problème (vol ou dommage, sujet qui sera traité dans notre prochain article). Dans les faits, l’hôtelier n’a généralement pas la garde matérielle et juridique de tous les biens que le client amène dans sa chambre ; le voyageur en conserve la maîtrise et l’usage. L’obligation de surveillance de l’hôtelier existe, mais elle ne transforme pas la relation en un dépôt pur et simple pour chaque objet présent.
Ce n’est pas non plus une simple location meublée. La différence fondamentale réside dans le bouquet de services indissociables de la prestation d’hébergement : le ménage, la fourniture du linge, la présence d’une réception, parfois d’autres prestations comme le petit-déjeuner. C’est cet ensemble qui fait la spécificité de l’hôtellerie et l’éloigne du simple bail d’un logement garni.
Alors, comment le classer ? La doctrine juridique hésite. Certains auteurs le rapprochent du contrat d’entreprise (un contrat de prestation de services), l’hôtelier s’engageant à fournir un ensemble de services contre un prix. D’autres considèrent qu’il s’agit d’un contrat sui generis, c’est-à-dire un contrat unique, possédant ses propres règles et ne rentrant parfaitement dans aucune catégorie préexistante. En pratique, cette querelle de qualification a peu d’impact direct pour l’hôtelier ou le client. L’essentiel est de connaître le régime juridique spécifique qui s’applique, notamment en matière de responsabilité et d’obligations.
Ce régime s’applique d’ailleurs au-delà des hôtels « traditionnels ». Il peut concerner d’autres structures offrant un hébergement de courte durée avec des services similaires, comme les chambres d’hôtes ou certains clubs de vacances. En revanche, il ne s’applique pas aux établissements qui ne fournissent pas l’hébergement comme prestation principale (un simple restaurant, un camping où l’on loue un emplacement nu).
Il est aussi important de rappeler que le contrat d’hôtellerie lie le plus souvent un professionnel (l’exploitant) à un consommateur (le client). Par conséquent, les règles protectrices du code de la consommation ont vocation à s’appliquer, ajoutant une couche supplémentaire d’obligations pour l’hôtelier. Pour une analyse complète du cadre juridique et réglementaire d’exploitation d’un hôtel, d’autres aspects sont également à considérer.
La formation du contrat : de la réservation en ligne à l’arrivée
Le contrat d’hôtellerie est un contrat consensuel : il est formé dès qu’il y a accord entre l’hôtelier et le client sur la prestation (la chambre, les dates) et le prix. Cet accord peut se manifester de diverses manières : en personne à la réception, par téléphone, par email, ou, de plus en plus fréquemment, via un site internet (celui de l’hôtel ou une plateforme de réservation).
La réservation à distance, notamment en ligne, soulève quelques points spécifiques. Lorsqu’un client verse une somme d’argent pour garantir sa réservation, comment cette somme est-elle qualifiée ? S’agit-il d’un acompte (un premier paiement partiel engageant définitivement les deux parties) ou d’arrhes (une somme permettant à chaque partie de se désengager, le client en la perdant, l’hôtelier en la restituant au double) ? L’article L. 214-1 du code de la consommation tranche : sauf si le contrat prévoit explicitement le contraire, les sommes versées d’avance sont considérées comme des arrhes. Cela offre une certaine souplesse, mais il faut que les conditions soient claires pour le client au moment de la réservation.
Un autre point souvent méconnu concerne le droit de rétractation. Habituellement, pour les contrats conclus à distance (par internet par exemple), le consommateur dispose d’un délai de 14 jours pour changer d’avis sans frais ni justification. Cependant, l’article L. 221-28, 12° du code de la consommation prévoit une exception importante pour les « prestations de services d’hébergement […] prévus à une date ou à une période déterminée ». Concrètement, cela signifie que pour une réservation d’hôtel pour des dates précises, le client ne bénéficie pas de ce droit de rétractation de 14 jours. Une fois la réservation confirmée, elle est ferme (sous réserve des conditions d’annulation propres à la réservation, notamment liées aux arrhes).
L’essor des plateformes de réservation en ligne (Online Travel Agencies ou OTAs comme Booking.com, Expedia, etc.) a aussi modifié les relations contractuelles. Juridiquement, le contrat qui lie l’hôtelier à l’OTA est généralement qualifié de contrat de mandat (article L. 311-5-1 du code du tourisme) : l’OTA agit au nom et pour le compte de l’hôtelier pour prendre la réservation.
Ces plateformes ont longtemps imposé des « clauses de parité » dans leurs contrats avec les hôtels. Il faut distinguer :
- La parité tarifaire : Cette clause obligeait l’hôtel à ne pas proposer sur ses propres canaux (site web, téléphone, réception) ou via d’autres plateformes concurrentes, un prix inférieur à celui proposé sur l’OTA. La loi française (dite « Loi Macron » de 2015) a interdit ces clauses. L’article L. 311-5-1 du code du tourisme garantit à l’hôtelier la liberté de consentir au client tout rabais ou avantage tarifaire de quelque nature que ce soit, directement. Il peut donc tout à fait proposer un meilleur tarif sur son site officiel. Attention toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 19 septembre 2024, affaire C-264/23) a récemment estimé que ces clauses de parité tarifaire (même restreintes) pourraient potentiellement enfreindre les règles de concurrence de l’Union européenne (article 101 du TFUE) si elles limitent la concurrence sur le marché. L’analyse se complexifie donc au niveau européen, même si l’interdiction française reste en vigueur.
- La parité des disponibilités et des conditions : Ces clauses engagent l’hôtel à offrir sur l’OTA des conditions (annulation, petit-déjeuner inclus…) et un nombre de chambres disponibles au moins aussi favorables que sur les autres canaux. Ces types de clauses ne sont pas explicitement interdites par la loi française et peuvent donc toujours figurer dans les contrats entre hôtels et OTAs.
Les obligations du voyageur (client)
Si l’hôtelier a des devoirs, le client en a aussi. La principale obligation du voyageur est, bien entendu, de payer le prix convenu pour la chambre et les éventuels services consommés (petit-déjeuner, repas, téléphone, etc.).
Au-delà du paiement, le client doit user de la chambre et des installations de l’hôtel raisonnablement, en « bon père de famille » comme le dit le langage juridique classique. Cela implique de respecter le règlement intérieur, de ne pas dégrader le matériel et de ne pas causer de nuisances aux autres clients (bruit excessif, par exemple).
L’hôtelier peut également demander au client de justifier de son identité, et pour les personnes de nationalité étrangère, la loi impose de remplir une « fiche individuelle de police » (article R. 611-42 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
Que se passe-t-il si le client ne paie pas ? L’hôtelier dispose des moyens de recouvrement classiques : mise en demeure de payer, puis éventuellement procédure judiciaire (par exemple, une injonction de payer). Il est important de noter que l’action de l’hôtelier pour obtenir le paiement se prescrit par deux ans à compter de la fin du séjour, conformément à l’article L. 218-2 du code de la consommation.
Le non-paiement intentionnel peut, dans des cas très précis, tomber sous le coup du droit pénal. L’article 313-5 du code pénal sanctionne la « filouterie » (ou « grivèlerie »), qui vise notamment le fait de se faire servir des prestations (comme occuper une chambre d’hôtel pour 10 jours maximum) en sachant être dans l’impossibilité absolue de payer ou en étant déterminé à ne pas payer. Les conditions d’application sont cependant strictes (intention frauduleuse, durée limitée).
Il faut souligner une évolution importante : l’hôtelier a perdu un outil spécifique dont il disposait auparavant pour se prémunir contre les impayés. Le « privilège de l’hôtelier » et le droit de rétention associé sur les bagages du client ont été abrogés par l’ordonnance réformant le droit des sûretés en 2021. L’hôtelier ne peut donc plus retenir légalement les affaires d’un client qui ne paie pas ; il doit utiliser les procédures de recouvrement ordinaires.
Les obligations fondamentales de l’hôtelier (hors responsabilité pour dommages)
En contrepartie du paiement du prix, l’hôtelier est tenu à plusieurs obligations essentielles envers son client, qui vont au-delà de la simple mise à disposition d’une chambre et dont le manquement peut engager sa responsabilité (les questions de responsabilité pour dommages corporels ou aux biens seront abordées spécifiquement dans un autre article).
L’une des plus visibles est l’obligation d’information sur les prix. Elle est très encadrée par l’article R. 311-12 du code du tourisme et un arrêté d’application (celui du 18 décembre 2015 étant le plus récent applicable). L’hôtelier doit afficher de manière claire, lisible et à jour :
- À l’extérieur de l’établissement : le prix de la location de chambre pour une nuit (ou a minima les prix mini/maxi), ainsi que les prix des principales prestations (petit-déjeuner, pension…).
- Au lieu de réception de la clientèle : les mêmes informations que celles affichées à l’extérieur.
- Dans chaque chambre : le prix de la nuitée pour la chambre concernée, ainsi que les prix de l’ensemble des prestations fournies accessoirement (téléphone, minibar, room service, wifi si payant…).
Tous les prix affichés doivent être Toutes Taxes Comprises (TTC). L’objectif est simple : permettre au client de connaître le coût exact de son séjour et des services avant de s’engager ou de consommer.
L’hôtelier doit également garantir à son client la jouissance paisible de la chambre louée. Il s’agit d’une obligation de résultat : l’hôtelier doit prendre les mesures nécessaires pour que le séjour du client ne soit pas troublé de manière anormale. Cela implique de le protéger contre le bruit excessif provenant d’autres chambres ou des parties communes (dans la mesure du possible), mais aussi contre les intrusions injustifiées. La chambre d’hôtel est considérée comme un espace relevant de la vie privée du client pendant son séjour. Y pénétrer sans motif légitime (nettoyage aux heures prévues, urgence, demande du client) pourrait constituer une violation de domicile, sanctionnée pénalement par l’article 226-4 du code pénal.
Enfin, en tant que professionnel traitant avec des consommateurs, l’hôtelier doit respecter les règles du code de la consommation. Cela inclut notamment l’interdiction du refus de vente ou de prestation de service sans motif légitime (article L. 121-11). Un hôtelier ne peut refuser de louer une chambre disponible à un client sans raison valable (hôtel complet, comportement antérieur inacceptable du client, risque pour la sécurité…). Les motifs discriminatoires sont évidemment prohibés. De même, l’hôtelier ne peut pratiquer la vente liée, c’est-à-dire subordonner la location de la chambre à l’achat obligatoire d’une autre prestation qui pourrait être vendue séparément (par exemple, imposer la demi-pension ou le petit-déjeuner). Le client doit rester libre de choisir les prestations annexes qu’il souhaite consommer.
Vous avez des interrogations sur les clauses d’un contrat de réservation hôtelière ou sur vos droits en tant que client ? Notre cabinet peut vous apporter des éclaircissements. Pour les professionnels de l’hôtellerie, une expertise en droit commercial est essentielle pour sécuriser leurs pratiques contractuelles.
Sources
- Code civil (notamment Art. 1590, 1952)
- Code du tourisme (notamment Art. D. 311-4, L. 311-5-1, R. 311-12)
- Code de la consommation (notamment Art. L. 121-11, L. 214-1, L. 218-2, L. 221-28)
- Code pénal (notamment Art. 226-4, 313-5)
- Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Art. R. 611-42)
- Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE ― Art. 101)
- Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (dite Loi Macron)
- Arrêté du 18 décembre 2015 relatif à la publicité des prix des hébergements touristiques
- Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés