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La transmission ou l’arrêt d’une entreprise marque une étape importante dans la vie d’un entrepreneur. Qu’il s’agisse d’une vente, d’un départ à la retraite, d’une donation, d’un apport en société ou malheureusement d’une cessation pure et simple, ces événements entraînent des conséquences fiscales souvent lourdes et immédiates. Le principe de base est celui d’une imposition rapide de tous les bénéfices et plus-values accumulés mais non encore taxés. Heureusement, conscient de l’impact potentiellement rédhibitoire de cette règle, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs permettant, sous conditions, d’atténuer, de reporter, voire d’exonérer cette imposition. Anticiper ces aspects est donc essentiel pour préparer au mieux la transition.
Le principe : l’imposition immédiate des bénéfices et plus-values
Lorsqu’une entreprise cesse son activité ou est transmise, la loi fiscale considère que tous les profits latents doivent être réalisés et taxés sans attendre la clôture normale de l’exercice. C’est ce qu’on appelle l’imposition immédiate, prévue notamment aux articles 201 et 221 du Code général des impôts (CGI).
Quels événements déclenchent l’imposition immédiate ?
Plusieurs situations entraînent cette taxation accélérée :
- La cession totale de l’entreprise : Vente du fonds de commerce, apport de l’entreprise individuelle à une société, fusion ou scission de sociétés.
- La cessation totale d’activité : Fermeture définitive de l’entreprise, dissolution d’une société (même si la liquidation prend du temps), incluant les différentes issues de cette procédure, notamment pour l’entrepreneur individuel.
- Le décès de l’exploitant individuel : La transmission par succession est assimilée à une cessation pour l’exploitant décédé.
- Le changement d’activité réelle ou d’objet social : Si une entreprise modifie profondément la nature de son activité, cela peut être considéré comme une cessation de l’ancienne activité et la création d’une nouvelle.
- La transformation d’une société : Si elle entraîne la création d’une nouvelle personne morale (rare) ou, plus fréquemment, un changement de régime fiscal (par exemple, une SARL de famille soumise à l’IR qui redevient soumise à l’IS).
Attention, une simple interruption temporaire d’activité ou la mise en location-gérance du fonds ne sont généralement pas considérées comme des cessations entraînant l’imposition immédiate.
Quelle est la base imposable ?
L’imposition immédiate porte sur tous les éléments qui auraient été taxés si l’entreprise avait poursuivi son activité jusqu’à la clôture normale, mais qui ne l’ont pas encore été :
- Les bénéfices d’exploitation réalisés depuis la clôture du dernier exercice taxé jusqu’à la date de l’événement (cession, cessation…).
- Les bénéfices en sursis d’imposition : Il s’agit principalement des provisions qui avaient été déduites lors d’exercices précédents et qui, du fait de la cessation, deviennent sans objet (par exemple, une provision pour litige qui n’aura finalement pas lieu suite à la cessation). Elles doivent être réintégrées au résultat imposable.
- Les plus-values latentes sur les éléments de l’actif immobilisé : C’est souvent l’élément le plus lourd. Tous les biens inscrits à l’actif (machines, matériel, immeubles, fonds de commerce, brevets…) sont considérés comme cédés à leur valeur réelle au jour de l’événement. La différence entre cette valeur réelle et leur valeur nette comptable (valeur d’origine moins amortissements pratiqués) constitue une plus-value (ou moins-value) qui devient immédiatement imposable selon son régime (court terme ou long terme). Imaginez la taxation potentielle sur un fonds de commerce créé il y a longtemps ou un immeuble fortement amorti et dont la valeur a augmenté…
Obligations déclaratives
En cas de cession ou cessation, l’entreprise (ou ses ayants droit en cas de décès) doit souscrire une déclaration de résultats dans un délai court : 60 jours à compter de l’événement. Ce délai est porté à 6 mois en cas de décès de l’exploitant individuel. L’impôt correspondant est exigible immédiatement.
Atténuer l’impôt : les régimes d’exonération et de report
Heureusement, pour éviter que l’imposition immédiate ne bloque les transmissions d’entreprises, plusieurs régimes spéciaux permettent d’échapper en tout ou partie à cette taxation, principalement en ce qui concerne les plus-values professionnelles. Le choix du dispositif dépendra de la situation spécifique de l’entreprise et de l’opération envisagée.
L’exonération en fonction des recettes (Art. 151 septies CGI)
Nous l’avons évoqué dans un précédent article : ce régime, applicable aux entreprises soumises à l’IR (individuelles ou sociétés de personnes), exonère totalement ou partiellement les plus-values professionnelles (court et long terme) si l’activité a été exercée pendant au moins 5 ans et si la moyenne des recettes annuelles HT des deux années précédentes ne dépasse pas certains seuils (pour 2023-2025 : 250 000 € pour exonération totale / 350 000 € pour exonération partielle en ventes ; 90 000 € / 126 000 € en prestations de services). Ce régime s’applique aussi bien aux cessions en cours d’activité qu’aux plus-values réalisées lors de la cession ou cessation totale de l’entreprise.
L’exonération en fonction de la valeur de l’entreprise (Art. 238 quindecies CGI)
Ce dispositif vise spécifiquement la transmission d’une entreprise individuelle (BIC, BNC ou BA) ou d’une branche complète et autonome d’activité. Il s’applique que l’entreprise soit soumise à l’IR ou à l’IS (si elle respecte les critères de PME européenne).
- Conditions :
- L’activité doit avoir été exercée pendant au moins 5 ans.
- La transmission doit porter sur l’intégralité de l’entreprise ou d’une branche complète (incluant les éléments d’actif et de passif nécessaires à son fonctionnement autonome).
- La valeur des éléments transmis (hors immobilier) ne doit pas excéder certains seuils :
- Inférieure à 500 000 € : Exonération totale des plus-values (court et long terme).
- Comprise entre 500 000 € et 1 000 000 € : Exonération partielle et dégressive. La fraction exonérée est calculée selon une formule (ex: pour une valeur de 700 000€, le taux d’exonération est de (1 000 000 – 700 000) / 500 000 = 60%).
- Le cédant ne doit pas détenir, directement ou indirectement, plus de 50% des droits de vote ou des droits aux bénéfices dans l’entreprise cessionnaire pendant les 3 années suivant la cession (attention aux schémas de type LBO ou transmission intra-familiale où le cédant conserve un contrôle).
- Avantage : Ce régime est très intéressant pour les transmissions de PME de petite ou moyenne valeur, qu’il s’agisse d’une vente, d’une donation ou d’un apport.
L’exonération en cas de départ à la retraite (Art. 151 septies A CGI)
Ce régime vise à faciliter la transmission de l’entreprise lors du départ à la retraite de son dirigeant. Il s’applique aux exploitants individuels (BIC, BNC, BA) et aux associés de sociétés de personnes soumises à l’IR qui y exercent leur activité professionnelle.
- Conditions :
- La cession doit être à titre onéreux (vente) et porter sur l’intégralité de l’entreprise individuelle ou de toutes les parts détenues par l’associé dans la société de personnes.
- L’activité doit avoir été exercée pendant au moins 5 ans.
- Le cédant doit cesser toute fonction dans l’entreprise cédée (direction ou activité salariée).
- Le cédant doit faire valoir ses droits à la retraite dans un délai de deux ans (avant ou après) la date de cession. C’est un point essentiel : la concomitance entre la cession et le départ effectif en retraite doit être respectée dans cette fenêtre de 4 ans.
- L’entreprise cédée doit répondre à la définition européenne de la PME (moins de 250 salariés et CA < 50 M€ ou total bilan < 43 M€).
- Le cédant ne doit pas détenir (directement ou indirectement) plus de 50% des droits dans l’entreprise cessionnaire pendant les 3 ans suivant la cession.
- Avantage : Exonération totale des plus-values professionnelles réalisées lors de la cession, qu’elles soient à court ou long terme. Attention : cette exonération ne couvre pas les plus-values immobilières, qui restent imposables selon leur régime propre (PV pro ou privée si l’immeuble était dans le patrimoine privé).
L’apport en société d’une entreprise individuelle (Art. 151 octies CGI)
Lorsqu’un entrepreneur individuel apporte son entreprise à une société (qu’elle soit soumise à l’IR ou à l’IS), l’article 151 octies permet, sur option, d’éviter l’imposition immédiate des plus-values constatées à cette occasion.
- Mécanisme :
- Les plus-values sur les éléments non amortissables (fonds de commerce, terrain…) sont placées en report d’imposition. Elles ne seront taxées que plus tard.
- Les plus-values sur les éléments amortissables (matériel, bâtiments…) ne sont pas imposées chez l’apporteur mais sont réintégrées de manière étalée (sur 5 ans, ou 15 ans pour les constructions) dans les bénéfices de la société qui reçoit l’apport. La société pourra calculer ses amortissements sur la valeur d’apport.
- Conditions :
- L’apport doit porter sur une entreprise individuelle complète ou une branche complète d’activité.
- L’apporteur doit recevoir en contrepartie exclusivement des titres de la société bénéficiaire. La prise en charge d’un passif par la société ou l’inscription d’une somme en compte courant d’associé peuvent remettre en cause le dispositif si elles dégagent des liquidités (« soulte ») pour l’apporteur.
- Fin du report (pour les PV sur biens non amortissables) : Le report prend fin et la plus-value devient imposable chez l’apporteur (ou ses héritiers) si :
- L’apporteur cède les titres reçus en rémunération de l’apport.
- La société cède les biens non amortissables qui lui ont été apportés.
- Maintien du report : Le report peut être maintenu, notamment en cas de transmission à titre gratuit (donation, succession) des titres reçus par l’apporteur, si le bénéficiaire s’engage à payer l’impôt lors de la survenance ultérieure d’un événement y mettant fin.
La transmission à titre gratuit d’une entreprise individuelle (Art. 41 CGI)
Ce dispositif est spécifiquement conçu pour les donations ou successions d’entreprises individuelles (BIC, BNC, BA).
- Mécanisme : L’imposition des plus-values constatées lors de la transmission à titre gratuit est mise en report, à condition que le(s) bénéficiaire(s) (héritiers, donataires) poursuive(nt) l’exploitation de l’activité transmise.
- Transformation en exonération définitive : Si l’activité est effectivement poursuivie par l’un des bénéficiaires pendant au moins 5 ans à compter de la date de transmission, la plus-value initialement mise en report est définitivement exonérée.
- Conditions :
- La transmission doit être à titre gratuit (donation, succession).
- Elle doit porter sur l’intégralité de l’entreprise ou une branche complète d’activité.
- Elle doit se faire en pleine propriété.
- Le(s) bénéficiaire(s) doi(ven)t prendre l’engagement de poursuivre l’exploitation pendant 5 ans.
- Fin du report (avant 5 ans) : Si l’activité cesse ou si l’entreprise est cédée avant l’expiration du délai de 5 ans, la plus-value initialement mise en report devient immédiatement imposable au nom du bénéficiaire qui a rompu l’engagement. La mise en location-gérance est assimilée à une cessation d’activité pour ce dispositif.
Ces différents régimes offrent des opportunités significatives pour alléger la charge fiscale lors de la transmission ou de la cessation d’une entreprise. Leurs conditions d’application sont toutefois précises et parfois complexes. Une analyse approfondie de la situation et une planification en amont sont indispensables pour choisir le dispositif le plus adapté et en sécuriser l’application.
Sources
- Code général des impôts (CGI), notamment articles 41, 151 septies, 151 septies A, 151 octies, 201, 202 ter, 221, 238 quindecies.
La transmission de votre entreprise est une opération complexe fiscalement. Anticiper et choisir le bon dispositif peut alléger considérablement l’imposition. Notre cabinet vous conseille pour préparer au mieux cette étape et sécuriser vos choix fiscaux. Parlons-en.
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