Retrait litigieux et cession de créance : comment ça marche ?

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Quoique séduisant sur le plan financier pour le débiteur qui vient de faire l’objet d’une cession de créance, l’exercice du droit au retrait litigieux n’en est pas moins difficile à mettre en œuvre. Bref tour d’horizon des prétentions accueillies !

1ère règle : il faut n’avoir jamais reconnu la dette

L’article 1699 du code civil dispose :

« Celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession à lui faite. »

Pour invoquer le droit de retrait litigieux, il faut un litige persistant au moment de la demande de retrait. Ce litige doit porter sur le fond du droit. Cela suppose qu’une instance tendant à la contestation de la créance ait été introduite. Son issue ne doit pas être définitive.

Il faut s’assurer que le débiteur n’a jamais conclu d’accord avec l’établissement bancaire cédant ou avec l’huissier. Le type d’accord n’a pas d’importance : reconnaissance de dette, échéancier, protocole transactionnel, etc.

La découverte d’un tel document doit conduire à renoncer d’envisager l’exercice du droit de retrait. En effet, les chances de succès seront très faibles (Cour d’appel de Bourges, 1ère ch., 28 octobre 2021, n° 21/00583).

De la même façon, la régularisation d’un procès-verbal de conciliation dans l’hypothèse d’une saisie des rémunérations engagée avant la cession paralyse l’exercice du droit au retrait litigieux. A l’inverse, la production d’un procès-verbal de non-conciliation ne suffit pas. En effet, ce procès-verbal ne précise pas toujours l’objet du désaccord. On veillera, en conséquence, à prouver que la dette a été contestée dans son principe.

Retenons d’abord que les accords passés peuvent priver le débiteur cédé de son droit au retrait litigieux.

2ème règle : il faut avoir contesté pour exercer le droit au retrait litigieux

L’article 1700 du code civil prévoit que :

« La chose est censée litigieuse dès qu’il y a procès et contestation sur le fond du droit. »

Afin que le retrait litigieux puisse être exercé, il faut qu’antérieurement à la cession de créance, un procès ait été engagé. Dans le cadre de ce procès, le débiteur cédé doit avoir formulé une contestation sur le fond du droit.

C’est le cas s’il a été soutenu avant la cession que le prêt contenait une clause d’intérêts atteinte de nullité. Il s’agit là d’une contestation portant sur le montant de la créance.

Le droit au retrait litigieux peut également aboutir en matière d’opposition à injonction de payer. La cour d’appel d’Aix-en-Provence l’a par exemple approuvé lorsque le débiteur soulevait

Le droit de retrait peut également aboutir si le débiteur a formé opposition à l’injonction de payer rendue contre lui et s’il soulevait la forclusion de l’action en paiement du cédant avant que la cession n’intervienne (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11e chambre a, 17 mars 2015, n° 13/14651).

Au contraire, si le débiteur cédé n’est pas allé jusqu’au bout de son raisonnement, et s’il n’a pas formé de prétention dans le dispositif de ses écritures, il ne pourra espérer exercer son droit de retrait dans l’hypothèse d’une cession de créance.

Ainsi, prenons un exemple jurisprudentiel dans lequel le débiteur critiquait bien la régularité du prononcé de la déchéance du terme sans pour autant en tirer une conséquence juridique (telle l’exigibilité et la liquidité de la créance). La Cour d’appel de Paris en a déduit qu’il était réputé n’avoir émis aucune contestation sur la créance cédée (Cour d’appel de Paris, Pôle 4 – chambre 9 – a, 7 janvier 2021, n° 16/25268).

De la même façon, le débiteur qui se serait limité à solliciter le bénéficie de délais de paiement et la suspension des échéances du prêt n’a pas contesté la créance et ne peut prétendre au bénéfice du retrait (Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – chambre 3, 20 janvier 2021, n° 20/05881).

Plus encore, il a pu être jugé que le débiteur qui soulevait à titre principal la prescription de l’action engagée par la banque ne contestait pas pour autant le fond du droit : « étant rappelé, qu’ainsi que l’intimé le soutient à juste titre, la prescription est une fin de non recevoir qui tend à faire déclarer l’adversaire l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond » (Cour d’appel de Poitiers, 2ème chambre, 20 mars 2018, n° 17/00380).

Retenons ensuite que l’exercice du droit litigieux pourra avoir lieu, à condition de justifier d’une créance réellement litigieuse au sens du texte précité.

3ème règle : il faut justifier d’un prix de cession déterminable

C’est certainement la règle la plus difficile à respecter parce qu’elle ne dépend pas du débiteur cédé, mais bien des conditions dans lesquelles la créance qui le concerne a été cédée.

L’on sait que le développement de la titrisation a conduit les établissements bancaires à céder de véritables portefeuilles de créances pour un prix d’acquisition unique.

Les organismes cessionnaires utilisent cet argument pour faire valoir que le prix d’acquisition est un prix global et forfaitaire, que certaines des créances cédées ont une valeur quasiment nulle lorsque d’autres présentent une valeur proche de leur faciale et qu’il existe un éventail infini de situations entre ces deux extrémités. Ils en concluent que le prix de cession tient compte de l’équilibre du risque et des chances de recouvrement.

Le juge saisi d’une demande de retrait litigieux doit alors vérifier si le prix réel de la cession de créance litigieuse est réellement indéterminable et si le cessionnaire n’est pas en mesure de justifier de son prix de cession compte tenu des stipulations du bordereau de cession de créance.

Lorsque la détermination du prix de cession est impossible, la juridiction écarte la demande de retrait litigieux (Cour d’appel de Rennes, 2ème ch., 10 mars 2017, n° 14/00569)

C’est là que les pièces du dossier ont leur importance :

  • si le bordereau de cession liste les créances cédées de manière individualisée (le plus souvent en annexe),
  • s’il est possible de retrouver la valeur nominale du portefeuille cédé par l’établissement bancaire,
  • et si l’on connait le prix de cession,
  • un calcul de proportion peut être effectué par le Juge.

alors un calcul de proportion peut être effectué par le Juge.

A cet égard, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes est intéressant et mérite d’être reproduit :

« Le seul fait que la créance de la SARL V. fasse partie d’un bloc de créances cédé au FCT C. pour un prix qualifié, dans l’acte de cession, de « montant global forfaitaire » et non pas calculé créance par créance n’est pas, en soi, de nature à écarter l’application du retrait litigieux, et il appartient au juge de dire si le prix est déterminable en fonction des éléments d’appréciation précis et concrets produits par les parties, au besoin justifiés par des documents rendus anonymes. A cet égard, le bordereau de cession indique que les créances cédées « sont désignées et individualisées en annexe jointe à l’acte de cession’ et cette annexe est produite même si figurent uniquement les références des créances. Le FCT C. ne peut être suivi lorsqu’il conteste l’existence, de sa part et/ou de celle de la S.G., d’une analyse de la valeur et/ou des chances de recouvrement de chaque créance cédée lors de la phase de détermination du prix de cession du portefeuille. D’autre part, le droit de retrait d’un débiteur cédé est légalement établi et il ne peut être admis que pour y faire échec cédants et cessionnaires tiennent des propos sybillins sur la manière dont a été fixé le prix d’un portefeuille de créances, la définition même d’un portefeuille étant d’être un ensemble représenté par la somme de différents éléments. En l’espèce, la valeur faciale du portefeuille cédé était de 243.634.537 euros, et le prix de cession de 68.000.000 euros. Le prix de cession représente donc 27,91% de la valeur faciale. Ainsi que le plaide le FCT C., s’applique la loi des grands nombres, ce dont il se déduit que la valeur de chaque créance cédée se rapproche de ce pourcentage, en plus ou en moins. Par conséquent, le prix de la créance de la société V., d’un montant facial de 100.000 euros, peut être déterminé à 27.910 euros et le droit de retrait de Mme [Y] s’exercera à cette hauteur. A défaut de tout autre élément d’appréciation, les ‘frais et loyaux coûts’ seront représentés par les intérêts légaux à compter du 29 novembre 2019, date de la cession, laquelle sera considérée comme celle de paiement du prix. » (Cour d’appel de Rennes, 3e chambre commerciale, 28 mars 2023, n° 22/05715)

Retenons enfin, encore et toujours, que les pièces du dossier peuvent faire la différence et qu’il y a lieu de rechercher tout indice permettant de fixer un prix de cession et par extension, un prix de retrait.

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