Pêcher en France et en Europe : quelles règles pour accéder et préserver la ressource ?

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La mer, source de revenus pour de nombreux professionnels, abrite une ressource vivante mais fragile. Assurer l’avenir de la pêche passe inévitablement par une gestion rigoureuse et durable des stocks de poissons et autres organismes marins. C’est un défi complexe, qui mêle enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Au cœur de ce dispositif se trouve la Politique Commune de la Pêche (PCP) de l’Union Européenne, qui fixe le cadre général dans lequel s’inscrit le droit français.

Comprendre les règles qui régissent l’accès aux zones de pêche et les mesures mises en place pour préserver la ressource halieutique est fondamental pour tout acteur du secteur. Qui peut pêcher où ? Comment sont limitées les captures ? Quels outils sont utilisés pour protéger les juvéniles ou les écosystèmes ? Cet article explore les mécanismes clés de la gestion des ressources halieutiques, des principes d’accès aux eaux européennes aux instruments de planification à long terme.

Le principe fondamental : l’accès égalitaire aux eaux européennes

Le droit de l’Union Européenne repose sur un principe essentiel : la non-discrimination en raison de la nationalité. Appliqué au secteur de la pêche, ce principe signifie que tous les navires de pêche battant pavillon d’un État membre de l’UE doivent, en théorie, avoir le même accès aux eaux et aux ressources relevant de la juridiction de l’ensemble des États membres. C’est ce que confirme l’article 17 du règlement cadre de la PCP (actuellement le Règlement (UE) n° 1380/2013, qui a succédé au règlement 2371/2002 cité dans le document source). Les eaux communautaires (ou de l’Union) sont définies comme les eaux sous souveraineté ou juridiction des États membres.

Cette égalité d’accès s’applique pleinement au-delà d’une bande côtière de 12 milles marins, calculée à partir des lignes de base de chaque État côtier. Cependant, à l’intérieur de cette bande des 12 milles, une dérogation majeure existe. Les États membres côtiers peuvent y restreindre l’activité de pêche. Historiquement, cette dérogation visait à protéger les pêcheurs locaux opérant traditionnellement depuis les ports adjacents. Cette possibilité de limitation par l’État côtier dans ses 12 milles est régulièrement renouvelée par la réglementation européenne (actuellement prévue jusqu’au 31 décembre 2032).

Toutefois, cette limitation n’est pas absolue. Elle doit respecter les droits de pêche historiques éventuels d’autres États membres dans ces zones, souvent issus de relations de voisinage et formalisés dans les annexes du règlement PCP. Le droit français, notamment via le décret-loi du 9 janvier 1852 modifié, intègre ces règles en réservant, sous réserve du droit de l’UE, l’accès aux eaux sous souveraineté ou juridiction française aux navires nationaux ou communautaires autorisés.

Quant aux navires de pays tiers, leur accès aux eaux de l’Union est strictement encadré et ne peut se faire que dans le cadre d’accords de pêche conclus par l’Union Européenne avec ces pays, ou via des autorisations spécifiques délivrées conformément à la réglementation européenne.

La boîte à outils de la gestion : limiter les captures et l’effort de pêche

La gestion durable des stocks repose sur un ensemble de mesures visant principalement à contrôler la pression exercée par l’activité de pêche. C’est l’Union Européenne qui détient la compétence principale pour édicter ces mesures de conservation.

  • Les Totaux Admissibles de Captures (TAC) : Pour les principales espèces commerciales dont l’état des stocks le justifie, le Conseil de l’Union Européenne fixe chaque année des limites maximales de captures autorisées par zone de pêche. Ces TAC sont établis sur la base d’avis scientifiques évaluant l’état des ressources.
  • Les Quotas nationaux : Une fois les TAC globaux définis, ils sont répartis entre les États membres selon une clé de répartition relativement stable depuis 1983. C’est le principe dit de la « stabilité relative », qui vise à garantir à chaque État membre une part prévisible des possibilités de pêche, en tenant compte notamment de ses activités de pêche passées et des besoins des régions dépendantes de la pêche. Ces quotas nationaux peuvent faire l’objet d’échanges entre États membres, offrant une certaine flexibilité pour ajuster les possibilités de pêche aux besoins réels des flottilles.
  • La limitation de l’Effort de Pêche : En complément ou en alternative aux TAC, l’UE peut également limiter l’effort de pêche global autorisé pour certaines pêcheries. L’effort de pêche d’un navire est généralement défini comme le produit de sa capacité (puissance, tonnage) et de son activité (temps passé en mer). Limiter l’effort global revient donc à contrôler le nombre de jours de mer autorisés pour une flotte donnée dans une zone spécifique.
  • La déclinaison nationale : les sous-quotas : Chaque État membre est ensuite responsable de la gestion du quota ou de l’effort de pêche qui lui a été alloué. Il le répartit entre les professionnels intéressés sous forme de sous-quotas ou d’autorisations de jours de mer. Cette répartition peut se faire au niveau d’organisations de producteurs (OP), de navires individuels ou de groupements de navires. Ces droits de pêche individuels sont généralement attribués pour une période annuelle et ne sont, en principe, pas librement cessibles en France, afin d’éviter une marchandisation excessive de l’accès à la ressource. Les OP jouent un rôle important en mettant en place des plans de gestion pour optimiser l’utilisation des quotas qui leur sont confiés.
  • L’obligation de fermeture : Lorsqu’un quota national (ou un sous-quota géré par une OP ou l’administration) est considéré comme épuisé, l’État membre a l’obligation formelle d’interdire la pêche de l’espèce concernée pour les navires relevant de ce quota. La Commission européenne veille au respect de cette obligation et peut imposer des fermetures si l’État membre tarde à agir, voire procéder à des déductions sur les quotas futurs en cas de dépassement avéré.

Les mesures techniques : pêcher plus sélectivement

Limiter le volume global des captures ou l’effort de pêche ne suffit pas toujours. Il est également essentiel de s’assurer que la pêche est pratiquée de manière plus sélective, afin de protéger les jeunes poissons avant qu’ils n’aient pu se reproduire et de minimiser l’impact sur les écosystèmes marins. C’est l’objet des mesures techniques de conservation, largement définies au niveau européen.

Ces mesures comprennent notamment :

  • La fixation de maillages minimaux pour les différentes parties des engins de pêche (filets notamment), afin de permettre aux poissons de petite taille de s’échapper.
  • L’établissement de tailles minimales de débarquement pour de nombreuses espèces. Les captures en dessous de cette taille ne peuvent, en principe, être conservées à bord, débarquées ou commercialisées (même si la nouvelle obligation de débarquement de toutes les captures, y compris les rejets, introduite progressivement depuis 2015, complexifie l’application de cette règle).
  • L’interdiction ou la restriction de l’usage de certains engins de pêche jugés peu sélectifs ou destructeurs pour les fonds marins dans certaines zones ou à certaines périodes.
  • La définition de zones ou de périodes de fermeture temporaire de la pêche (cantonnements) pour protéger les zones de reproduction ou de concentration de juvéniles.

Le droit français peut compléter ces mesures européennes. Par exemple, le décret n°90-94 du 25 janvier 1990 (modifié notamment en 2006 dans le cadre du Plan d’avenir pour la pêche française) prévoit des règles spécifiques pour les eaux territoriales françaises, comme l’interdiction de principe de l’usage des filets remorqués à moins de trois milles des côtes, tout en prévoyant des dérogations possibles sous conditions (profondeur suffisante, absence de risque pour la ressource).

Contrôler l’accès à l’activité : les systèmes d’autorisation

Au-delà de la gestion des captures, les autorités peuvent également réguler l’accès même à l’activité de pêche via différents systèmes d’autorisation.

  • Les autorisations de pêche nationales (licences françaises) : Le droit français permet depuis longtemps à l’autorité administrative de soumettre l’exercice de certaines pêches spécifiques à l’obtention d’une autorisation préalable, souvent appelée « licence ». Initialement prévues en cas de menace de surexploitation, la loi d’orientation de 1997 a élargi leur champ d’application « en vue d’assurer un développement économique durable du secteur ». Ces autorisations sont délivrées à une entreprise et pour un navire déterminé. Elles précisent la période de validité (maximum 12 mois, renouvelable), les zones de pêche autorisées, les espèces ciblées, et parfois les engins ou les volumes autorisés. L’administration les attribue en tenant compte de critères comme les antériorités des pêcheurs, les orientations du marché et les équilibres socio-économiques locaux. Pour éviter la création d’un marché spéculatif, ces autorisations nationales ne sont pas cessibles. Elles peuvent être retirées si les conditions d’octroi ne sont plus respectées (vente du navire, fausses informations, modification des caractéristiques…).
  • Les autorisations européennes : La réglementation européenne a également mis en place ses propres systèmes :
    • La Licence de pêche de l’UE : Depuis 1995, tous les navires de pêche de l’Union doivent détenir une licence délivrée par leur État membre de pavillon. Elle contient les informations d’identification et les caractéristiques techniques du navire et constitue une sorte de « carte d’identité » européenne du navire de pêche.
    • Les Permis de Pêche Spéciaux (PPS) : Pour accéder à certaines pêcheries jugées sensibles (espèces d’eau profonde, crustacés, coquilles Saint-Jacques dans certaines zones…), la licence de base ne suffit pas. Il faut obtenir en plus un Permis de Pêche Spécial (PPS). Ce PPS est une autorisation spécifique, liée au navire et à sa licence, pour une pêcherie donnée et une période déterminée. La gestion (délivrance, retrait) des licences et des PPS relève de la compétence de l’État membre du pavillon.

Planifier à long terme : plans de reconstitution et de gestion

Pour assurer une gestion cohérente et prospective des pêcheries les plus importantes ou les plus fragiles, la PCP prévoit l’adoption de plans pluriannuels.

  • Les Plans de reconstitution : Ils sont mis en place lorsque les stocks sont considérés comme étant en dehors des limites biologiques de sécurité. L’objectif est de ramener ces stocks à des niveaux durables dans un délai défini. Des plans de reconstitution ont ainsi été adoptés pour des espèces comme le cabillaud, le merlu, ou le flétan noir dans certaines zones.
  • Les Plans de gestion : Ils concernent les pêcheries dont les stocks sont considérés comme exploités durablement (à l’intérieur des limites biologiques) mais nécessitent un cadre de gestion stable à long terme. Un exemple cité dans la source est le plan de gestion pour la sole dans le golfe de Gascogne.

Ces plans définissent des objectifs clairs (en termes de taille de population, de taux de mortalité par pêche ou de rendement à long terme) et combinent différentes mesures pour les atteindre : limitations de captures (TAC spécifiques au plan), limitations d’effort de pêche, règles techniques adaptées, conditions d’accès (par exemple, obligation de détenir un PPS pour participer à la pêcherie concernée), voire des mesures d’incitation économique.

La marge de manœuvre limitée des États membres

Face à la compétence très large de l’Union Européenne en matière de conservation des ressources, que reste-t-il comme possibilités d’action pour les États membres ?

En dehors des mesures d’urgence (prises en cas de menace grave et immédiate sur les ressources ou l’écosystème, et soumises ensuite au contrôle de la Commission), un État membre ne peut adopter de mesures de conservation applicables à tous les navires dans ses eaux que si l’UE n’a pas légiféré dans ce domaine précis et si ces mesures sont compatibles avec les objectifs de la PCP et non discriminatoires.

Dans la bande côtière des 12 milles, un État membre dispose d’une marge de manœuvre légèrement plus grande pour prendre des mesures spécifiques visant à minimiser l’impact de la pêche sur les écosystèmes locaux. Toutefois, si ces mesures sont susceptibles d’affecter les navires d’autres États membres ayant des droits dans la zone, elles doivent être prises après consultation de la Commission, des autres États concernés et des Conseils Consultatifs régionaux, et restent soumises à confirmation ou modification par la Commission, voire par le Conseil en cas de désaccord.

En dehors de ces cas spécifiques, les mesures nationales de conservation que pourrait prendre un État ne s’appliqueraient qu’aux pêcheurs battant son propre pavillon.

Comprendre et anticiper l’ensemble de ces règles de gestion des ressources – quotas, licences, mesures techniques, plans pluriannuels – est devenu une nécessité absolue pour assurer la viabilité et la conformité de toute activité de pêche professionnelle. Les contraintes sont nombreuses et l’environnement réglementaire en constante évolution. Si vous vous interrogez sur les autorisations nécessaires pour votre projet, sur l’impact des quotas sur votre activité ou sur les conditions d’accès à une pêcherie spécifique, notre cabinet peut vous fournir une analyse juridique adaptée et vous aider à y voir plus clair.

Sources

  • Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE – principes de non-discrimination, compétences UE).
  • Règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche (règlement cadre actuel).  
  • Règlements UE annuels fixant les TAC et quotas.
  • Règlements UE spécifiques sur les mesures techniques (ex: Règlement (UE) 2019/1241 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques).  
  • Règlements UE spécifiques établissant des plans pluriannuels.
  • Règlements UE sur les licences et permis de pêche spéciaux (peuvent être intégrés dans le règlement Contrôle ou PCP).
  • Code rural et de la pêche maritime (codification des dispositions nationales sur les autorisations, gestion nationale des quotas…).
  • Décret-loi du 9 janvier 1852 sur l’exercice de la pêche maritime (modifié).
  • Loi n° 97-1051 du 18 novembre 1997 d’orientation sur la pêche maritime et les cultures marines (modifiant le Décret-loi de 1852 sur les autorisations).
  • Décret n° 90-94 du 25 janvier 1990 fixant certaines modalités de l’exercice de la pêche maritime (modifié, notamment par Décret n°2006-738 du 27 juin 2006).

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