Le droit au retrait litigieux prévu par l’article 1699 du code civil est un argument formidable.
Explication sommaire : vous deviez à la banque X. 30.000 euros. Votre créancier cède sa créance à une société Y contre 1.000 euros. Grâce au retrait litigieux, vous ne devez plus que 1.000 euros.
Pour découvrir si vous pouvez revendiquer cet argument pour votre propre compte : voici un bref tour d’horizon des demandes accueillies !
1ère règle : il faut n’avoir jamais reconnu la dette
L’article 1699 du code civil dispose :
Celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession à lui faite.
Pour invoquer le droit de retrait litigieux, il faut démontrer que le droit du créancier qui a entrepris de céder son droit à un tiers est un droit litigieux, autrement dit un droit contesté.
Un droit ne peut pas être « litigieux » si le débiteur a conclu un accord avec l’établissement bancaire cédant ou avec l’huissier. Peu importe le type d’accord (reconnaissance de dette, échéancier, protocole transactionnel), s’il existe, il sera opposable au débiteur. Le juge en déduira que le droit n’est plus litigieux.
La découverte d’un tel document doit donc conduire à renoncer d’envisager l’exercice du droit de retrait. En effet, les chances de succès seront très faibles (Cour d’appel de Bourges, 1ère ch., 28 octobre 2021, n° 21/00583).
De la même façon, la signature d’un procès-verbal de conciliation dans le cadre d’une saisie des rémunérations qui aurait eu lieu avant la cession peut être bloquante. Tel sera le cas lorsque le débiteur consent à régler les échéances de la dette. Il est vrai que la production du procès-verbal de non-conciliation ne suffit pas. En effet, ce document ne précise pas toujours l’objet du désaccord. On veillera, en conséquence, à prouver que la dette a été contestée dans son principe.
Retenons d’abord que les accords passés peuvent priver le débiteur cédé de son droit au retrait litigieux.
2ème règle : il faut avoir contesté pour exercer le droit au retrait litigieux
L’article 1700 du code civil prévoit que :
La chose est censée litigieuse dès qu’il y a procès et contestation sur le fond du droit.
Afin que le retrait litigieux puisse être exercé, il faut qu’antérieurement à la cession de créance, un procès ait été engagé. Dans le cadre de ce procès, le débiteur cédé doit avoir formulé une contestation sur le fond du droit.
C’est le cas s’il a été soutenu avant la cession que le prêt contenait une clause d’intérêts atteinte de nullité. Il s’agit là d’une contestation portant sur le montant de la créance.
Le droit de retrait peut également aboutir si le débiteur a formé opposition à l’injonction de payer rendue contre lui. Dans l’exemple cité, le débiteur avait soulevé la forclusion de l’action en paiement du cédant et il l’avait fait avant que la cession n’intervienne (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11e chambre a, 17 mars 2015, n° 13/14651). Cela fonctionne.
Attention, il ne suffit pas de contester la créance dans le corps des écritures. Il faut que cela se traduise par une demande. Cette demande doit apparaitre dans la partie dénommée « dispositif ».
Dans l’exemple jurisprudentiel qui suit, le débiteur critiquait bien la régularité de la déchéance du terme sans pour autant en tirer une conséquence juridique (telle l’exigibilité et la liquidité de la créance). La Cour d’appel de Paris en déduit qu’il est réputé n’avoir émis aucune contestation sur la créance cédée (Cour d’appel de Paris, Pôle 4 – chambre 9 – a, 7 janvier 2021, n° 16/25268).
De la même façon, le débiteur qui se contente de demander un délai de paiement et la suspension des échéances du prêt ne conteste pas la créance. Il ne peut donc pas prétendre au bénéfice du retrait litigieux (Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – chambre 3, 20 janvier 2021, n° 20/05881).
Enfin, l’ordre des prétentions compte. Le débiteur qui soulève à titre principal la prescription de l’action engagée par la banque ne conteste pas pour autant le fond du droit.
« étant rappelé, qu’ainsi que l’intimé le soutient à juste titre, la prescription est une fin de non recevoir qui tend à faire déclarer l’adversaire l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond » (Cour d’appel de Poitiers, 2ème chambre, 20 mars 2018, n° 17/00380).
Retenons donc ensuite que l’exercice du droit litigieux pourra avoir lieu, à condition de justifier d’une créance réellement contestée.
3ème règle : il faut justifier d’un prix de cession déterminable
C’est la règle la plus difficile à respecter parce qu’elle ne dépend pas du débiteur cédé, mais des conditions dans lesquelles la créance qui le concerne a été cédée.
Si vous nous lisez, vous savez que les banques ont le souci de se débarrasser des créances irrécouvrables. Elles ont donc l’habitude de céder des portefeuilles entiers de créances à des sociétés de recouvrement. Ces dernières les achètent alors pour un prix unique (voir sur le sujet notre article consacré au développement de la titrisation).
Il est donc probable que la société Y fasse valoir qu’elle a acquis la créance de la Banque X dans le cadre d’un prix global et forfaitaire. Elle expliquera au juge que certaines des créances cédées ont une valeur quasiment nulle quand d’autres présentent une valeur proche de leur valeur réelle et qu’il existe un éventail infini de situations entre ces deux extrémités. Elle en conclura que le prix de cession de la créance qui vous concerne n’est pas déterminable.
Le juge saisi d’une demande de retrait litigieux doit alors vérifier si le prix réel de la cession de créance litigieuse est ou non déterminable. Il s’appuiera alors sur les stipulations du bordereau de cession de créance.
Lorsque la détermination du prix de cession est impossible, la juridiction écarte la demande de retrait litigieux (Cour d’appel de Rennes, 2ème ch., 10 mars 2017, n° 14/00569)
C’est là que les pièces du dossier ont leur importance :
- si le bordereau de cession liste les créances cédées de manière individualisée (le plus souvent en annexe),
- s’il est possible de retrouver la valeur nominale du portefeuille cédé par l’établissement bancaire,
- et si l’on connait le prix de cession,
alors un calcul de proportion peut être effectué par le juge.
A cet égard, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes est intéressant et mérite d’être reproduit :
Le seul fait que la créance de la SARL VERANDA POULDU fasse partie d’un bloc de créances cédé au FCT CEDRUS pour un prix qualifié, dans l’acte de cession, de « montant global forfaitaire » et non pas calculé créance par créance n’est pas, en soi, de nature à écarter l’application du retrait litigieux, et il appartient au juge de dire si le prix est déterminable en fonction des éléments d’appréciation précis et concrets produits par les parties, au besoin justifiés par des documents rendus anonymes.
A cet égard, le bordereau de cession indique que les créances cédées « sont désignées et individualisées en annexe jointe à l’acte de cession’ et cette annexe est produite même si figurent uniquement les références des créances.
Le FCT CEDRUS ne peut être suivi lorsqu’il conteste l’existence, de sa part et/ou de celle de la SOCIETE GENERALE, d’une analyse de la valeur et/ou des chances de recouvrement de chaque créance cédée lors de la phase de détermination du prix de cession du portefeuille.
D’autre part, le droit de retrait d’un débiteur cédé est légalement établi et il ne peut être admis que pour y faire échec cédants et cessionnaires tiennent des propos sybillins sur la manière dont a été fixé le prix d’un portefeuille de créances, la définition même d’un portefeuille étant d’être un ensemble représenté par la somme de différents éléments.
En l’espèce, la valeur faciale du portefeuille cédé était de 243.634.537 euros, et le prix de cession de 68.000.000 euros.
Le prix de cession représente donc 27,91% de la valeur faciale.
Ainsi que le plaide le FCT CEDRUS, s’applique la loi des grands nombres, ce dont il se déduit que la valeur de chaque créance cédée se rapproche de ce pourcentage, en plus ou en moins.
Par conséquent, le prix de la créance de la société VERAND POULDU, d’un montant facial de 100.000 euros, peut être déterminé à 27.910 euros et le droit de retrait de Mme [Y] s’exercera à cette hauteur.
A défaut de tout autre élément d’appréciation, les ‘frais et loyaux coûts’ seront représentés par les intérêts légaux à compter du 29 novembre 2019, date de la cession, laquelle sera considérée comme celle de paiement du prix.
- CA Rennes, 3e ch. com., 28 mars 2023, n° 22/05715
Retenons enfin, encore et toujours, que les pièces du dossier peuvent faire la différence et qu’il y a lieu de rechercher tout indice permettant de fixer un prix de cession et par extension, un prix de retrait.
En conclusion, s’entourer d’un avocat qui connait le droit bancaire dès le début de ses difficultés financières, c’est le meilleur moyen de pouvoir bénéficier du retrait litigieux si demain, vous deviez faire l’objet d’une cession de créances. Contactez SOLENT AVOCATS pour plus de renseignements.