La clause de non-concurrence est un mécanisme contractuel bien connu, destiné à protéger les intérêts d’une entreprise en limitant la liberté d’un ancien partenaire, salarié ou cocontractant, de lui faire concurrence. Si la plupart des praticiens connaissent les conditions et limites générales de validité de ces clauses, un aspect souvent sous-estimé est l’existence de réglementations spécifiques qui s’ajoutent au droit commun. En effet, le législateur est intervenu dans certains domaines pour interdire purement et simplement ces stipulations ou pour les encadrer de manière très stricte. Naviguer entre ces règles générales et spéciales est un exercice complexe où l’assistance d’un avocat compétent en droit de la concurrence peut se révéler déterminante. Cet article a pour but de détailler ces régimes dérogatoires, qui constituent une part essentielle de l’analyse de l’obligation de non-concurrence en entreprise.
Le principe des dispositions spécifiques en matière de non-concurrence
Avant d’examiner les cas particuliers, il est nécessaire de comprendre la logique qui sous-tend l’intervention du législateur. Pourquoi avoir créé des règles spécifiques alors qu’un cadre général existait déjà ?
Objectif : protéger certaines libertés ou activités
L’existence de réglementations spéciales n’est pas le fruit du hasard. Elle répond à un objectif de protection d’intérêts jugés supérieurs ou de libertés fondamentales qui pourraient être menacés par une application trop large du principe de la liberté contractuelle. Il s’agit par exemple de garantir la liberté d’établissement pour un professionnel, de préserver la dynamique concurrentielle sur un marché ou de protéger la partie jugée économiquement plus faible dans une relation contractuelle. Ces dispositions visent à établir un équilibre plus juste que celui qui pourrait résulter d’une simple négociation entre les parties, en posant des gardes-fous non négociables.
Coexistence avec le droit commun des contrats
Ces règles spéciales ne remplacent pas systématiquement le droit commun ; elles s’y articulent. Une clause de non-concurrence insérée dans un contrat relevant d’une réglementation spécifique doit non seulement respecter cette réglementation, mais aussi les conditions de validité posées par la jurisprudence générale (protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitation dans le temps et l’espace, et contrepartie financière pour les salariés). Les réglementations spécifiques agissent comme un filtre supplémentaire. Une clause peut être parfaitement valable au regard des critères généraux mais tomber sous le coup d’une interdiction spéciale. Cette superposition de normes illustre la diversité des sources de l’obligation de non-concurrence et la nécessité d’une analyse au cas par cas.
Dispositions interdisant la stipulation d’une clause de non-concurrence
Dans certaines matières, le législateur a tranché de manière radicale en interdisant toute clause de non-concurrence, considérant qu’elle portait une atteinte excessive à une liberté fondamentale.
Le bail commercial et la déspécialisation (article L.145-15 C. com.)
En matière de baux commerciaux, le statut protecteur accorde au locataire (le preneur) un droit à la « déspécialisation ». Il peut décider de changer ou d’étendre son activité. Pour garantir l’effectivité de ce droit, l’article L. 145-15 du Code de commerce dispose que sont réputées non écrites, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du présent chapitre à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise. Par extension, une clause de non-concurrence qui aurait pour effet de limiter la liberté de l’acquéreur du fonds de commerce, et donc la cessibilité du bail, serait privée d’effet. De même, une clause qui viendrait faire échec au droit à la déspécialisation serait illicite. L’enjeu est de permettre la transmission et l’évolution du fonds de commerce, un élément clé de la vie économique. Pour plus de détails sur la gestion de ce contrat, il peut être utile de se référer aux règles encadrant le fait de gérer votre bail commercial au quotidien.
Le règlement de copropriété (article 8 loi 1965)
Un règlement de copropriété peut imposer des restrictions à l’exercice d’activités commerciales dans les lots privatifs, mais ces restrictions ne doivent pas être assimilées à une clause de non-concurrence arbitraire. Selon l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965, le règlement ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la « destination de l’immeuble ». Ainsi, une clause interdisant l’exercice d’une activité commerciale similaire à une autre déjà présente dans l’immeuble serait jugée illicite si la destination de l’immeuble (par exemple, un usage mixte habitation et commerces) n’impose pas une telle limitation. La jurisprudence veille à ce que le règlement de copropriété ne devienne pas un outil de protection d’intérêts commerciaux particuliers au détriment de la liberté d’entreprendre.
Les professions juridiques et judiciaires (avocat collaborateur, notaire salarié)
La liberté d’établissement et le libre choix du client sont des principes cardinaux pour les professions du droit. Pour cette raison, des règles déontologiques strictes interdisent les clauses de non-concurrence dans certains contrats. Par exemple, le contrat de collaboration d’un avocat ne peut contenir une telle clause. Cette interdiction vise à garantir que le jeune avocat puisse, à l’issue de sa collaboration, s’installer librement et développer sa propre clientèle sans entrave. Des logiques similaires s’appliquent à d’autres professions réglementées comme les notaires salariés, pour qui la loi prévoit que toute convention contraire à la liberté d’établissement est réputée non écrite.
Anciennes dispositions sur les petits distributeurs (ex-article L.442-6 C. com.)
Il est intéressant de noter que le droit évolue. L’ancien article L. 442-6 du Code de commerce (aujourd’hui abrogé et modifié) interdisait d’imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’une prestation de service. Cette logique a pu, par le passé, être utilisée pour sanctionner des clauses qui, sous couvert de non-concurrence, visaient à restreindre la liberté commerciale de petits distributeurs. Bien que le texte ait changé, l’esprit de protection contre les pratiques restrictives de concurrence demeure, illustrant la volonté constante du législateur d’assainir les relations commerciales.
Dispositions encadrant la stipulation d’une clause de non-concurrence
Plus fréquemment que l’interdiction pure et simple, le législateur choisit d’encadrer la clause de non-concurrence en fixant lui-même les conditions de sa validité. La liberté des parties est alors fortement limitée.
Le contrat d’agent commercial (article L.134-14 C. com.)
Le statut de l’agent commercial est très protecteur. Une clause de non-concurrence post-contractuelle est possible, mais elle est enfermée dans un cadre très précis par l’article L. 134-14 du Code de commerce. Pour être valable, elle doit :
- Être établie par écrit.
- Concerner le secteur géographique et, le cas échéant, le groupe de personnes confiés à l’agent.
- Porter uniquement sur le type de biens ou de services pour lesquels l’agent exerçait la représentation.
- Ne pas avoir une durée supérieure à deux ans après la cessation du contrat.
Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, la clause est nulle. Le législateur a ainsi défini lui-même ce qui constitue un équilibre acceptable entre la protection du mandant et la liberté de l’agent.
Les contrats d’affiliation et la loi Macron (article L.341-2 C. com.)
La loi « Macron » du 6 août 2015 a introduit des dispositions spécifiques pour les contrats de distribution qui comportent une clause de non-concurrence post-contractuelle, visant notamment les réseaux de franchise ou de concession. L’article L. 341-2 du Code de commerce pose des conditions cumulatives strictes pour la validité de cette clause après la fin du contrat. Elle doit :
- Concerner des biens et services en concurrence avec ceux du contrat.
- Être limitée aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerçait son activité pendant le contrat.
- Être indispensable à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis.
- Sa durée ne doit pas excéder un an après l’échéance ou la résiliation du contrat.
Cette disposition est fondamentale pour les réseaux de distribution, car elle conditionne lourdement la protection de leur concept après le départ d’un membre. Les problématiques liées à la cessation du contrat de franchise sont directement impactées par ce cadre légal.
Le collaborateur libéral (loi 2005-882)
Le statut du collaborateur libéral, créé par la loi du 2 août 2005, organise un équilibre délicat. Le contrat de collaboration doit prévoir, sous peine de nullité, les modalités de sa rupture et doit garantir au collaborateur la possibilité de se constituer une clientèle personnelle. Dans ce contexte, une clause de non-concurrence est envisageable, mais elle doit être strictement proportionnée aux intérêts légitimes du professionnel titulaire du cabinet, et ne doit pas porter une atteinte excessive à la liberté d’établissement du collaborateur. Sa limitation dans le temps et dans l’espace doit être raisonnable, et elle est souvent appréciée avec une grande sévérité par les juges, qui veillent à ce qu’elle ne constitue pas une interdiction déguisée d’exercer.
Conséquences de la non-conformité à ces réglementations
Lorsqu’une clause de non-concurrence est stipulée en violation d’une disposition légale spécifique qui l’interdit ou l’encadre, la sanction est généralement sévère. Dans la majorité des cas, la loi prévoit que la clause est « réputée non écrite ». Cette sanction est plus forte qu’une simple nullité. Elle signifie que la clause est considérée comme n’ayant jamais existé, sans qu’un juge n’ait besoin de prononcer son annulation. Le reste du contrat demeure applicable, expurgé de la stipulation illicite. Le contractant qui était lié par cette clause retrouve donc sa pleine et entière liberté de faire concurrence, sans aucune formalité. Si l’application de cette clause illicite lui a causé un préjudice, il peut par ailleurs engager une action en responsabilité pour obtenir des dommages et intérêts.
L’articulation des clauses de non-concurrence avec les réglementations spécifiques est un domaine technique qui exige une analyse précise de chaque situation contractuelle. Une erreur dans la rédaction ou l’appréciation d’une telle clause peut avoir des conséquences financières et commerciales importantes. Pour sécuriser vos contrats et défendre vos droits, l’intervention d’un cabinet d’avocats expert en la matière est un atout indispensable.
Sources
- Code de commerce (notamment les articles L.145-15, L.134-14, L.341-2)
- Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis
- Loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises
- Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN)