multicolored digital wallpaper

Accès aux informations, sanctions et nouvelles obligations pour les bénéficiaires effectifs

Table des matières

Le registre des bénéficiaires effectifs vise à accroître la transparence sur le contrôle réel des entreprises. Mais cette transparence soulève une question légitime : qui a le droit de consulter ces informations, parfois sensibles ? Par ailleurs, les obligations liées aux bénéficiaires effectifs s’arrêtent-elles à la société déclarante ? Comme nous allons le voir, la réponse est non. Le dispositif prévoit des règles d’accès spécifiques, mais aussi des devoirs qui pèsent désormais directement sur les bénéficiaires effectifs eux-mêmes, sans oublier des interactions clés avec les professionnels de la lutte anti-blanchiment. Pour un aperçu global des principales obligations liées au registre des bénéficiaires effectifs, consultez notre article de synthèse.

Consultation du registre : qui a le droit de voir quoi ?

Avant de savoir qui peut accéder à ces informations, il est essentiel de maîtriser la définition et les critères d’identification du bénéficiaire effectif. L’accès aux informations contenues dans le registre des bénéficiaires effectifs n’est pas uniforme. Il varie considérablement selon la qualité de la personne qui cherche à les consulter. Il est important de noter d’emblée que, quelles que soient les modalités, l’accès aux informations elles-mêmes est gratuit, comme le précise l’article L. 561-46 du Code monétaire et financier.

L’accès public : un droit limité et en pleine évolution

Le grand public peut-il savoir qui est le bénéficiaire effectif d’une société ? La loi française, modifiée par l’ordonnance du 12 février 2020, avait initialement prévu un accès pour toute personne, sans exiger la démonstration d’un intérêt légitime. Toutefois, cet accès public n’est pas total. Il est limité aux informations suivantes concernant le bénéficiaire effectif :

  • Ses nom, nom d’usage, pseudonyme, prénoms.
  • Son mois et son année de naissance.
  • Son pays de résidence et sa nationalité.
  • La nature et l’étendue des intérêts effectifs détenus dans la société (par exemple, le pourcentage de capital ou de droits de vote, ou la description de l’autre moyen de contrôle).

Sont donc exclues de l’accès public des données plus personnelles comme le jour et le lieu de naissance précis, ou l’adresse personnelle du bénéficiaire. Cette limitation vise à trouver un équilibre avec le respect de la vie privée.

Cependant, ce principe d’accès public, même limité, a été profondément remis en question par un arrêt majeur de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 22 novembre 2022 (Aff. C-37/20 et C-601/20, Luxembourg Business Registers). La Cour a jugé que permettre un accès généralisé et inconditionnel à tout membre du public constituait une ingérence grave et disproportionnée dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles (protégés par la Charte des droits fondamentaux de l’UE).

Quelle est la situation en France aujourd’hui (en avril 2025) ? Suite à cet arrêt, l’accès public a été maintenu par les autorités françaises, dans l’attente d’une adaptation de la législation nationale pour tenir compte de la décision de la CJUE. Des réflexions sont en cours pour définir de nouvelles modalités. L’idée serait de potentiellement réserver un accès plus large (peut-être à l’intégralité des données) à certaines catégories de personnes pouvant démontrer un intérêt légitime à accéder à ces informations, comme les journalistes d’investigation ou les organisations de la société civile luttant contre la corruption.

Parallèlement, une nouvelle directive européenne, la 6ème directive anti-blanchiment (Directive (UE) 2024/1640), adoptée en mai 2024, doit être transposée par les États membres d’ici juillet 2027. Elle prévoit de garantir un accès aux informations pour les personnes directement impliquées dans la lutte anti-blanchiment. Il reste à voir comment la France articulera précisément ces différentes exigences. La situation concernant l’accès du grand public reste donc incertaine et susceptible d’évoluer dans les mois ou années à venir.

L’accès intégral pour les autorités désignées

En revanche, certaines autorités bénéficient d’un accès complet et sans restriction à toutes les informations relatives aux bénéficiaires effectifs, y compris les données personnelles non accessibles au public. L’article L. 561-46, alinéa 3, 2° du Code monétaire et financier, complété par l’article R. 561-57, liste précisément ces autorités. On y trouve notamment :

  • Les magistrats de l’ordre judiciaire.
  • Les agents de Tracfin (la cellule de renseignement financier française).
  • Les agents des douanes et de l’administration fiscale habilités.
  • Les officiers de police judiciaire (police, gendarmerie).
  • Les autorités de contrôle du secteur financier (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution – ACPR, Autorité des Marchés Financiers – AMF).
  • Les autorités de contrôle de certaines professions réglementées (ordre des avocats, chambre des notaires, etc.).

Ces autorités peuvent également communiquer ces informations à leurs homologues européens dans le cadre de leur mission.

L’accès intégral (sous conditions) pour les professionnels assujettis LCB-FT

Les professionnels soumis aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (listés à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier) ont également besoin de ces informations pour remplir leurs propres obligations de vigilance à l’égard de leurs clients (procédures dites de « KYC » – Know Your Customer). Il s’agit notamment des banques, compagnies d’assurance, établissements de paiement, experts-comptables, commissaires aux comptes, avocats, notaires, agents immobiliers…

Ces professionnels peuvent avoir accès à l’intégralité des informations sur les bénéficiaires effectifs, mais uniquement dans le cadre strict de la mise en œuvre de leurs mesures de vigilance (articles L. 561-4-1 à L. 561-14-2 C. mon. fin.). Pour obtenir cet accès, ils doivent établir une déclaration signée attestant de leur qualité et de la finalité de leur demande, comme le précise l’article R. 561-58.

L’accès pour l’entreprise elle-même

Logiquement, la société ou l’entité qui a déclaré les informations peut elle-même y accéder, mais uniquement pour les informations qu’elle a fournies (article L. 561-46, al. 3, 1° C. mon. fin.).

Le bénéficiaire effectif aussi a des obligations

Une innovation importante de l’ordonnance du 12 février 2020 a été d’imposer des obligations directement aux bénéficiaires effectifs personnes physiques. Ils ne sont plus de simples « sujets » d’information mais deviennent acteurs de la conformité.

Fournir les informations à la société qui le demande

L’article L. 561-45-2 du Code monétaire et financier est clair : le bénéficiaire effectif est tenu de communiquer à la société ou à l’entité concernée toutes les informations nécessaires pour que celle-ci puisse respecter ses propres obligations. Cela inclut les informations nécessaires à la déclaration au RCS, mais aussi celles que la société doit pouvoir fournir aux professionnels LCB-FT qui la solliciteraient.

Imaginez la situation délicate pour un dirigeant si un actionnaire ou une personne exerçant un contrôle indirect refuse de lui communiquer les informations requises pour la déclaration ! Cette nouvelle disposition donne un fondement légal clair à la demande de la société envers son bénéficiaire effectif.

Le délai de réponse : 30 jours ouvrables

Le bénéficiaire effectif sollicité ne peut pas faire attendre la société indéfiniment. Il doit transmettre les informations demandées dans un délai de trente jours ouvrables à compter de la demande de la société (précisé par l’article R. 561-59 C. mon. fin.).

Sanctions en cas de refus ou d’informations erronées par le bénéficiaire

Que se passe-t-il si le bénéficiaire effectif ne répond pas dans les délais, ou transmet des informations fausses ou incomplètes ? Les conséquences peuvent être lourdes pour lui :

  1. Action en justice par la société : La société peut saisir le président du tribunal statuant en référé pour obtenir une ordonnance obligeant le bénéficiaire effectif à transmettre les informations, si besoin sous astreinte (article L. 561-45-2, al. 3 C. mon. fin.).
  2. Sanctions pénales directes : Plus grave encore, le fait pour le bénéficiaire effectif de ne pas transmettre les informations dans les délais, ou de transmettre des informations inexactes ou incomplètes, est désormais une infraction pénale spécifique, créée par l’article L. 574-6 du Code monétaire et financier. Les peines encourues sont les mêmes que pour le dirigeant qui ne déclare pas correctement : six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende, plus les peines complémentaires possibles.

La responsabilité pèse donc aussi individuellement sur le bénéficiaire effectif lui-même.

Interactions et responsabilités croisées

Obligation de la société envers les professionnels LCB-FT

Comme mentionné précédemment, la société doit fournir les informations sur ses bénéficiaires effectifs aux professionnels (banques, experts-comptables…) qui en font la demande dans le cadre de leur devoir de vigilance (article L. 561-45-1, al. 5 C. mon. fin.). Le manquement à cette obligation est sanctionné pénalement pour la société et son dirigeant (via l’article L. 574-5).

Obligation des professionnels de signaler les incohérences

Pour boucler la boucle et renforcer la fiabilité du registre, les professionnels LCB-FT (ainsi que certaines autorités) ont l’obligation de signaler au greffier toute divergence qu’ils repèrent entre les informations du registre et celles qu’ils ont pu recueillir par leurs propres moyens (article L. 561-47-1 C. mon. fin.). Ce signalement déclenche la procédure de régularisation auprès de la société (qui implique un retour sur la déclaration initiale au RCS), incitant à la correction des données et augmentant la pression pour une information exacte.

Naviguer dans les règles d’accès et les obligations croisées concernant les bénéficiaires effectifs peut être complexe, d’autant plus avec les évolutions juridiques récentes et les incertitudes actuelles sur l’accès public. Pour comprendre vos droits d’accès ou vos obligations en tant que société ou bénéficiaire effectif, n’hésitez pas à solliciter notre accompagnement juridique expert et sur mesure en droit commercial.

Sources

  • Code monétaire et financier : notamment articles L. 561-2, L. 561-4-1 à L. 561-14-2, L. 561-45-1, L. 561-45-2, L. 561-46, L. 561-47-1, L. 574-5, L. 574-6, R. 561-57, R. 561-58, R. 561-59.
  • Ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020.
  • CJUE, 22 novembre 2022, Aff. C-37/20 et C-601/20, Luxembourg Business Registers.
  • Directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 (6ème Directive Anti-Blanchiment).

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR