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Anticiper ou régler un litige : la convention d’arbitrage expliquée

Table des matières

L’arbitrage commercial, comme nous l’avons vu dans notre précédent article, repose entièrement sur la volonté des parties. Sans leur accord pour soumettre un différend à des juges privés, la voie arbitrale reste fermée. Cet accord fondamental prend la forme d’une « convention d’arbitrage ». Mais comment s’engage-t-on concrètement à recourir à l’arbitrage ? Sous quelles formes cet engagement peut-il se matérialiser ? Et surtout, quelles sont les règles à respecter pour que cette convention soit valide et produise les effets escomptés ? Une convention mal rédigée ou conclue dans de mauvaises conditions peut s’avérer inefficace, voire source de nouveaux litiges. Cet article a pour objectif de détailler les deux principales formes de la convention d’arbitrage – la clause compromissoire et le compromis – ainsi que les conditions essentielles à leur validité et leurs conséquences juridiques immédiates.

Choisir l’arbitrage : deux moments, deux conventions

Le Code de procédure civile distingue principalement deux manières de convenir de l’arbitrage, qui correspondent à deux moments différents dans la vie d’une relation contractuelle ou commerciale.

La clause compromissoire est la convention par laquelle les parties à un contrat décident, avant même qu’un litige ne survienne, de soumettre à l’arbitrage les différends futurs qui pourraient naître de ce contrat ou s’y rapporter. L’article 1442, alinéa 1er, du Code de procédure civile la définit ainsi. Elle s’insère directement dans le corps du contrat principal (contrat de vente, de prestation de services, pacte d’associés, etc.). Son principal avantage est d’anticiper et de fixer le mode de règlement des conflits à un moment où les relations sont, a priori, sereines. Cela évite d’avoir à négocier un accord sur la procédure une fois les tensions apparues. L’inconvénient est qu’elle engage les parties sur des litiges dont la nature et l’ampleur ne sont pas encore connues au moment de la signature.

Le compromis, quant à lui, intervient après la naissance d’un litige. C’est la convention par laquelle les parties à un différend déjà existant décident de le soumettre à l’arbitrage, comme le précise l’article 1442, alinéa 3, du Code de procédure civile. Il s’agit d’un contrat distinct, entièrement dédié à l’organisation de l’arbitrage pour ce conflit spécifique. L’avantage est que les parties prennent leur décision en parfaite connaissance de cause, le litige étant déjà identifié. L’inconvénient majeur est qu’il nécessite l’accord de toutes les parties impliquées après que le désaccord a éclaté. Obtenir ce consensus peut s’avérer difficile si les relations se sont dégradées.

Quelles sont les conditions pour qu’une convention d’arbitrage soit valable ?

Que ce soit sous forme de clause ou de compromis, la convention d’arbitrage doit respecter certaines conditions de forme et de fond pour être juridiquement efficace. Le non-respect de ces règles peut entraîner sa nullité.

Premièrement, l’exigence d’un écrit est impérative, comme le souligne l’article 1443 du Code de procédure civile, qui sanctionne son absence par la nullité. Cette exigence ne signifie pas forcément que la clause ou le compromis doive être contenu dans un document unique signé par toutes les parties. Elle peut résulter d’un échange de lettres, de courriels ou de tout autre écrit manifestant sans ambiguïté la volonté commune de recourir à l’arbitrage. La validité peut aussi découler d’une référence expresse et claire, dans le contrat principal, à un document distinct contenant la convention d’arbitrage (par exemple, des conditions générales de vente ou un contrat-type). Attention toutefois : la simple présence d’une clause d’arbitrage dans des conditions générales non spécifiquement acceptées ou noyées dans un ensemble documentaire volumineux peut être jugée insuffisante si la preuve n’est pas rapportée que la partie à qui on l’oppose en a eu effectivement connaissance et l’a acceptée.

Deuxièmement, le compromis (puisqu’il porte sur un litige né) doit, à peine de nullité, définir l’objet du litige soumis aux arbitres, selon l’article 1445 du Code de procédure civile. Les points en désaccord que les arbitres devront trancher doivent être clairement identifiés. Une description vague ou trop générale pourrait rendre le compromis inopérant. Pour la clause compromissoire, visant des litiges futurs, cette exigence est logiquement absente.

Troisièmement, la convention d’arbitrage (clause ou compromis) doit, comme l’indique l’article 1444 du Code de procédure civile, soit désigner directement le ou les arbitres, soit, ce qui est plus fréquent et souvent préférable, prévoir les modalités de leur désignation. Ces modalités peuvent être variées : chaque partie désigne un arbitre et ceux-ci choisissent le président du tribunal arbitral, référence aux règles d’un centre d’arbitrage qui organisera la désignation, nomination par un tiers convenu… Si la convention est muette sur ce point ou si le mécanisme prévu se bloque (par exemple, une partie refuse de désigner son arbitre ou les arbitres ne s’accordent pas sur le président), un filet de sécurité est prévu : la partie la plus diligente peut saisir le « juge d’appui » (généralement le Président du Tribunal Judiciaire, selon l’article 1459 du Code de procédure civile) qui procédera aux désignations nécessaires (article 1452 du Code de procédure civile).

Enfin, comme pour tout contrat, les parties doivent avoir la capacité juridique de s’engager. En principe, les personnes physiques majeures et capables, ainsi que les personnes morales (sociétés, associations…) peuvent conclure une convention d’arbitrage. Des points d’attention existent pour les personnes protégées (mineurs, majeurs sous tutelle ou curatelle). Pour les entreprises, une vigilance particulière s’impose en cas de procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire). Selon le stade de la procédure et les pouvoirs conservés par le dirigeant ou dévolus à l’administrateur ou au liquidateur, la capacité de conclure une nouvelle convention d’arbitrage peut être limitée et nécessiter l’autorisation du juge-commissaire (voir notamment articles L622-7 et L642-24 du Code de commerce).

Peut-on soumettre n’importe quel litige à l’arbitrage ? (L’arbitrabilité)

Si l’arbitrage est largement ouvert en matière commerciale et professionnelle, il n’est pas possible de soumettre n’importe quel type de différend à des juges privés. Le périmètre de ce qui peut être arbitré – l’arbitrabilité – est encadré par la loi.

Le principe général, posé par l’article 2059 du Code civil, est qu’on ne peut compromettre (donc recourir à l’arbitrage) que sur les droits dont on a la libre disposition. Cela exclut d’emblée les matières touchant à l’état et à la capacité des personnes (mariage, divorce, filiation, nationalité…).

L’ordre public constitue une autre limite essentielle, rappelée par l’article 2060 du Code civil. Certaines matières, en raison de leur importance pour l’organisation sociale ou économique, sont considérées comme relevant exclusivement de la compétence des tribunaux étatiques. Cela concerne traditionnellement les litiges relatifs aux collectivités publiques et établissements publics (même si des dérogations spécifiques existent), ainsi que certaines questions relevant du droit pénal ou fiscal. L’ordre public économique joue aussi un rôle : un litige portant sur une pratique anticoncurrentielle prohibée ou relevant de certaines règles impératives du droit de la consommation pourrait être jugé inarbitrable, ou du moins la sentence rendue pourrait être annulée si elle viole ces règles.

Sous ces réserves, la validité de la clause compromissoire est largement admise dans le monde des affaires. L’article 2061 du Code civil la valide dans les contrats « conclus à raison d’une activité professionnelle ». Cette formulation est large et couvre aussi bien les contrats commerciaux que les contrats civils dès lors qu’ils sont liés à l’exercice d’une profession (par exemple, entre professionnels libéraux). Le Code de commerce, en son article L.721-3, confirme également la validité de la clause pour les contestations relatives aux engagements entre commerçants, aux sociétés commerciales et aux actes de commerce. La situation des contrats « mixtes » (entre un professionnel/commerçant et un non-professionnel) est plus nuancée et dépend souvent de la nature de l’acte et du lien avec l’activité professionnelle.

Enfin, certaines lois attribuent une compétence exclusive à des juridictions étatiques pour des contentieux spécifiques, rendant de fait l’arbitrage impossible pour ces matières. C’est le cas, par exemple, pour la plupart des litiges individuels nés d’un contrat de travail qui relèvent du Conseil de Prud’hommes, ou pour les actions en nullité de brevet ou de marque qui sont souvent réservées aux tribunaux judiciaires.

Quels sont les effets immédiats d’une convention d’arbitrage valide ?

Dès lors qu’une convention d’arbitrage valide existe entre les parties, elle produit des effets juridiques majeurs et immédiats, avant même le début de toute procédure arbitrale.

Le premier effet, et sans doute le plus connu, est de rendre les tribunaux de l’État incompétents pour trancher le litige couvert par la convention. C’est ce qu’on appelle l’effet négatif du principe « Compétence-Compétence », consacré par l’article 1448 du Code de procédure civile. Si une partie saisit un tribunal étatique malgré l’existence d’une convention d’arbitrage, l’autre partie peut (et doit, pour que l’exception soit recevable) soulever l’incompétence de ce tribunal dès le début de la procédure (in limine litis). Le juge saisi est alors tenu de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à l’arbitrage. La seule exception à cette règle est si le juge constate que la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable au litige. Ce contrôle est très restreint : le simple doute sur la validité ou l’applicabilité ne suffit pas à écarter l’incompétence du juge étatique.

Le deuxième effet important est l’autonomie de la convention d’arbitrage par rapport au contrat principal qui la contient (pour une clause compromissoire). L’article 1447 du Code de procédure civile pose ce principe : la convention d’arbitrage est considérée comme un accord indépendant. Concrètement, cela signifie que même si le contrat principal est déclaré nul (par exemple, pour un vice du consentement, un objet illicite…), la clause d’arbitrage qu’il contient reste, en principe, valable et applicable. Les arbitres désignés en vertu de cette clause resteront donc compétents pour trancher les litiges nés de l’exécution ou de l’inexécution de ce contrat principal, y compris la question de sa nullité. Inversement, la nullité éventuelle de la clause d’arbitrage n’affecte pas la validité du reste du contrat.

Enfin, découle de ce qui précède le principe dit « Compétence-Compétence » dans son effet positif, énoncé à l’article 1465 du Code de procédure civile : il appartient au tribunal arbitral de statuer par priorité sur les contestations relatives à son propre pouvoir juridictionnel. Autrement dit, si une partie conteste la validité de la convention d’arbitrage, son applicabilité au litige, ou plus généralement la compétence des arbitres, c’est aux arbitres eux-mêmes qu’il revient de trancher cette question en premier lieu. Le juge étatique doit, sauf exception de nullité ou inapplicabilité manifeste vue plus haut, attendre que les arbitres se soient prononcés sur leur propre compétence.

La validité et la portée d’une convention d’arbitrage dépendent donc de règles précises, dont la maîtrise est essentielle pour sécuriser vos relations contractuelles et commerciales. Une clause ou un compromis bien rédigé constitue la première étape vers une résolution efficace de vos différends. Pour la rédaction de vos conventions d’arbitrage ou l’analyse de clauses existantes dans vos contrats, notre équipe se tient à votre disposition pour vous fournir un conseil adapté.

Sources

  • Code de procédure civile (notamment articles 1442 à 1465)
  • Code civil (notamment articles 2059, 2060, 2061)
  • Code de commerce (notamment articles L.721-3, L.622-7, L.642-24)

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