Le financement est le moteur du développement des entreprises. Pour obtenir des crédits, les créanciers exigent des garanties solides et efficaces. Parmi les outils à la disposition des acteurs économiques, le nantissement de meubles incorporels, et plus particulièrement le nantissement de créances, occupe une place de choix. Cette sûreté permet de garantir une dette en affectant un ou plusieurs actifs immatériels, comme un portefeuille de factures clients. Complexe dans ses mécanismes, cette garantie est pourtant d’une grande souplesse. Pour bien comprendre ses enjeux, il est nécessaire de le situer dans le paysage plus large du droit des sûretés mobilières, qui organise la manière dont un bien peut garantir une obligation.
Définition et régime juridique du nantissement de meubles incorporels
Le nantissement est un contrat par lequel un débiteur remet un bien à son créancier pour garantir sa dette. Le droit français opère une distinction fondamentale selon la nature du bien affecté en garantie. Cette clarification est essentielle pour comprendre le cadre applicable.
Spécificité du « nantissement » vs « gage »
La distinction entre le gage et le nantissement repose sur la nature corporelle ou incorporelle du bien. L’article 2355 du Code civil définit le nantissement comme « l’affectation, en garantie d’une obligation, d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs ». Il s’oppose ainsi au gage, qui porte exclusivement sur des biens meubles corporels (stocks, matériel, véhicules). Le nantissement concernera donc des actifs immatériels : des créances, des parts sociales, des brevets, un fonds de commerce, etc. Cette distinction n’est pas purement théorique ; elle détermine les règles de constitution et de réalisation de la garantie.
Régime général (nantissement de créances et d’autres incorporels)
Le Code civil établit un régime général pour le nantissement de meubles incorporels, avec un focus particulier sur le nantissement de créances, qui est le cas d’usage le plus fréquent. Ce corpus de règles, issu de la réforme du droit des sûretés, a pour objectif de simplifier et de sécuriser le recours à cette garantie. Il s’applique par défaut, sauf lorsqu’un texte spécifique prévoit des modalités particulières pour certains types de biens incorporels.
Régimes spécifiques (brevets, parts de sociétés, comptes d’instruments financiers, police d’assurance-vie)
À côté du régime général, coexistent plusieurs régimes spéciaux, adaptés à la nature de l’actif nanti. Par exemple :
- Le nantissement d’un brevet ou d’une marque doit être inscrit au Registre national de la propriété industrielle pour être opposable aux tiers.
- Le nantissement de parts de sociétés civiles ou de sociétés à responsabilité limitée (SARL) est constaté par un acte authentique ou sous seing privé et signifié à la société pour qu’elle soit informée du transfert de garantie.
- Le nantissement d’un compte-titres ou d’un compte d’instruments financiers, régi par le Code monétaire et financier, s’effectue par une simple déclaration signée par le titulaire du compte. Ce mécanisme est notamment pertinent pour la constitution de garanties sur les actifs numériques lorsque ceux-ci sont détenus via des plateformes réglementées.
- Le nantissement d’une police d’assurance-vie se fait par un avenant au contrat, signé par le souscripteur, l’assuré et le créancier bénéficiaire.
Chacun de ces régimes déroge en partie au droit commun pour tenir compte des spécificités de l’actif et des registres de publicité existants.
Nature des créances affectées en garantie
Une des grandes forces du nantissement de créances est sa flexibilité. Il peut porter sur une créance unique ou sur un ensemble de créances, et celles-ci peuvent être présentes ou futures. Une entreprise peut ainsi nantir l’ensemble de ses factures à émettre sur un client donné pour garantir une ligne de crédit. La seule condition est que les créances, si elles sont futures, soient suffisamment identifiables dans l’acte de nantissement. L’acte doit permettre de les individualiser, par exemple en mentionnant le débiteur, le lieu de paiement, le montant ou encore leur échéance.
Constitution du nantissement de créance
La validité d’un nantissement de créance repose sur le respect de conditions de forme précises, bien que la loi ait cherché à les alléger pour faciliter le crédit inter-entreprises.
Formalité de l’écrit allégée
Aux termes de l’article 2356 du Code civil, le nantissement de créance doit être conclu par un écrit. Cette exigence est une condition de validité de la sûreté (ad validitatem). Sans écrit, le nantissement est nul. Cependant, la loi n’impose aucune autre formalité lourde. Un simple acte sous seing privé suffit, il n’est pas nécessaire de recourir à un acte notarié (sauf exceptions) ni de procéder à un enregistrement fiscal pour que l’acte soit valable entre les parties. Cette simplicité facilite grandement son utilisation dans la vie des affaires.
Contenu de l’acte (désignation créances garanties et nanties)
L’acte écrit doit comporter des mentions obligatoires pour être efficace. Il doit désigner avec précision :
- La créance garantie : le prêt, l’ouverture de crédit ou toute autre obligation que le nantissement vient sécuriser. Il faut en indiquer le montant, l’échéance et les accessoires.
- La ou les créances nanties : les créances du débiteur sur ses propres clients qui sont affectées en garantie. Comme évoqué, elles doivent être déterminées ou, a minima, déterminables.
Une rédaction imprécise de l’acte peut entraîner des difficultés d’interprétation et, dans les cas les plus graves, l’inefficacité de la garantie. Il est donc recommandé de porter une attention particulière à la description des créances pour éviter toute ambiguïté.
Étendue du nantissement de créance
Une fois valablement constitué, le nantissement produit des effets qu’il convient de délimiter dans leur périmètre et leur durée.
Périmètre et durée du nantissement
Sauf clause contraire, le nantissement d’une créance s’étend à tous ses accessoires, comme les intérêts conventionnels ou les pénalités de retard. La garantie suit le sort de la créance garantie. Par conséquent, le nantissement a vocation à durer aussi longtemps que l’obligation principale n’est pas éteinte. Il prend fin automatiquement avec le remboursement complet de la dette qu’il sécurise.
Nantissement de compte (détermination du solde, interactions avec saisies et procédures collectives)
Le nantissement de compte bancaire est une application particulière du nantissement de créances. La créance nantie est ici la créance du titulaire du compte contre la banque, correspondant au solde créditeur de ce compte. La difficulté réside dans le fait que ce solde est par nature fluctuant.
La jurisprudence considère que le droit du créancier nanti ne porte pas sur chaque opération individuelle, mais sur le solde final du compte. Le droit de préférence du créancier nanti ne se cristallisera que sur le solde existant au jour où la garantie est mise en jeu ou au jour de l’ouverture d’une procédure collective. Cette situation peut créer des conflits complexes avec d’autres créanciers qui pratiqueraient une saisie sur ce même compte ou en cas de faillite de l’entreprise. La date de constitution du nantissement sera alors déterminante pour établir la priorité des droits. La gestion des créances dans un tel contexte est un enjeu majeur, notamment lors de la vérification des créances en procédure collective.
Effets du nantissement de créance
Le nantissement organise les relations non seulement entre le débiteur et son créancier, mais aussi à l’égard des tiers, et en premier lieu le débiteur de la créance qui est nantie.
Faculté de nantissements multiples
Une même créance peut faire l’objet de plusieurs nantissements successifs au profit de différents créanciers. Dans cette hypothèse, un conflit peut naître entre ces créanciers nantis. Le règlement de ce conflit est simple en apparence : le rang des créanciers est déterminé par la date de l’acte de nantissement. Le premier en date est le premier en droit. Cette règle incite les créanciers à formaliser rapidement leur garantie pour s’assurer du meilleur rang possible.
Date de prise d’effet du nantissement et opposabilité aux tiers
Conformément à l’article 2361 du Code civil, le nantissement prend effet entre les parties à la date de l’acte. C’est également à cette date qu’il devient opposable aux tiers. Il n’est plus nécessaire, comme par le passé, de procéder à une formalité de publicité ou d’enregistrement pour que les autres créanciers du débiteur ne puissent ignorer l’existence de la garantie. La seule force de l’acte écrit daté suffit à conférer au créancier nanti un droit sur la créance de son débiteur.
Opposabilité du nantissement au débiteur de la créance nantie (notification)
Si la garantie est opposable aux tiers dès la date de l’acte, elle ne l’est à l’égard du débiteur de la créance nantie (celui que l’on appelle le « sub-débiteur ») qu’à partir du moment où elle lui est notifiée. L’article 2362 du Code civil prévoit que cette notification peut prendre la forme d’une signification par commissaire de justice ou d’une simple lettre. Le débiteur peut également intervenir à l’acte de nantissement pour en prendre connaissance.
L’effet de cette notification est capital. Avant elle, le débiteur de la créance nantie peut valablement payer sa dette entre les mains de son créancier initial (le débiteur de la créance garantie). Son paiement est libératoire. Après la notification, il ne peut plus se libérer qu’en payant entre les mains du créancier nanti. S’il payait son créancier d’origine, il prendrait le risque de devoir payer une seconde fois.
Mise en jeu du nantissement
La finalité d’une sûreté est d’être réalisée en cas de défaillance du débiteur principal. Les modalités de mise en jeu du nantissement de créance varient selon que la créance nantie est échue ou non.
Créance nantie échue antérieurement à la créance garantie
Imaginons que la créance nantie (une facture client à 30 jours) arrive à échéance alors que la créance garantie (un prêt remboursable dans un an) n’est pas encore exigible. Le créancier nanti, qui a été notifié, doit encaisser les fonds. Cependant, il ne peut pas se les approprier immédiatement. L’article 2364 du Code civil lui impose de les conserver sur un compte de dépôt spécial. Ces fonds lui sont « consignés » et lui seront attribués en paiement si sa propre créance devient exigible et n’est pas payée. Si le débiteur principal rembourse sa dette, les fonds sont restitués.
Créance nantie échue postérieurement à la créance garantie
C’est le cas le plus classique. Le débiteur principal ne rembourse pas son prêt à l’échéance. Le créancier nanti peut alors mettre en jeu la garantie. Si la créance nantie est elle-même échue et impayée, le créancier peut en exiger le paiement direct de la part du débiteur notifié. Si la créance nantie n’est pas encore échue, le créancier nanti ne peut forcer son paiement anticipé. Il dispose alors de deux options principales : il peut demander en justice que la créance nantie lui soit attribuée en paiement (attribution judiciaire), ou que la créance soit vendue aux enchères. Le juge veillera à ce que les intérêts des différentes parties soient préservés, notamment en imputant la valeur de la créance sur la dette garantie.
Le nantissement de créance est un mécanisme de garantie performant mais dont la mise en œuvre réclame une grande précision, tant dans la rédaction de l’acte que dans les démarches de notification et de réalisation. Une erreur ou une imprécision peut priver la sûreté de toute son efficacité. Pour sécuriser vos opérations de financement ou garantir vos propres créances, l’assistance d’un avocat est déterminante. Notre cabinet vous accompagne en droit commercial pour structurer les garanties les plus adaptées à votre situation.
Sources
- Code civil (en particulier les articles 2355 à 2366)
- Code de commerce
- Code monétaire et financier
- Code de la propriété intellectuelle
- Code des assurances