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Déséquilibre significatif et pratiques restrictives de concurrence : prévenir les abus inter-entreprises

Table des matières

Au cœur des relations commerciales, la négociation contractuelle est souvent perçue comme un jeu de pouvoir où la liberté des parties est reine. Pourtant, cette liberté n’est pas absolue. Le législateur a mis en place un outil de régulation puissant pour sanctionner les abus manifestes : le déséquilibre significatif, prévu à l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce. Cette notion, bien que complexe, est un levier essentiel pour rétablir une forme d’équité dans les rapports inter-entreprises. Pour une vision d’ensemble, notre dossier sur le déséquilibre significatif en droit français offre une perspective plus large. Cet article se concentre spécifiquement sur son application dans le cadre des pratiques restrictives de concurrence, un domaine où ses implications sont particulièrement importantes pour les dirigeants de TPE/PME.

Genèse et cadre juridique du déséquilibre significatif en droit de la concurrence

La notion de déséquilibre significatif dans les relations commerciales a été introduite par la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008. Son objectif était clair : moraliser les relations d’affaires, notamment dans le secteur de la grande distribution, où la puissance d’achat de certains acteurs pouvait conduire à l’imposition de conditions contractuelles particulièrement défavorables aux fournisseurs. Le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif à plusieurs reprises, considérant qu’il ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et qu’il poursuivait un but d’intérêt général.

Le champ d’application de cette règle est large. Temporellement, elle concerne les contrats conclus ou renouvelés depuis son entrée en vigueur. Sur le plan territorial, la jurisprudence a consacré sa nature de « loi de police ». Cela signifie que l’article L. 442-1 du Code de commerce s’applique aux litiges portés devant les juridictions françaises, même si le contrat est soumis à un droit étranger, dès lors que ses effets se déploient sur le marché français. Cette qualification protège la partie faible contre une manœuvre d’éviction de la loi française.

L’auteur de la pratique est défini comme « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ». Cette formule large englobe la majorité des acteurs économiques, qu’il s’agisse de sociétés commerciales, d’artisans ou d’industriels. La victime, quant à elle, est simplement désignée comme « l’autre partie », l’ordonnance du 24 avril 2019 ayant supprimé la référence plus restrictive au « partenaire commercial ».

Enfin, il est essentiel de distinguer ce régime spécifique de celui qui existe en droit commun. Bien que l’article 1171 du Code civil sanctionne aussi le déséquilibre significatif, il ne s’applique qu’aux contrats d’adhésion et selon des modalités distinctes. Pour approfondir cette nuance, il est utile de comprendre les différences avec la notion en droit commun des contrats. Le régime du Code de commerce reste donc un outil autonome, taillé pour les spécificités des relations commerciales.

Le critère de la « soumission » ou « tentative de soumission »

La simple existence d’un contrat déséquilibré ne suffit pas à caractériser la pratique restrictive. Le texte exige la preuve d’un élément comportemental : le fait d’avoir « soumis ou tenté de soumettre » l’autre partie. Il ne s’agit donc pas de sanctionner une mauvaise négociation, mais bien l’imposition d’un rapport de force.

Cette notion de soumission doit être distinguée de concepts voisins. Elle n’est pas synonyme de la violence, qui vicie le consentement, ni de l’état de dépendance économique, qui suppose une situation où un partenaire n’a pas d’alternative viable. La soumission se caractérise plus subtilement par l’absence de possibilité de négocier réellement et librement les clauses du contrat. C’est l’impossibilité d’exercer une quelconque influence sur le contenu de l’accord qui matérialise la soumission.

En pratique, cette soumission est souvent déduite de l’utilisation de contrats-types ou de conditions générales d’achat non négociables. Quand un distributeur impose son propre contrat à l’ensemble de ses fournisseurs sans que ces derniers puissent en discuter les termes, la soumission est généralement établie. Les tribunaux analysent cette situation à travers la technique du faisceau d’indices. La preuve peut être rapportée en démontrant, par exemple, que des clauses identiques se retrouvent dans tous les contrats d’un donneur d’ordre, ou que les conditions générales de vente du fournisseur, qui devraient pourtant être le « socle unique de la négociation » selon la loi, ont été systématiquement écartées. Une analyse quantitative des contrats conclus par l’auteur de la pratique avec ses différents partenaires est souvent un élément probatoire décisif.

Appréciation du déséquilibre significatif : critères et méthodes

Une fois la soumission établie, le juge doit analyser le cœur du dispositif : l’existence d’un déséquilibre « significatif ». Toutes les asymétries ne sont pas sanctionnées. Le déséquilibre doit atteindre un certain seuil de gravité, altérant substantiellement la balance des droits et obligations entre les parties.

Pour l’évaluer, les juges s’inspirent souvent de critères développés en droit de la consommation. L’absence de réciprocité est un indice majeur : une clause qui accorde une prérogative à une partie sans prévoir un droit équivalent pour l’autre sera suspecte. Il en va de même pour les stipulations qui dérogent de manière injustifiée aux règles supplétives du Code civil, par exemple en matière de transfert des risques ou de garantie. L’imprécision d’une clause, qui laisse une marge d’interprétation trop large à l’une des parties, peut également être un facteur de déséquilibre.

Une différence fondamentale avec le droit commun et le droit de la consommation réside dans la possibilité pour le juge de contrôler l’adéquation du prix à la prestation. Alors que les autres régimes l’excluent, l’article L. 442-1 du Code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, à condition que celui-ci n’ait pas fait l’objet d’une libre négociation et qu’il traduise un déséquilibre manifeste. C’est une exception notable au principe de liberté des prix dans les relations commerciales.

La méthode d’appréciation est double. Le juge procède d’abord à une analyse clause par clause pour identifier les stipulations potentiellement problématiques. Ensuite, il doit se livrer à une appréciation globale de l’économie du contrat. En effet, une clause défavorable peut être compensée par une autre, particulièrement avantageuse. Il incombe donc à la partie qui a imposé le contrat de prouver que l’équilibre général est préservé, malgré l’existence de clauses individuellement déséquilibrées.

Jurisprudence et cas pratiques de déséquilibre significatif

Les avis et recommandations de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (CEPC) jouent un rôle d’éclaireur pour les juges et les entreprises, même s’ils n’ont pas de force contraignante. Ils permettent d’identifier les pratiques à risque et de guider l’interprétation des textes.

La jurisprudence, très abondante, a permis de dessiner les contours des clauses fréquemment sanctionnées. On y retrouve :

  • Les clauses de modification unilatérale du contrat, qui permettent à une partie de changer les règles du jeu (tarifs, conditions de livraison) sans l’accord de l’autre.
  • Les clauses de pénalités logistiques disproportionnées, qui sanctionnent lourdement des manquements mineurs du fournisseur (un léger retard de livraison, par exemple) sans tenir compte des circonstances.
  • Les clauses de reprise des invendus sans contrepartie réelle, faisant peser tout le risque commercial sur le fournisseur.
  • Les clauses prévoyant des délais de paiement anormaux ou des obligations de financement de services (coopération commerciale) sans justification économique avérée.

À l’inverse, certaines clauses sont généralement considérées comme valables dès lors qu’elles sont justifiées et équilibrées. Une clause de non-concurrence post-contractuelle, si elle est limitée dans le temps et l’espace et proportionnée aux intérêts à protéger, sera admise. De même, une clause de résiliation, si elle est réciproque ou si elle trouve sa justification dans l’économie du contrat (par exemple, dans un contrat de location financière pour amortir le coût du bien), ne sera pas jugée abusive. Le rôle du juge est ici prépondérant : il procède à une analyse in concreto, c’est-à-dire en examinant les faits spécifiques de chaque espèce, pour déterminer si, dans le contexte donné, un déséquilibre significatif est réellement créé.

Sanctions : action individuelle et action du ministre de l’économie

Le contentieux du déséquilibre significatif relève de juridictions spécialisées. Seuls huit tribunaux de commerce en France et la Cour d’appel de Paris sont compétents pour statuer sur ces litiges, garantissant ainsi une certaine expertise des magistrats.

Deux types d’actions peuvent être engagés. L’action individuelle, initiée par la victime de la pratique, vise principalement à engager la responsabilité civile de l’auteur du déséquilibre. Elle peut obtenir des dommages et intérêts en réparation de son préjudice. Depuis une évolution jurisprudentielle confirmée par la loi, la victime peut également demander la nullité des clauses illicites et la restitution des avantages indûment perçus.

Toutefois, la spécificité de ce contentieux réside dans l’action du ministre de l’Économie (et du ministère public). Agissant en tant que gardien de l’ordre public économique, il peut se saisir d’office d’un dossier sans que la victime n’ait à porter plainte. Cette intervention est déterminante car de nombreuses entreprises craignent des représailles commerciales si elles agissaient elles-mêmes. Le ministre peut demander la cessation des pratiques pour l’avenir, la nullité des clauses et la restitution des sommes indûment versées. Surtout, il peut requérir le prononcé d’une amende civile dont le montant peut être très dissuasif, pouvant atteindre 5 millions d’euros, le triple des avantages indus, ou 5 % du chiffre d’affaires réalisé en France.

Prévention et gestion des risques juridiques en relations commerciales

Pour une entreprise, qu’elle soit en position de force ou de faiblesse dans la négociation, la gestion du risque lié au déséquilibre significatif est fondamentale. La prévention passe avant tout par une vigilance accrue lors de la rédaction et de la négociation des contrats.

Il est conseillé de procéder à un audit régulier de ses contrats-types et de ses conditions générales de vente ou d’achat pour s’assurer de leur conformité avec la jurisprudence. Chaque clause doit avoir une justification économique et être, si possible, réciproque. La traçabilité des négociations est également un élément clé. Conserver des preuves écrites des échanges, des propositions et contre-propositions, permet de démontrer, en cas de litige, que le contrat n’a pas été simplement « soumis », mais bien discuté.

Anticiper un contrôle de la DGCCRF ou une action en justice implique de documenter la logique économique de chaque partenariat. Pourquoi cette clause de remise ? Quelle est la contrepartie de cette obligation de service ? Avoir des réponses claires et documentées est la meilleure défense. L’accompagnement par un avocat compétent en droit des contrats et en droit de la concurrence est essentiel pour sécuriser ses partenariats, équilibrer ses conventions et se défendre efficacement en cas de contentieux.

Pour sécuriser vos relations commerciales et vous défendre en cas de litige relatif à un déséquilibre significatif, notre cabinet d’avocats en droit commercial met son expertise à votre service.

Sources

  • Code de commerce, notamment ses articles L. 442-1 et suivants
  • Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées

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