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Action oblique directe et saisie-attribution : enjeux procéduraux et patrimoniaux

Table des matières

La saisie-attribution est une procédure de recouvrement souvent perçue comme un mécanisme direct : un créancier, muni d’un titre exécutoire, saisit les sommes dues à son débiteur par un tiers. Cependant, cette simplicité apparente masque des situations juridiques d’une grande complexité. Que se passe-t-il lorsque le créancier ou le débiteur initial n’est plus le même, suite à une cession de créance, une succession ou une fusion de sociétés ? Comment agir si votre débiteur, par négligence, omet de recouvrer ses propres créances, bloquant ainsi indirectement les vôtres ? Ces scénarios, loin d’être rares, exigent une maîtrise technique approfondie du droit de l’exécution pour sécuriser les droits de chacun et mener une contestation efficace.

Comprendre les mécanismes de l’action oblique et de l’action directe

Pour recouvrer une créance, un créancier dispose de plusieurs outils juridiques. Parmi eux, l’action oblique et l’action directe permettent d’agir contre le débiteur de son propre débiteur. Bien que leur objectif soit similaire, leur mise en œuvre et leurs effets diffèrent radicalement, une distinction essentielle à maîtriser avant d’aborder la saisie-attribution et l’exercice de l’action oblique.

Les fondements de l’action oblique : le rôle de la carence du débiteur

L’action oblique, prévue à l’article (art) 1341-1 du Code civil, est une voie de droit permettant à un créancier de pallier l’inaction de son débiteur. Si votre débiteur néglige d’exercer ses propres droits et actions à caractère patrimonial (par exemple, réclamer le paiement d’une facture à l’un de ses clients), et que cette carence compromet vos chances de recouvrement, vous pouvez exercer cette action oblique à sa place. L’élément déclencheur est donc bien la négligence avérée du débiteur négligent. Toutefois, cette action oblique a une portée limitée : les fonds récupérés entrent dans le patrimoine du débiteur négligent et ne sont pas directement attribués au créancier qui a agi. Ils deviennent alors disponibles pour l’ensemble des créanciers de ce débiteur, sans conférer de privilège particulier à celui qui a initié la procédure.

L’action directe : une prérogative d’exception pour le créancier

Contrairement à l’action oblique, l’action directe est une prérogative exceptionnelle qui doit être expressément prévue par la loi. Elle permet à un créancier d’agir en son nom personnel et pour son propre compte contre le débiteur de son débiteur. L’exemple le plus courant, issu d’un contrat de sous-traitance, est celui du sous-traitant (par exemple, une entreprise du bâtiment) qui, en cas de défaillance de l’entrepreneur principal, peut agir directement contre le maître d’ouvrage pour obtenir le paiement des travaux réalisés. L’avantage est considérable : le paiement est effectué directement au créancier agissant, sans transiter par le patrimoine de son débiteur. Cette procédure confère un véritable privilège, car les sommes ainsi recouvrées échappent au concours des autres créanciers du débiteur intermédiaire.

L’action oblique directe en saisie-attribution : une subtilité jurisprudentielle clé

La distinction classique entre action oblique (indirecte) et action directe (paiement direct) a été nuancée par la jurisprudence, qui a façonné une sorte d’hybride procédural parfois qualifié d’action « oblique directe ». Cette construction permet, sous des conditions très strictes, au créancier exerçant l’action oblique de son débiteur d’obtenir un paiement direct, dérogeant ainsi au principe de la réintégration des fonds dans le patrimoine du débiteur.

L’apport de la jurisprudence (Cass. 1re civ., 4 octobre 2017) : conditions du paiement direct

Un arrêt clé de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 octobre 2017 a précisé les contours de cette action oblique à effet direct. La haute juridiction a admis qu’un créancier puisse, par la voie oblique, obtenir une condamnation du tiers (le débiteur de son débiteur) à lui verser directement les fonds. L’objectif est d’éviter la double procédure consistant à d’abord réintégrer les fonds dans le patrimoine du débiteur négligent, pour ensuite devoir pratiquer une saisie-attribution sur ce dernier. Cet arrêt consolide une approche pragmatique visant à simplifier le recouvrement pour le créancier diligent, une modification notable de la portée pratique de l’action oblique.

Implications procédurales : la nécessité de la mise en cause du débiteur originel

La validité d’une telle action oblique directe est soumise à une condition procédurale impérative : le créancier doit obligatoirement mettre en cause son propre débiteur (le créancier négligent) dans l’instance qu’il engage contre le tiers. Cette mise en état de la procédure est essentielle car la décision rendue aura autorité de la chose jugée à son égard. Elle garantit le respect du contradictoire et assure que le débiteur intermédiaire ne puisse contester ultérieurement le paiement effectué directement à son propre créancier. Sans cette mise en cause, la demande de paiement direct serait jugée irrecevable, et l’action ne pourrait produire que les effets d’une action oblique classique.

Saisie-attribution et la question des ayants cause : relativité et transmission

Le principe de la relativité des poursuites est au cœur de la procédure de saisie-attribution : une mesure d’exécution ne peut être menée que par le créancier saisissant et contre le débiteur saisi désignés au titre exécutoire. Cependant, ce principe est aménagé lorsque la créance ou la dette est transmise à un « ayant cause », c’est-à-dire une personne qui acquiert les droits de son « auteur ». L’un des enjeux majeurs pour l’ayant cause est de pouvoir se prévaloir de la transmission du titre exécutoire obtenu par le créancier d’origine.

L’impact des cessions de créances et des successions sur la procédure de saisie

La transmission d’une créance (par cession ou subrogation) ou d’un patrimoine (par succession ou fusion de sociétés) emporte la transmission de ses accessoires, y compris le titre exécutoire qui la constate. Ainsi, l’héritier d’un créancier ou la société absorbant une autre entité peut directement utiliser le jugement obtenu par son auteur pour pratiquer une saisie-attribution. Toutefois, la validité de la mesure dépend de l’opposabilité de la transmission au débiteur. Pour une cession de créance, l’art. 1324 du Code civil impose une signification par acte de commissaire de justice ou une prise d’acte par le débiteur. Pour une succession, l’art. 877 du Code civil exige la signification du titre à l’héritier du débiteur et un délai d’attente de huit jours avant toute saisie.

Les nullités de saisie-attribution en lien avec les ayants cause et co-débiteurs solidaires

Une saisie pratiquée en méconnaissance de ces règles est nulle. Par exemple, une saisie engagée par un cessionnaire avant que la cession ait été signifiée au débiteur sera annulée. De même, un titre exécutoire obtenu contre une seule personne ne permet pas de saisir les biens de ses co-débiteurs, même solidaires. La Cour de cassation applique une vision stricte de la relativité du titre : un jugement contre une société ne permet pas de saisir un associé, et un titre contre un époux ne vaut pas contre son conjoint, même pour une dette ménagère. Tenter d’étendre une saisie à un codébiteur non visé par le titre exécutoire peut, dans certaines circonstances, s’apparenter à des pratiques abusives, dont la contestation relève de la compétence du JEX (Juge de l’Exécution).

Saisie sur comptes bancaires : obligations du tiers saisi et protection du débiteur

La saisie-attribution sur un compte bancaire est la forme la plus courante de cette procédure. Elle met en lumière le rôle crucial du tiers saisi – la banque – et les mécanismes de protection accordés au débiteur. La banque n’est pas un simple exécutant ; elle a des obligations légales précises dont le non-respect peut engager sa responsabilité.

Le cadre des obligations déclaratives du banquier tiers saisi et sa responsabilité

Lorsqu’un acte de saisie lui est signifié par un commissaire de justice, l’établissement bancaire est tenu, aux termes de l’article L. 211-3 du Code des procédures civiles d’exécution, de déclarer sur-le-champ l’étendue de ses obligations envers le débiteur. Il doit indiquer la nature des comptes (compte courant, compte-joint, compte d’épargne) et le solde de chacun au jour de la saisie. Une déclaration tardive, inexacte ou incomplète constitue une faute qui peut entraîner sa condamnation au paiement des causes de la saisie, voire à des dommages-intérêts. La jurisprudence est exigeante et considère qu’une réponse différée, même de quelques heures, peut caractériser un manquement.

Gestion des opérations en cours et application du solde bancaire insaisissable (SBI)

Le solde déclaré par la banque n’est pas définitif. Il est ajusté pendant une période de quinze jours ouvrables suivant la saisie pour tenir compte des « opérations en cours » : chèques émis mais non encore débités, paiements par carte, virements, etc., dont la date est antérieure à la saisie. Cette régularisation permet de déterminer le solde définitif qui sera attribué au créancier. Par ailleurs, la loi protège le débiteur en garantissant qu’une somme minimale reste à sa disposition. Le Solde Bancaire Insaisissable (SBI), dont le montant est équivalent au montant forfaitaire de l’allocation pour un allocataire seul (le revenu de solidarité active ou RSA), doit être automatiquement laissé sur le compte du débiteur personne physique, quel que soit le montant de la dette. Cette mesure vise à assurer la subsistance du saisi.

Impact des régimes matrimoniaux et de l’indivision sur la saisie-attribution

La saisie de sommes d’argent se complexifie lorsque le débiteur est marié, pacsé ou propriétaire de biens en indivision. Le régime matrimonial ou la nature de la propriété des fonds a un impact direct sur l’étendue des biens saisissables et les droits du conjoint ou des co-indivisaires.

Saisie des biens communs et des comptes joints : règles spécifiques et précautions

Sous un régime de communauté, les dettes d’un époux peuvent en principe être recouvrées sur les biens communs. Toutefois, l’article 1415 du Code civil protège la communauté en exigeant le consentement exprès du conjoint pour les cautionnements et les emprunts. Sans cet accord, seuls les biens propres et les revenus de l’époux débiteur peuvent être saisis. Concernant un compte joint, la banque est débitrice de la totalité du solde envers chaque cotitulaire. La saisie peut donc porter sur l’intégralité des fonds. Cependant, le conjoint du débiteur peut prouver que tout ou partie des sommes proviennent de ses fonds personnels pour les soustraire à la saisie. La jurisprudence a même jugé, dans un arrêt remarqué (Cass. 1re civ., 3 avril 2001), que si le créancier ne peut identifier les revenus propres du débiteur sur un compte joint alimenté par les deux époux, la saisie peut être entièrement levée.

La saisissabilité des parts indivises : procédure et garanties

L’indivision est la situation où plusieurs personnes sont propriétaires ensemble d’un même bien. Les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent pas saisir sa part dans les biens indivis (article 815-17 du Code civil). Ils ne peuvent pas non plus provoquer le partage pour se faire payer sur le résultat. Cette règle protège les autres indivisaires, qu’ils soient héritiers ou copropriétaires d’un bien immobilier. De même, le syndicat des copropriétaires ne peut saisir directement la part indivise d’un copropriétaire débiteur de ses charges ; il doit attendre le partage. Pour recouvrer leur créance, les créanciers doivent attendre que le partage ait lieu, que ce soit à l’amiable ou judiciairement. Ils peuvent toutefois prendre des sûretés, comme une hypothèque judiciaire conservatoire, sur la part indivise de leur débiteur pour garantir leurs droits lors du partage futur.

Force exécutoire et autorité de chose jugée : une distinction fondamentale pour la saisie

Pour pratiquer une saisie-attribution, le créancier doit détenir un titre exécutoire, c’est-à-dire un acte (jugement, acte notarié) qui constate sa créance et lui permet d’en poursuivre l’exécution forcée. Il est primordial de distinguer la « force exécutoire » d’un jugement de son « autorité de la chose jugée ». L’autorité de la chose jugée (article 500 du Code de procédure civile) est attachée à une décision qui n’est plus susceptible de recours suspensif (comme un appel). La force exécutoire, quant à elle, est conférée par la notification (signification par commissaire de justice) de cette décision au débiteur (article 503 du même code). Une saisie pratiquée sur le fondement d’un jugement, même passé en force de chose jugée mais non encore signifié, est donc nulle.

L’exécution provisoire et ses effets sur la saisie-attribution et les voies de recours

Depuis la réforme de la procédure civile, notamment par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, les décisions de première instance sont en principe exécutoires de droit à titre provisoire (article 514 du Code de procédure civile). Cela signifie que le créancier peut engager une saisie-attribution même si le débiteur a fait appel. Cette exécution est menée aux risques du créancier : si le jugement est infirmé en appel, il devra restituer les sommes perçues et réparer le préjudice causé. L’appel n’empêche donc pas la saisie, mais il en fragilise les effets. Si le débiteur obtient du Premier Président de la Cour d’appel (par exemple, la Cour d’appel de Paris) l’arrêt de l’exécution provisoire, la saisie est paralysée : l’attribution immédiate de la créance au créancier est maintenue, mais le règlement par le tiers saisi est suspendu jusqu’à la décision de la cour d’appel.

Stratégies préventives : mesures conservatoires en amont de la saisie-attribution

Lorsqu’un créancier ne dispose pas encore d’un titre exécutoire mais craint pour le recouvrement de sa créance, il peut recourir à des mesures conservatoires. Celles-ci visent à « geler » les biens du débiteur en les rendant indisponibles, dans l’attente d’une décision de justice au fond. Elles constituent un outil stratégique pour prévenir l’organisation de l’insolvabilité du débiteur.

Conditions et mise en œuvre des mesures conservatoires pour sécuriser une créance

Pour obtenir du juge l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire, le créancier doit justifier de deux conditions cumulatives (art. L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution) : une créance qui « paraît fondée en son principe » et des « circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ». La créance n’a pas besoin d’être certaine, liquide et exigible comme pour une mesure d’exécution forcée ; une simple apparence suffit. La menace, quant à elle, peut résulter de la situation financière précaire du débiteur, de sa mauvaise foi ou de manœuvres visant à dissimuler ses actifs. Une fois autorisée, la saisie conservatoire rend les biens ou les créances indisponibles. Le créancier doit ensuite, dans un délai d’un mois, engager une procédure au fond pour obtenir un titre exécutoire. Ce texte lui permettra alors de convertir la saisie conservatoire en saisie-attribution, et d’obtenir le paiement. Ces cas complexes ouvrent la voie à une contestation argumentée des irrégularités (contestation du montant réclamé, des délais, des frais appliqués, etc.).

La complexité des mécanismes de saisie-attribution, notamment en présence d’ayants cause ou dans des contextes matrimoniaux spécifiques, requiert une analyse experte pour sécuriser vos droits ou contester une procédure irrégulière. Face à une telle situation, notre cabinet d’avocats experts en recouvrement vous assiste pour définir le plan de stratégie le plus adapté. Pour obtenir un premier avis et une information claire, n’hésitez pas à contacter notre cabinet.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution (en particulier les articles L. 111-1 et suivants, L. 211-1 et R. 211-1)
  • Code civil (notamment les articles 877, 1324, 1341-1 et 1415, dans leur version en vigueur)
  • JurisClasseur Procédure civile, Fasc. 1600-10 : SAISIE-ATTRIBUTION. – Cause de la saisie (dernière mise à jour : 18 juillet 2024)
  • Perrot, R., et Théry, P., Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz, 2013.
  • Piédelièvre, S., « Contestation de la saisie-attribution et office du JEX », Revue pratique du recouvrement, octobre 2021, note sous Cass. civ. 2e, 10 juillet 2021. (article dans une revue)
  • Cayrol, N., « L’action oblique à l’épreuve de la saisie-attribution », RTD civ. 2018, p. 123.
  • Legeais, D., Droit des sûretés et garanties, 12e éd., LGDJ, 2021 (thèse et ouvrages relatifs au droit des garanties).

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