Lorsqu’une créance semble menacée, le créancier dispose de plusieurs outils juridiques pour en garantir le paiement futur. Au sein du panorama des sûretés judiciaires en droit français, le nantissement conservatoire de fonds de commerce est une mesure particulièrement efficace. Il permet de prendre une garantie sur l’un des actifs les plus importants d’un débiteur commerçant ou artisan, son fonds de commerce, et ce avant même d’avoir obtenu une décision de justice définitive condamnant ce dernier au paiement. Cette procédure préventive vise à empêcher le débiteur d’organiser son insolvabilité. Elle obéit cependant à un formalisme précis et confère des droits et obligations tant au créancier qu’au débiteur. Comprendre ses mécanismes est essentiel pour anticiper ses conséquences. Pour toute démarche visant à sécuriser une créance, l’accompagnement juridique pour vos procédures de saisie et sûretés par un avocat expert est une condition de succès.
Le fonds de commerce : éléments inclus et exclus du nantissement conservatoire
Le nantissement conservatoire ne porte pas sur l’entreprise dans sa globalité, mais sur un bien meuble incorporel spécifique : le fonds de commerce. La délimitation de son périmètre, ou « assiette », est donc une étape fondamentale. La loi définit les éléments qui sont automatiquement inclus dans la garantie, sauf si une clause du bordereau d’inscription les exclut expressément. La logique est de saisir la valeur économique du fonds, qui repose avant tout sur ses composantes attractives pour la clientèle. Cette approche s’inscrit dans la logique générale du nantissement en tant que sûreté mobilière puissante, qui vise à appréhender un bien de valeur sans pour autant en déposséder le propriétaire.
Portée du nantissement : enseigne, clientèle, droit au bail
Par défaut, le nantissement frappe les éléments incorporels qui constituent le cœur de la valeur du fonds. L’article L. 142-2 du Code de commerce énumère les biens compris dans le nantissement, sauf stipulation contraire. On y trouve obligatoirement l’enseigne et le nom commercial, qui sont les signes de ralliement de la clientèle. La clientèle elle-même, ainsi que l’achalandage, bien que difficiles à matérialiser, sont considérés comme l’élément central du fonds et sont donc inclus dans la garantie.
Le droit au bail est un autre pilier du nantissement. Il représente le droit pour le commerçant de se maintenir dans les lieux et d’obtenir le renouvellement de son bail commercial. Sa valeur peut être considérable, notamment dans les zones à forte attractivité commerciale. Le créancier nanti acquiert ainsi un droit sur cette valeur patrimoniale. Si le débiteur venait à céder son droit au bail, le créancier pourrait faire valoir ses droits sur le prix de cession. Les autres éléments incorporels comme les brevets, licences, marques ou dessins et modèles doivent être mentionnés expressément pour être inclus.
Cas particuliers : matériel, outillage et succursales
Une distinction nette doit être faite entre les éléments incorporels et les éléments corporels. Le matériel et l’outillage, c’est-à-dire les biens meubles servant à l’exploitation du fonds, sont par principe exclus de l’assiette du nantissement. Le législateur a considéré que ces biens pouvaient faire l’objet d’autres types de garanties, comme le gage, et qu’ils étaient par ailleurs nécessaires à la poursuite de l’activité. Pour qu’ils soient inclus dans le nantissement, une déclaration expresse doit être faite dans les actes. Les marchandises, quant à elles, sont toujours exclues du nantissement du fonds de commerce.
La question des succursales est également importante. Le nantissement pris sur un fonds de commerce principal ne s’étend pas automatiquement à ses succursales. Celles-ci constituent des fonds de commerce distincts, avec leur propre clientèle et, souvent, leur propre droit au bail. Par conséquent, si le créancier souhaite que sa garantie porte également sur une succursale, il doit procéder à une inscription de nantissement spécifique pour chaque fonds concerné, auprès du greffe du tribunal de commerce compétent pour cette succursale.
Formalités de la publicité provisoire du nantissement conservatoire
Le caractère « conservatoire » de ce nantissement implique une procédure en deux temps. La première phase consiste à prendre une garantie à titre provisoire, sur simple autorisation du juge, pour surprendre le débiteur et éviter qu’il ne dissimule ses actifs. Cette inscription provisoire est soumise à des formalités de publicité strictes qui assurent son efficacité et son information aux tiers.
Dépôt des bordereaux au greffe du tribunal de commerce
Une fois l’ordonnance du juge de l’exécution (ou du président du tribunal de commerce) obtenue, le créancier doit agir vite. Il dispose d’un délai de trois mois pour procéder à l’inscription provisoire. La formalité s’accomplit par le dépôt de deux bordereaux au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel le fonds est exploité. Ce dépôt est une étape administrative, mais son importance est majeure. C’est l’acte qui matérialise la prise de garantie et lui donne une date certaine.
Le greffier, après avoir vérifié la régularité formelle des documents, conserve l’un des bordereaux et remet le second au créancier, avec une mention de la date du dépôt et du numéro d’inscription. Cette formalité rend le nantissement public et accessible à quiconque consulterait l’état des inscriptions sur le fonds de commerce.
Mentions obligatoires et importance de la date de dépôt
Les bordereaux ne peuvent être rédigés de manière approximative. Le Code de commerce et le Code des procédures civiles d’exécution imposent des mentions obligatoires, sous peine de nullité de l’inscription. Doivent y figurer l’identité complète du créancier et du débiteur, l’élection de domicile du créancier dans le ressort du tribunal, l’indication de l’autorisation judiciaire (ou du titre) en vertu de laquelle l’inscription est prise, et le montant de la créance garantie en principal et accessoires.
La date de l’inscription est l’élément qui fixe le rang du créancier. En cas de pluralité de nantissements sur un même fonds, les créanciers seront payés selon l’adage « prior tempore, potior jure » : le premier en date est le premier en droit. Une inscription prise le matin primerait sur une inscription prise l’après-midi. Cette antériorité est déterminante, non seulement face à d’autres créanciers nantis, mais aussi face au vendeur du fonds ou à des créanciers disposant d’autres types de privilèges.
Effets de la publicité provisoire sur le fonds de commerce
L’inscription provisoire, bien que temporaire, produit des effets juridiques immédiats et puissants. Elle ne paralyse pas l’activité du débiteur mais encadre sévèrement sa capacité à disposer de la valeur de son fonds, protégeant ainsi le créancier contre toute manœuvre.
Opposabilité aux tiers et maintien de l’aliénabilité
Le principal effet de la publicité est de rendre le nantissement opposable à tous. Nul ne peut plus ignorer l’existence de la garantie. Cela signifie que tout acquéreur potentiel du fonds, ou tout autre créancier, est réputé avoir connaissance du droit préférentiel du créancier inscrit. Cependant, le nantissement n’entraîne pas l’indisponibilité du fonds. Le débiteur conserve le droit de le vendre ou de le donner en location-gérance. Le nantissement est un droit sur la valeur du bien, pas un droit de propriété. Le fonds reste aliénable, mais le droit du créancier « suit » le fonds en quelques mains qu’il passe.
Le droit sur la valeur et la consignation du prix en cas de vente
C’est ici que la protection du créancier se matérialise. Si le débiteur vend son fonds de commerce, le créancier nanti dispose d’un droit de suite et d’un droit de préférence. Le droit de préférence l’autorise à être payé sur le prix de vente avant les créanciers chirographaires (ceux qui n’ont pas de garantie). Pour rendre ce droit effectif, la loi impose à l’acquéreur du fonds de consigner le prix de vente. Il ne peut pas payer directement le vendeur. Le prix est bloqué auprès d’un séquestre (souvent la Caisse des Dépôts et Consignations) le temps de purger les inscriptions. Les créanciers inscrits, dont le titulaire du nantissement provisoire, peuvent alors faire opposition pour être payés sur ces sommes.
Les mesures de protection du débiteur : mainlevée et réduction
Le nantissement conservatoire est une mesure agressive, prise sans que le débat sur le fond de la créance ait eu lieu. Pour contrebalancer ce pouvoir, la loi offre au débiteur des voies de recours pour contester une garantie qu’il estime infondée ou disproportionnée.
Conditions et procédure de demande de mainlevée
Le débiteur peut à tout moment demander la mainlevée du nantissement provisoire. Cette demande doit être portée devant le juge de l’exécution qui a autorisé la mesure. Pour obtenir gain de cause, le débiteur doit prouver que les conditions légales de la mesure conservatoire ne sont pas (ou plus) réunies. Il peut par exemple démontrer que la créance invoquée par le créancier n’est pas fondée en son principe, ou que le créancier ne justifie pas de circonstances susceptibles de menacer son recouvrement. Si le juge accède à sa demande, il ordonne la radiation de l’inscription, qui est alors anéantie rétroactivement.
La procédure exige une argumentation juridique précise. Il est nécessaire de savoir quel juge saisir. La demande de mainlevée ou de réduction doit être portée devant le juge de l’exécution, et il est essentiel de déterminer la compétence territoriale du JEX pour que la procédure soit recevable.
La réduction de l’assiette du nantissement : preuve de l’excès
Si la garantie est fondée dans son principe mais que sa portée est excessive, le débiteur peut en demander la réduction. C’est le cas, par exemple, si un créancier pour une somme de 50 000 euros prend un nantissement sur un fonds de commerce dont la valeur est estimée à 500 000 euros. Le débiteur peut alors demander au juge de cantonner les effets du nantissement à une somme plus juste ou de réduire son assiette en excluant certains éléments. La preuve du caractère excessif de la mesure pèse sur le débiteur, qui doit fournir des éléments concrets (bilans, expertises) pour étayer sa demande.
La publicité définitive du nantissement conservatoire
La nature provisoire de l’inscription implique qu’elle doit être confirmée. Le créancier doit obtenir un titre exécutoire (un jugement de condamnation définitif, par exemple) pour pouvoir transformer la mesure conservatoire en garantie définitive.
Délai pour l’accomplissement et sanction de la caducité
Le créancier n’a pas un temps infini. Une fois qu’il a obtenu un titre exécutoire, il dispose d’un délai de deux mois pour procéder à la publicité définitive. Ce délai court à compter de la date à laquelle le titre est passé en force de chose jugée. S’il laisse passer ce délai, la sanction est sévère : l’inscription provisoire devient caduque. Elle est privée de tout effet, et le créancier perd le rang que lui avait conféré sa diligence initiale. Il ne peut plus se prévaloir de son nantissement, même s’il obtient plus tard le paiement de sa créance.
Formalités d’inscription définitive et retour au droit commun commercial
La publicité définitive s’opère par une nouvelle inscription au greffe du tribunal de commerce. Le créancier dépose des bordereaux mentionnant le titre exécutoire obtenu. Cette nouvelle inscription vient se substituer à l’inscription provisoire. Elle prend rang, de manière rétroactive, à la date de la formalité provisoire. C’est tout l’intérêt de la procédure : le créancier conserve le bénéfice de son antériorité. Une fois l’inscription définitive réalisée, le nantissement n’est plus une mesure conservatoire. Il devient un nantissement de fonds de commerce de droit commun, régi par les articles L. 142-1 et suivants du Code de commerce.
Interférences du nantissement conservatoire avec les procédures collectives
La situation se complexifie lorsque le débiteur fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Les règles des procédures collectives viennent alors primer sur le droit des sûretés.
L’arrêt des inscriptions et les nullités de la période suspecte
Le jugement d’ouverture d’une procédure collective emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance antérieure et interdiction de prendre de nouvelles inscriptions. Un créancier qui n’aurait pas inscrit son nantissement conservatoire avant le jugement d’ouverture ne peut plus le faire. De plus, si l’inscription a été prise durant la « période suspecte » (la période qui précède la date de cessation des paiements), elle peut être annulée si le créancier avait connaissance de cet état. La rencontre entre une sûreté et une faillite soulève des questions complexes, illustrant l’importance d’anticiper l’interaction entre les mesures conservatoires et les procédures collectives.
La déclaration de créance dans le cadre de la procédure collective
Être titulaire d’un nantissement, même définitif, ne dispense pas le créancier de ses obligations dans le cadre de la procédure collective. Il doit impérativement déclarer sa créance au passif de la procédure dans les délais légaux (généralement deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture). Lors de cette déclaration, il doit mentionner l’existence de son nantissement. À défaut de déclaration dans les délais, sa créance est éteinte et sa sûreté, privée de cause, disparaît. S’il déclare sa créance mais omet de mentionner sa garantie, il sera considéré comme un simple créancier chirographaire et perdra le bénéfice de son droit de préférence.
Le nantissement conservatoire de fonds de commerce est une arme juridique redoutable pour un créancier, mais sa mise en œuvre est jalonnée d’étapes précises et de délais stricts. Chaque phase, de la délimitation de son assiette à sa conversion en garantie définitive, comporte des enjeux qui peuvent être décisifs. Pour sécuriser efficacement vos droits ou pour vous défendre face à une telle mesure, l’assistance d’un avocat est indispensable. Contactez notre cabinet pour une analyse de votre situation et une stratégie sur mesure.
Sources
- Code de commerce
- Code des procédures civiles d’exécution