L’ensemble des règles encadrant la pêche maritime, qu’il s’agisse de la gestion des ressources, de la commercialisation des produits ou des structures des entreprises, ne pourrait être efficace sans un système de contrôle et de sanction robuste. Assurer le respect de cette réglementation complexe, issue à la fois du droit européen et du droit national, est la mission de la police des pêches. Les contrôles peuvent intervenir en mer comme à terre, et les infractions constatées peuvent entraîner des conséquences administratives et judiciaires parfois lourdes pour les professionnels.
Qui sont les agents chargés de ces contrôles ? Comment se déroulent leurs interventions ? Quelles sont les différentes sanctions encourues en cas d’infraction ? Connaître ses droits et ses obligations lors d’un contrôle est primordial pour tout acteur du secteur. Cet article détaille l’organisation de la police des pêches, les procédures de contrôle et le panel des sanctions applicables.
Qui contrôle ? Les autorités de police des pêches
Le contrôle du respect des règles de la pêche est une responsabilité partagée entre les instances européennes et les autorités nationales.
- Au niveau européen : La Politique Commune de la Pêche (PCP) prévoit un cadre de contrôle commun, dont la mise en œuvre et la supervision incombent principalement à la Commission Européenne. Pour l’assister dans cette tâche, l’Agence Européenne de Contrôle des Pêches (AECP), basée à Vigo en Espagne (créée après la date du document source mais aujourd’hui acteur clé), coordonne les opérations de contrôle et d’inspection des États membres, notamment via des plans de déploiement conjoints. La Commission dispose également de ses propres inspecteurs européens. Leur rôle est de vérifier que les États membres appliquent correctement le droit de l’UE et remplissent leurs obligations de contrôle. Ils peuvent assister aux contrôles nationaux, effectuer des audits des systèmes de contrôle nationaux, mais leurs pouvoirs directs d’inspection sur les opérateurs sont limités : ils ne peuvent agir de leur propre initiative sans être accompagnés par des agents nationaux et n’ont pas de pouvoir de coercition direct sur les personnes physiques ou les entreprises. Si la Commission estime, suite à ses vérifications ou aux rapports de ses inspecteurs, que des irrégularités ont été commises par un État membre dans l’application des règles ou dans ses contrôles, elle peut engager une procédure d’infraction devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Un État membre qui ne respecte pas ses obligations de contrôle peut ainsi être condamné, voire se voir infliger des amendes ou des astreintes s’il persiste dans son manquement, comme la France l’a été par le passé.
- Au niveau national : La responsabilité première du contrôle sur le terrain repose sur les États membres. En France, une multitude d’agents sont habilités à rechercher et constater les infractions au droit des pêches. Le Code rural et de la pêche maritime et d’autres textes listent ces autorités :
- Les administrateurs, inspecteurs, et contrôleurs des affaires maritimes.
- Les officiers du corps technique et administratif des affaires maritimes.
- Les commandants et officiers des bâtiments de la Marine nationale et les chefs de bord des aéronefs de l’État.
- Les agents de la Gendarmerie maritime.
- Les syndics des gens de mer.
- Les agents des douanes.
- Les officiers et agents de police judiciaire (OPJ/APJ).
- Les gardes jurés et les prud’hommes pêcheurs (pour certaines infractions locales).
- Les techniciens du contrôle des établissements de pêche ou les agents des services vétérinaires (pour les aspects sanitaires à terre).
Ces agents exercent leurs compétences dans les espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française (y compris dans les zones économiques exclusives éloignées comme celles des Terres australes et antarctiques françaises – TAAF). Ils peuvent également contrôler les navires français en haute mer ou dans les eaux étrangères (sous réserve du droit international et des accords éventuels).
Comment se déroule un contrôle ? Les opérations de police
Les opérations de contrôle peuvent prendre différentes formes, en mer ou à terre.
- Contrôles en mer : Les commandants des bâtiments et aéronefs de l’État chargés de la surveillance en mer disposent de pouvoirs étendus. Une opération de contrôle type se déroule en plusieurs étapes :
- Reconnaissance : Il s’agit d’identifier le navire suspect et de vérifier sa nationalité (demande par radio, observation visuelle).
- Visite : Si nécessaire, le commandant peut ordonner la visite du navire contrôlé. Une équipe de visite monte alors à bord pour inspecter les captures (espèces, tailles, quantités), les engins de pêche (maillages, conformité), les installations de stockage ou de traitement, et les documents de bord obligatoires (journal de pêche – souvent électronique aujourd’hui –, licence, permis, documents de traçabilité…).
- Déroutement : Si le capitaine refuse la visite, ou si les conditions de mer la rendent dangereuse ou impossible, le commandant peut ordonner au navire de se dérouter vers une position ou un port désigné pour permettre le contrôle à quai.
- Mesures de coercition : En cas de refus d’obtempérer aux ordres (refus de s’identifier, d’accepter la visite, de se dérouter), le commandant du bâtiment de l’État peut, après sommations réglementaires (avertissements radio, signaux visuels/sonores), employer la force de manière graduée. Cela peut inclure des tirs d’avertissement (tirs de semonce à l’avant du navire, autorisés par l’autorité maritime préfectorale), voire des tirs visant à stopper le navire (tirs d’arrêt dirigés sur des parties non vitales). L’autorisation d’ouvrir le feu directement sur le navire (« tir au but ») est exceptionnelle et relève de la décision du Premier ministre.
- Contrôles à terre : Les agents habilités peuvent également effectuer des contrôles dans les ports (au débarquement, dans les criées), dans les entreprises de mareyage ou de transformation, chez les transporteurs ou les détaillants. Ils peuvent visiter les exploitations de cultures marines, les établissements de capture, les locaux et véhicules à usage professionnel. Le refus de laisser ces agents procéder aux contrôles constitue une infraction spécifique.
- Le procès-verbal : À l’issue du contrôle, si une ou plusieurs infractions sont suspectées ou constatées (pêche en zone interdite, dépassement de quota, usage d’engin non réglementaire, capture d’espèces sous taille, absence de documents obligatoires, fausse déclaration…), les agents dressent un procès-verbal. Ce document, qui décrit précisément les faits constatés, servira de base aux éventuelles suites administratives ou judiciaires.
Les sanctions possibles : une échelle graduée
Les infractions aux règles de la pêche peuvent entraîner un éventail de sanctions, allant de mesures conservatoires immédiates à des condamnations pénales, en passant par des sanctions administratives.
- Les mesures conservatoires immédiates : Pour stopper l’infraction et préserver les preuves, les agents peuvent prendre des mesures dès la constatation des faits :
- L’appréhension (loi de 1983) : Les agents peuvent appréhender les filets, engins, matériels de pêche illicites, ainsi que les produits de la pêche présumés illégaux et, potentiellement, le navire ou l’embarcation ayant servi à commettre l’infraction. Ces biens doivent être restitués au propriétaire sous 72 heures s’ils ne font pas l’objet d’une saisie formelle.
- La saisie : Prononcée par l’autorité administrative compétente (directeur des affaires maritimes, par exemple), la saisie est obligatoire pour les engins de pêche interdits et les captures effectuées illégalement (ou leur valeur). La saisie du navire lui-même reste facultative et dépend de la gravité de l’infraction. La mainlevée de la saisie du navire peut être obtenue contre le dépôt d’un cautionnement fixé par le juge.
- La confiscation et la destruction : À défaut de versement du cautionnement, ou si le navire présente un risque pour la sécurité ou l’environnement, le tribunal peut ordonner la confiscation du navire saisi. Il peut même, dans certains cas, ordonner sa destruction.
- Les sanctions administratives : Indépendamment des poursuites pénales, l’administration peut prononcer des sanctions :
- Suspension ou retrait des autorisations : Toute autorisation de pêche (licence nationale, Permis de Pêche Spécial – PPS) ou le Permis de Mise en Exploitation (PME) peuvent être suspendus temporairement ou retirés définitivement en cas d’infraction grave ou répétée aux règles de gestion ou de conservation.
- Amendes administratives : Le décret-loi de 1852 (modifié notamment par la loi d’orientation agricole de 2006) prévoit la possibilité d’infliger des amendes administratives. Pour certaines infractions quantitatives (dépassement de quota, pêche sous taille…), le montant de l’amende peut être multiplié par le nombre de quintaux pêchés, détenus ou commercialisés illégalement.
- Sanction spécifique du lien économique réel : Pour lutter contre les « pavillons de complaisance » au sein même de l’UE, la loi française (article 3-2 du décret-loi de 1852, issu de la loi de 1997) exige qu’un navire battant pavillon français ait un lien économique réel avec le territoire français et soit dirigé depuis un établissement stable en France pour pouvoir pêcher sur les quotas nationaux ou obtenir une autorisation. Le non-respect de cette obligation peut entraîner une amende administrative ou la suspension/retrait de l’autorisation.
- Les sanctions judiciaires :
- La transaction : Une particularité du contentieux des pêches est la possibilité d’une transaction pénale. L’administration (directeur des affaires maritimes ou ministre) peut proposer à l’auteur de l’infraction de payer une somme forfaitaire au Trésor public pour éteindre l’action publique. Cette proposition doit recevoir l’accord du procureur de la République. Si la transaction est acceptée et exécutée, elle évite un procès pénal.
- Les poursuites pénales : En l’absence de transaction ou pour les infractions les plus graves, des poursuites judiciaires sont engagées devant les tribunaux répressifs (tribunal de police pour les contraventions, tribunal correctionnel pour les délits). Des règles spécifiques de compétence territoriale existent (tribunal du port de déroutement, ou du port d’immatriculation, ou de la résidence de l’agent verbalisateur pour les navires étrangers). Les poursuites sont menées par le ministère public, mais l’administration des affaires maritimes peut aussi les déclencher. Les organisations professionnelles (comités des pêches), les syndicats ou les OP peuvent se constituer partie civile pour demander réparation du préjudice subi par la profession.
- Personnes responsables et peines : Le plus souvent, c’est le capitaine du navire qui est poursuivi comme auteur principal. Les membres de l’équipage peuvent l’être pour complicité. L’armateur, même s’il n’est pas à bord, peut être déclaré civilement responsable des amendes et frais résultant des infractions commises par ses préposés (patron et équipage), voire pénalement responsable dans certains cas. Les peines encourues sont principalement des amendes pénales, dont les montants peuvent être élevés, ainsi que la confiscation du matériel ayant servi à l’infraction ou du produit de celle-ci.
Les contrôles de pêche sont une réalité incontournable pour les professionnels et peuvent avoir des conséquences financières et opérationnelles importantes. En cas de contrôle ou si une procédure est engagée contre vous ou votre entreprise, il est essentiel de bien comprendre les enjeux et de faire valoir vos droits. Notre cabinet possède une expertise en droit maritime et peut vous assister lors de ces procédures, que ce soit au stade administratif ou devant les tribunaux. N’hésitez pas à nous contacter pour une évaluation de votre situation.
Sources
- Code rural et de la pêche maritime (Partie législative, Livre IX, Titre III ; Partie réglementaire correspondante – organisation contrôle, infractions, sanctions administratives et pénales).
- Code des transports (Partie V : Police et sûreté des transports maritimes – peut contenir des dispositions sur les pouvoirs des autorités en mer).
- Code de procédure pénale (règles générales de procédure pénale, transaction pénale).
- Code de la défense (pouvoirs des autorités militaires en mer).
- Décret-loi du 9 janvier 1852 sur l’exercice de la pêche maritime (modifié, contient des dispositions sur les infractions et sanctions).
- Loi n° 83-582 du 5 juillet 1983 relative au régime de la saisie (vérifier codification éventuelle).
- Loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (article 97 modifiant la loi de 1983 sur la confiscation/destruction).
- Règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime de contrôle de l’Union afin d’assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche (règlement cadre actuel sur le contrôle).
- Règlement d’exécution (UE) n° 404/2011 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 1224/2009.
- Jurisprudence (exemples cités dans la source si pertinents, arrêts de la CJUE sur les manquements des États).