Quand une nouvelle loi modifie les règles en matière d’exécution forcée, comment savoir quel texte s’applique à votre dossier en cours ? Cette question, loin d’être théorique, détermine souvent l’issue d’une procédure d’exécution. Entre protection des droits acquis et application immédiate des textes nouveaux, le droit transitoire fixe des règles précises qui méritent votre attention.
Le principe d’application immédiate des lois de procédures civiles d’exécution
Les lois relatives aux procédures civiles d’exécution s’appliquent immédiatement, même aux procédures déjà entamées. Ce principe fondamental a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 février 2011 : « en l’absence de disposition spéciale, les lois relatives aux voies d’exécution sont d’application immédiate ».
Cette règle découle de la nature même des textes procéduraux, considérés comme touchant à l’intérêt général et non aux droits substantiels des parties. En pratique, cela signifie qu’une loi nouvelle régit immédiatement les actes de procédure postérieurs à son entrée en vigueur.
Toutefois, ce principe connaît d’importantes limites. La validation des actes antérieurs constitue un premier tempérament majeur : les actes valablement accomplis sous l’empire de la loi ancienne restent valables. Par ailleurs, certaines dispositions transitoires peuvent écarter l’application immédiate.
Les moyens de contrainte face aux lois nouvelles
La contrainte judiciaire (ancienne contrainte par corps)
La jurisprudence a toujours considéré la contrainte par corps comme une mesure d’exécution forcée et non une peine. La Cour de cassation a clairement affirmé que « les lois relatives à cette matière régissent les poursuites faites sous leur empire, quoique l’obligation dont l’exécution est poursuivie ait pris naissance sous la législation antérieure ».
Cette solution s’est appliquée lors des diverses réformes, notamment:
- Lors de la loi du 22 juillet 1867 abolissant la contrainte par corps en matière civile et commerciale
- Pour la réforme de 1958
- Plus récemment, lors du remplacement de la contrainte par corps par la contrainte judiciaire avec la loi du 9 mars 2004
Cette dernière loi a toutefois prévu une disposition transitoire spécifique : les contraintes par corps en cours au 1er janvier 2005 continuent à s’exécuter jusqu’à leur terme, sous réserve des décisions du juge de l’application des peines.
L’astreinte et son régime temporel
Pour l’astreinte, la compétence du juge et la procédure suivent les règles normales de conflit de lois dans le temps. Ainsi, quand un juge a statué sur la demande en liquidation d’astreinte avant l’entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 1991, la cour d’appel reste valablement saisie malgré la mise en vigueur de la loi nouvelle pendant l’instance d’appel.
À l’inverse, les dispositions nouvelles concernant les modalités de l’astreinte s’appliquent immédiatement aux instances en cours. Par exemple, si une astreinte définitive a été prononcée avant le 1er janvier 1993 sans fixation préalable d’une astreinte provisoire, le juge retrouve son pouvoir d’appréciation pour la liquider comme une astreinte provisoire si l’assignation en liquidation est postérieure à cette date.
Application des lois nouvelles en matière de saisies
Règles de compétence
Les lois nouvelles modifiant la compétence suivent le principe général du droit transitoire : la loi nouvelle de compétence ne s’applique que s’il n’est pas intervenu de décision sur le fond. Dans le cas contraire, la loi ancienne survit.
La Cour de cassation a confirmé cette position dans un avis du 29 novembre 1993 relatif à l’application de la loi du 9 juillet 1991 : « la loi de compétence est d’application immédiate, la compétence de la juridiction initialement saisie étant toutefois conservée lorsqu’une décision intéressant le fond a été rendue avant l’entrée en vigueur des dispositions nouvelles ».
Règles de forme
Le principe applicable aux règles de forme est simple : la loi nouvelle régit immédiatement les actes postérieurs, mais les actes antérieurement accomplis restent valables. Ainsi, les formes à suivre pour une surenchère doivent être celles établies par la loi sous laquelle elle a lieu, même si l’adjudication s’est déroulée sous l’empire d’une loi différente.
Ce principe s’illustre dans les procédures récentes. Par exemple, le décret du 30 mai 2012 relatif au Code des procédures civiles d’exécution a précisé que certaines dispositions ne s’appliqueraient pas aux procédures en cours. De même, le décret du 27 novembre 2020 a modifié la procédure de saisie immobilière en précisant son application aux instances en cours au 1er janvier 2021.
Règles de fond en matière de saisies
Conditions de fond
Les conditions de fond sont déterminées par la loi en vigueur au jour où la saisie est commencée ou autorisée. Les actes réalisés conformément à la loi ancienne restent valables. Ce principe s’est notamment appliqué lors de l’introduction de conditions plus rigoureuses pour la saisie conservatoire des navires.
Délais des procédures
Pour les délais, la situation varie selon que leur point de départ est antérieur ou postérieur à la loi nouvelle. Un exemple notable concerne le décret du 27 novembre 2020 qui a porté le délai de péremption du commandement de payer valant saisie de 2 à 5 ans, applicable aux instances en cours au 1er janvier 2021.
La jurisprudence a établi que le délai ne commence à courir que du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse dépasser l’ancien délai à compter du point de départ fixé par l’ancienne loi.
Fraction saisissable
Concernant la fraction saisissable des revenus, la Cour de cassation a tranché un débat important lors de l’application de la loi du 12 janvier 1895 qui limitait au 1/10 la fraction saisissable des salaires. Elle a jugé que pour les salaires antérieurs à la loi nouvelle, la loi ancienne restait applicable, la loi nouvelle ne régissant que les salaires dus à partir de son entrée en vigueur.
Ce même principe a été appliqué au décret du 24 mars 1977 élargissant la liste des biens insaisissables. La Cour de cassation a considéré qu’il fallait se placer au jour du procès-verbal de saisie pour déterminer le texte applicable.
Procédures de distribution et mesures transitoires spécifiques
Procédures de distribution
La Cour de cassation a précisé dans un avis du 29 novembre 1993 que les procédures de distribution par contribution ne relevaient plus, depuis le 1er janvier 1993, des juges chargés des ordres et des distributions par contribution. Ces juges ont toutefois conservé compétence pour les demandes dont ils avaient été saisis avant cette date, s’ils avaient déjà dressé l’état de distribution provisoire.
Types de mesures transitoires
Les lois nouvelles prévoient souvent des mesures transitoires qui précisent leur application temporelle. Deux types principaux existent:
- Des mesures indiquant que la loi nouvelle s’applique aux instances en cours, tout en laissant intacte la validité des actes accomplis avant sa mise en vigueur.
- Des mesures précisant que les procédures ouvertes avant la promulgation continuent à être régies par les dispositions antérieures.
La loi du 9 juillet 1991 a opté pour cette seconde approche en précisant qu’elle « ne sera pas applicable aux mesures d’exécution forcée et aux mesures conservatoires engagées avant son entrée en vigueur ».
Notion de procédure « engagée »
La jurisprudence a dû préciser quand une procédure d’exécution est considérée comme « engagée ». Pour le passage de l’ancienne saisie-exécution à la nouvelle saisie-vente, les tribunaux ont jugé que le commandement de payer constitue simplement un acte préparatoire, seul l’acte de saisie marquant l’engagement de la procédure.
La Cour de cassation a confirmé cette position dans un avis du 14 juin 1993: un commandement délivré avant le 1er janvier 1993 et non suivi de saisie-exécution avant cette date ne peut servir de fondement ni à une saisie-exécution (disparue) ni à une saisie-vente. Un nouveau commandement conforme aux nouvelles dispositions est nécessaire.
De même, en matière de saisie immobilière, la jurisprudence a considéré que l’exécution forcée ne commence qu’avec la publication du commandement. Le juge de l’exécution est donc compétent pour statuer sur une demande de délai de grâce quand le commandement aux fins de saisie immobilière n’a pas encore été publié.
Comment déterminer la loi applicable à votre procédure
Face à un changement législatif pendant une procédure d’exécution, suivez ces étapes:
- Vérifiez si la loi nouvelle contient des dispositions transitoires spécifiques
- Identifiez à quel stade se trouve votre procédure lors de l’entrée en vigueur
- Déterminez quels actes ont déjà été valablement accomplis
- Analysez si la notion de procédure « engagée » s’applique à votre situation
Chaque situation mérite une analyse personnalisée, les conséquences pratiques d’une erreur d’appréciation pouvant être graves: nullité de la procédure, incompétence du juge saisi, ou application de règles plus défavorables.
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Sources
- Code des procédures civiles d’exécution
- Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution
- Décret n° 92-755 du 31 juillet 1992
- Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
- Décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 portant diverses dispositions relatives aux procédures civiles d’exécution