Quand une procédure d’exécution forcée tourne mal, le juge de l’exécution (JEX) peut condamner la partie fautive à réparer le préjudice causé. Ces prérogatives, prévues à l’article L.213-6 du Code de l’organisation judiciaire, offrent un recours efficace aux victimes d’exécutions abusives ou dommageables.
L’exécution abusive : un risque coûteux
Une saisie sur votre compte bancaire pour une dette contestable ? Un créancier qui pratique une saisie immobilière disproportionnée ? Le JEX peut sanctionner ces excès.
Une jurisprudence récente (Civ. 2e, 15 mai 2014, n°13-16.016) a validé la mainlevée d’une saisie immobilière pour un bien estimé à 50 000 € quand la créance n’était que de 4 000 €. Le caractère disproportionné justifiait ici des dommages-intérêts.
Les demandes contre le créancier
L’abus de saisie
L’article L.121-2 du Code des procédures civiles d’exécution pose clairement le principe : le créancier choisit ses mesures d’exécution, mais cette liberté s’arrête où commence l’abus.
Est abusive :
- La saisie pratiquée en l’absence de créance (Civ. 2e, 10 mars 2004, n°02-16.900)
- Une saisie disproportionnée
- Une saisie maintenue malgré l’anéantissement du titre exécutoire
Le débiteur doit prouver :
- L’inutilité ou le caractère excessif de la mesure
- Le préjudice subi
L’exécution dommageable
Même sans abus caractérisé, une exécution peut causer un préjudice réparable. Cela concerne les irrégularités procédurales ou les exécutions inappropriées.
Lors d’une expulsion, un huissier qui endommage des biens engage la responsabilité du créancier. Le JEX peut ordonner réparation sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil.
Les demandes contre le débiteur
La résistance abusive
Un débiteur qui multiplie les obstacles injustifiés à l’exécution s’expose à des sanctions. L’article L.121-3 du Code des procédures civiles d’exécution autorise le JEX à condamner le débiteur récalcitrant à des dommages-intérêts.
La jurisprudence retient l’intention dilatoire comme critère principal (Civ. 2e, 6 mars 2003, n°01-02.745). En revanche, défendre légitimement ses intérêts en justice n’est pas une résistance abusive (Civ. 2e, 9 juin 2011, n°10-15.432).
Conditions de la condamnation
Pour être sanctionnée, la résistance abusive suppose :
- Un titre exécutoire préalablement notifié (Civ. 2e, 28 oct. 1999, n°97-12.734)
- Une attitude dilatoire manifeste
- Un préjudice pour le créancier
Un argument technique : l’indemnisation peut se cumuler avec une astreinte dans certains cas, comme l’a confirmé la Cour de cassation (Civ. 2e, 11 fév. 2010, n°08-21.787).
Les demandes impliquant des tiers
Actions contre l’huissier
L’huissier de justice peut voir sa responsabilité engagée devant le JEX pour une exécution fautive. Mais attention à la subtilité jurisprudentielle : la Cour de cassation distingue deux régimes selon la nature de la faute.
Si la faute résulte d’une mauvaise exécution du mandat liant le créancier à l’huissier, l’action relève du juge du fond et non du JEX (Civ. 2e, 21 fév. 2008, n°07-10.417). Cette jurisprudence constante limite les pouvoirs du JEX.
En revanche, pour une faute commise lors de l’exécution forcée elle-même, le JEX reste compétent.
Actions contre ou par le tiers saisi
Le tiers saisi (souvent une banque) peut engager une action en responsabilité contre le créancier saisissant si la saisie lui cause préjudice. Le JEX doit constater l’exercice abusif du droit de saisir (Civ. 2e, 22 mars 2001, n°99-14.941).
À l’inverse, l’article L.123-1 du Code des procédures civiles d’exécution impose aux tiers de prêter leur concours aux procédures d’exécution, sous peine d’être contraints d’y satisfaire, au besoin sous astreinte et avec dommages-intérêts.
Un exemple parlant : la condamnation d’une banque au paiement des causes de la saisie pour n’avoir pas respecté son obligation de renseignement suite à une saisie-attribution.
Le régime de responsabilité applicable
Responsabilité pour faute ou pour risque ?
La question centrale : le débiteur doit-il prouver une faute du créancier pour obtenir réparation après la mainlevée d’une mesure conservatoire ?
Pendant longtemps, les chambres de la Cour de cassation étaient divisées :
- La 2e chambre civile (Civ. 2e, 29 janv. 2004, n°01-17.161) et la 3e chambre civile (Civ. 3e, 21 oct. 2009, n°08-12.687) n’exigeaient pas la preuve d’une faute
- La chambre commerciale (Com. 14 janv. 2004, n°00-17.978) imposait au débiteur de démontrer l’abus
Évolutions jurisprudentielles
La chambre commerciale s’est finalement ralliée aux chambres civiles (Com. 25 sept. 2012, n°11-22.337), unifiant la jurisprudence. Désormais, le simple préjudice suffit, sans nécessité de prouver une faute.
Ce régime de responsabilité sans faute s’apparente à celui applicable à l’exécution provisoire (art. L.111-10 du Code des procédures civiles d’exécution) : quand le créancier agit pour préserver ses droits sans titre définitif, il le fait à ses risques et périls.
La Cour de cassation a confirmé cette position dans un arrêt du 2 mars 2023 (n° 20-21.303), précisant que la demande de sursis à l’exécution d’une décision du JEX qui ordonne la mainlevée d’une saisie conservatoire proroge les effets de cette saisie et suspend la condamnation du créancier au paiement de dommages-intérêts.
Stratégies pour préparer votre demande en réparation
- Réunir les preuves du préjudice dès le début de la procédure d’exécution
- Documenter tous les frais et pertes occasionnés
- Tenir un journal des incidents liés à l’exécution
- Réagir immédiatement à toute irrégularité procédurale
La meilleure pratique ? Contester la mesure dès son origine si elle semble abusive. En cas de mainlevée ultérieure, le JEX sera plus enclin à accorder des dommages-intérêts.
Pour les mesures conservatoires, l’immobilisation des fonds peut justifier une demande de réparation, même sans faute du créancier.
Notre cabinet intervient régulièrement sur ces questions complexes. Les enjeux financiers peuvent être considérables, notamment lorsque des biens de valeur sont bloqués pendant une longue procédure. Contactez-nous pour évaluer vos chances d’obtenir réparation après une exécution forcée préjudiciable.
Sources
- Code de l’organisation judiciaire, article L.213-6
- Code des procédures civiles d’exécution, articles L.111-10, L.121-2, L.121-3, L.123-1
- Civ. 2e, 15 mai 2014, n°13-16.016
- Civ. 2e, 10 mars 2004, n°02-16.900
- Civ. 2e, 6 mars 2003, n°01-02.745
- Civ. 2e, 9 juin 2011, n°10-15.432
- Civ. 2e, 28 oct. 1999, n°97-12.734
- Civ. 2e, 11 fév. 2010, n°08-21.787
- Civ. 2e, 21 fév. 2008, n°07-10.417
- Civ. 2e, 22 mars 2001, n°99-14.941
- Civ. 2e, 29 janv. 2004, n°01-17.161
- Civ. 3e, 21 oct. 2009, n°08-12.687
- Com. 14 janv. 2004, n°00-17.978
- Com. 25 sept. 2012, n°11-22.337