L’entrée sur les marchés financiers est une étape décisive pour une entreprise, mais le succès de l’opération ne se mesure pas uniquement le jour de la première cotation. La période qui suit est tout aussi déterminante pour construire la confiance des investisseurs et assurer la pérennité de la valeur du titre. Une volatilité excessive ou un manque de transactions peuvent rapidement nuire à la réputation de la société nouvellement cotée. Pour encadrer cette phase délicate, le droit financier a prévu des mécanismes spécifiques : les opérations de stabilisation et les contrats de liquidité. Ces outils, bien que régulés, sont essentiels pour accompagner la vie boursière d’une entreprise. Comprendre leur fonctionnement et leur cadre légal est indispensable pour tout dirigeant souhaitant maîtriser les suites de son guide juridique complet de l’introduction en bourse.
La stabilisation du cours des titres après l’IPO
Immédiatement après une introduction en bourse, le cours d’un titre peut subir une forte pression à la vente, notamment de la part d’investisseurs cherchant un profit rapide. Cette situation peut entraîner une baisse artificielle du cours, déconnectée de la valeur réelle de l’entreprise, et écorner la confiance du marché. Les opérations de stabilisation visent précisément à contrer ce phénomène.
Définition et objectif des opérations de stabilisation
La stabilisation, telle que définie par la réglementation européenne, regroupe tout achat ou offre d’achat de titres réalisé par un établissement financier dans le contexte d’une émission significative. L’unique objectif de ces interventions est de soutenir le prix du titre sur le marché pendant une période déterminée. En pratique, il s’agit pour le syndicat de placement, mené par la banque chef de file, de se porter acquéreur sur le marché pour contrebalancer une pression vendeuse excessive et ainsi éviter une chute brutale du cours. Ces interventions permettent de rassurer les investisseurs et de favoriser une évolution plus ordonnée du prix du titre dans les premiers jours de sa cotation.
Présomption irréfragable de légitimité et conditions
Par nature, des achats massifs destinés à soutenir un cours pourraient être qualifiés de manipulation de marché. Cependant, la réglementation européenne a établi un cadre strict qui confère à ces opérations une présomption irréfragable de légitimité, à condition que plusieurs exigences soient respectées. Ces conditions forment un « safe harbour », une sphère de sécurité juridique pour les intermédiaires.
Premièrement, une obligation de transparence totale s’impose. Le public doit être informé, avant même le début de l’offre, de l’éventualité d’opérations de stabilisation, de leur objectif, de l’identité de l’intermédiaire responsable et de la période durant laquelle elles pourront avoir lieu. Deuxièmement, la durée des interventions est limitée. La stabilisation ne peut excéder une période de trente jours calendaires à compter du début des négociations. Enfin, une contrainte de prix est imposée : les achats de stabilisation ne peuvent en aucun cas être effectués à un prix supérieur à celui de l’offre initiale. Le respect de ce cadre assure que la stabilisation reste un mécanisme de soutien temporaire et non un outil de manipulation des cours.
La relation avec l’option « green shoe »
Les opérations de stabilisation sont presque systématiquement associées à un mécanisme complémentaire : l’option de surallocation, plus connue sous le nom de « green shoe ». Cette option, consentie par la société émettrice au syndicat de placement, permet à ce dernier d’allouer aux investisseurs un nombre de titres supérieur à celui initialement prévu dans l’offre, généralement jusqu’à 15 % de plus. Pour livrer ces titres supplémentaires, la banque chef de file emprunte les actions correspondantes à un actionnaire existant. C’est ici que le lien avec la stabilisation se noue.
Si le cours du titre baisse après l’introduction, la banque utilise les fonds issus de la surallocation pour racheter des titres sur le marché dans le cadre de la stabilisation. Ces titres rachetés servent ensuite à rembourser l’actionnaire prêteur. Si, à l’inverse, le cours augmente, la banque n’a aucun intérêt à racheter des titres à un prix supérieur au prix d’offre. Elle exerce alors son option « green shoe » pour souscrire des actions nouvelles auprès de la société au prix de l’introduction, et les utilise pour rembourser son emprunt. L’option de surallocation constitue donc un mécanisme de couverture indispensable pour la banque qui mène les opérations de stabilisation.
Les contrats de liquidité : assurer la régularité des cotations
Au-delà de la phase initiale post-introduction, une société cotée doit veiller à ce que son titre reste attractif. Un marché est considéré comme « liquide » lorsque les investisseurs peuvent acheter ou vendre des titres facilement, sans que des volumes de transaction même modestes ne provoquent de fortes variations de cours. Pour les valeurs moyennes ou petites, maintenir cette liquidité peut s’avérer complexe. Le contrat de liquidité est l’instrument privilégié pour y parvenir.
Définition et rôle du prestataire animateur
Le contrat de liquidité est une convention par laquelle une société émettrice mandate un prestataire de services d’investissement, appelé « animateur de marché », pour intervenir en son nom sur son propre titre. La mission de cet animateur est de favoriser une liquidité régulière des transactions et d’éviter des décalages de cours importants qui ne seraient pas justifiés par la tendance générale du marché. Concrètement, l’animateur se positionne en permanence à l’achat et à la vente dans le carnet d’ordres, réduisant ainsi la « fourchette » de prix entre l’offre et la demande et facilitant la conclusion de transactions. Il agit comme un régulateur, apportant la contrepartie nécessaire lorsqu’elle fait défaut.
Pratique de marché admise par l’AMF et conditions
Tout comme la stabilisation, les interventions d’un animateur pourraient s’analyser en une manipulation de cours. Pour éviter cet écueil, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a reconnu le contrat de liquidité comme une « pratique de marché admise », à condition qu’il respecte scrupuleusement les règles définies dans une charte de déontologie établie par l’Association Française des Marchés Financiers (AMAFI). Cette reconnaissance offre une sécurité juridique à l’émetteur et à son prestataire.
Plusieurs conditions strictes doivent être respectées. L’émetteur doit informer le marché par communiqué de la signature du contrat, de l’identité de l’animateur et des moyens (en titres et en espèces) alloués au programme. L’indépendance de l’animateur est une condition fondamentale : la société émettrice ne doit lui donner aucune instruction et il doit être le seul juge de l’opportunité de ses interventions. Des bilans semestriels sur la mise en œuvre du contrat doivent également être publiés. Ces exigences garantissent que le contrat de liquidité sert bien l’intérêt du marché et non les intérêts particuliers de l’émetteur.
Modalités de mise en œuvre et allégements récents
La mise en œuvre d’un contrat de liquidité repose sur les programmes de rachat d’actions, encadrés par le Code de commerce. Une ordonnance du 30 janvier 2009 a considérablement assoupli les modalités de ces programmes lorsqu’ils soutiennent un contrat de liquidité. Auparavant, le plafond légal de 10 % du capital qu’une société pouvait racheter était calculé en brut, ce qui limitait fortement les interventions de l’animateur qui achète et vend continuellement. Désormais, comme le précise l’article L. 225-209-1 du Code de commerce, ce seuil est calculé en net, c’est-à-dire en déduisant les actions revendues des actions achetées pendant la durée de l’autorisation. Cette modification a offert une plus grande flexibilité aux animateurs. De plus, les actions acquises dans le cadre d’un contrat de liquidité ne sont plus obligatoirement mises sous forme nominative, ce qui facilite leur circulation et réduit les coûts de transaction.
Prévention des manipulations de cours et des manquements de marché
L’intégrité du marché est une condition essentielle de la confiance des investisseurs. Le droit boursier réprime sévèrement les manquements de marché, au premier rang desquels figure la manipulation de cours. Ce manquement consiste à fausser le mécanisme de formation des prix par des manœuvres ou la diffusion d’informations trompeuses. Les opérations de stabilisation et les contrats de liquidité, parce qu’ils impliquent des interventions visant à influencer le cours ou la liquidité d’un titre, se situent à la frontière de cette prohibition.
C’est précisément pour cette raison que la réglementation européenne et française a bâti des cadres juridiques stricts pour ces pratiques. Le « safe harbour » pour la stabilisation et le statut de « pratique de marché admise » pour les contrats de liquidité ne sont pas des autorisations à agir sans contrainte. Ils constituent des exceptions légitimes à l’interdiction de manipuler les cours, mais leur bénéfice est conditionné au respect absolu des règles de transparence, de durée, de prix et d’indépendance. Tout écart par rapport à ce cadre expose la société et ses prestataires à des sanctions. Une surveillance rigoureuse de la part des autorités est donc exercée, et le pouvoir de sanction de l’AMF garantit que ces outils restent au service du bon fonctionnement du marché.
Solent Avocats : sécuriser la vie boursière de votre entreprise
La gestion des obligations post-introduction en bourse est une démarche complexe qui exige une connaissance approfondie des réglementations en vigueur. La mise en place d’un contrat de liquidité ou la supervision d’opérations de stabilisation ne s’improvisent pas et requièrent une structuration juridique rigoureuse pour éviter tout risque de requalification en manquement de marché. Les conséquences d’une erreur ou d’un manquement peuvent être significatives, tant sur le plan financier que réputationnel.
Fort de son notre expertise en droit bancaire et financier, notre cabinet accompagne les sociétés cotées dans la sécurisation de leur parcours boursier. Nous vous assistons dans la négociation et la rédaction de vos contrats de liquidité, et nous vous conseillons sur le cadre juridique des opérations de stabilisation afin de garantir leur conformité avec la réglementation de l’AMF. Notre objectif est de vous fournir la sécurité juridique nécessaire pour vous permettre de vous concentrer sur votre développement. Pour une analyse de votre situation et un accompagnement sur mesure, contactez notre équipe.
Sources
- Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement MAR).
- Règlement délégué (UE) 2016/1052 de la Commission du 8 mars 2016 complétant le règlement (UE) n° 596/2014 en ce qui concerne les conditions applicables aux programmes de rachat et aux mesures de stabilisation.
- Code monétaire et financier, notamment les articles L. 465-1 et suivants, et L. 621-1 et suivants.
- Code de commerce, notamment les articles L. 225-209 et suivants.
- Règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF).