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Devoir de mise en garde et analyse de solvabilité des IOBSP : décryptage d’une controverse juridique

Table des matières

L’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP), plus couramment appelé courtier, joue un rôle central dans la recherche de financements pour de nombreux particuliers et entreprises. Pourtant, l’étendue précise de ses obligations légales reste une source de débats juridiques et d’incertitudes. Au cœur de cette controverse se trouvent deux notions habituellement réservées aux établissements prêteurs : le devoir de mise en garde et l’analyse de la solvabilité du client. La jurisprudence récente tend à imposer ces responsabilités aux IOBSP, souvent sans fondement textuel clair, créant une situation complexe pour les intermédiaires comme pour leurs clients. Cette situation s’inscrit dans le cadre plus large des obligations générales des IOBSP, dont les contours sont en constante évolution. Cet article vise à décrypter cette controverse et ses implications pratiques.

Le devoir de mise en garde : définition et application dans l’activité bancaire

Avant d’examiner son application contestée aux IOBSP, il est essentiel de comprendre la nature du devoir de mise en garde, une création des tribunaux initialement pensée pour les banques.

Qu’est-ce que le devoir de mise en garde ?

Le devoir de mise en garde est une obligation jurisprudentielle qui impose à un professionnel du crédit d’alerter son client non averti sur les risques spécifiques que présente une opération. Concrètement, il s’agit d’attirer l’attention de l’emprunteur sur le risque d’endettement excessif que le prêt envisagé pourrait engendrer au regard de ses capacités financières. Ce devoir se situe entre la simple information et le conseil. Le prêteur n’a pas à se prononcer sur l’opportunité de l’opération pour son client, mais il doit s’assurer que ce dernier a bien conscience des dangers potentiels pour sa situation financière. C’est une alerte, pas une interdiction.

Application aux prêteurs bancaires

Historiquement, ce sont les banques, en leur qualité de dispensateurs de crédit, qui ont été les premières assujetties à ce devoir. La Cour de cassation a progressivement bâti un régime juridique autour de cette obligation, considérant que le banquier, en sa qualité de professionnel, détient une connaissance des risques que le client « profane » ou « non averti » n’a pas. L’objectif est de rééquilibrer la relation contractuelle en protégeant la partie la plus vulnérable. La mise en œuvre de ce devoir dépend donc de deux conditions cumulatives : un emprunteur non averti et un crédit présentant un risque d’endettement excessif.

L’analyse de la solvabilité du client par les IOBSP : une obligation controversée

Pour mettre en garde contre un risque d’endettement, encore faut-il l’avoir évalué. Se pose alors la question de savoir si les IOBSP ont l’obligation d’analyser la solvabilité de leurs clients, une tâche traditionnellement dévolue au prêteur final.

Les exigences de renseignement sur le client

Le droit positif, notamment le Code monétaire et financier, impose aux IOBSP de recueillir un certain nombre d’informations auprès de leurs clients. Ils doivent s’enquérir de leur situation financière, de leurs ressources, de leurs charges et des crédits déjà en cours. Cette collecte d’informations, qui est au cœur des obligations d’information des IOBSP envers leurs clients, est destinée à être transmise à l’établissement de crédit. L’objectif explicite de cette démarche est de permettre au prêteur de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, comme le prévoient les articles L. 312-16 et L. 313-16 du Code de la consommation.

Interprétation des textes : une absence d’obligation d’analyse

Une lecture attentive des textes réglementaires, en particulier de l’article R. 519-21 du Code monétaire et financier, montre que l’IOBSP a une obligation de collecte, mais pas d’analyse. Son rôle est de rassembler les pièces du dossier et de les transmettre au prêteur. C’est ce dernier, et lui seul, qui dispose des outils, des données et de l’obligation légale de procéder à une étude approfondie de la solvabilité avant d’octroyer le financement. L’IOBSP agit comme un facilitateur et un transmetteur d’informations, non comme un analyste du risque de crédit. Imposer une telle analyse à l’intermédiaire reviendrait à dénaturer son rôle et à créer une redondance avec la mission du banquier.

La position des juges du fond et de la Cour de cassation

Malgré la clarté apparente des textes, la pratique judiciaire révèle une tendance différente. Plusieurs juridictions du fond ont, dans des décisions récentes, sanctionné des IOBSP pour ne pas avoir vérifié la solvabilité de leurs clients. Ces décisions imputent aux intermédiaires une responsabilité qui semble dépasser le cadre légal strict. La motivation de ces jugements reste souvent peu détaillée, se contentant d’affirmer l’existence d’une telle obligation sans la fonder sur une analyse juridique précise des textes. Cette tendance, critiquée par une partie de la doctrine juridique, crée une insécurité notable pour les professionnels du courtage, qui se voient attribuer des devoirs non explicitement prévus par la loi.

Le devoir de mise en garde des IOBSP : une absence de fondement légal contestée par la jurisprudence

La confusion s’accentue lorsque les tribunaux étendent le devoir de mise en garde aux IOBSP. Cette extension pose de sérieuses questions de cohérence juridique, car elle semble déconnectée de leurs obligations réelles.

Les limites de l’article R. 519-22 du Code monétaire et financier

Certains tentent de fonder le devoir de mise en garde de l’IOBSP sur l’article R. 519-22 du Code monétaire et financier. Ce texte prévoit que l’intermédiaire doit « appeler l’attention du client sur les conséquences que la souscription du contrat pourrait avoir sur sa situation financière ». Cependant, il s’agit là d’une obligation d’explication générale, qui doit être fournie dans tous les cas. Elle ne correspond pas à la définition stricte du devoir de mise en garde, qui n’intervient que face à un risque avéré d’endettement excessif pour un client non averti. Cette obligation d’explication se distingue également du devoir de conseil du courtier, qui implique une recommandation personnalisée. Confondre cette obligation d’information avec un devoir de mise en garde constitue une interprétation extensive des textes.

Les jurisprudences du fond et de la Cour de cassation

Pourtant, plusieurs arrêts ont franchi le pas. Des cours d’appel et même la Cour de cassation ont explicitement reconnu l’existence d’un devoir de mise en garde à la charge de l’IOBSP, le condamnant solidairement avec la banque prêteuse. Dans une affaire notable, la Haute Juridiction a affirmé que face à un prêt complexe présentant un risque d’amortissement négatif, l’intermédiaire était tenu à un « devoir de mise en garde sur ce risque ». Ces décisions, souvent rendues sans justification textuelle approfondie, semblent guidées par un souci de protection maximale de l’emprunteur, mais elles le font au prix d’une distorsion des règles de responsabilité.

Implications pratiques de la reconnaissance d’un tel devoir

La reconnaissance d’un devoir de mise en garde pour les IOBSP sans leur imposer une obligation formelle d’analyser la solvabilité crée une contradiction majeure. Comment un courtier peut-il valablement mettre en garde son client contre un risque d’endettement excessif s’il n’a pas les moyens ni l’obligation légale de l’évaluer précisément ? Le résultat est une insécurité juridique considérable. Les IOBSP sont exposés à un risque de responsabilité pour ne pas avoir alerté sur une situation qu’ils ne sont pas tenus d’analyser. Cette confusion des rôles fragilise l’ensemble de la chaîne de distribution du crédit et rend les frontières des responsabilités de chaque acteur de plus en plus poreuses.

Les frontières entre les obligations des prêteurs et celles des intermédiaires sont devenues floues, créant une insécurité juridique préjudiciable tant pour les professionnels que pour leurs clients. Une clarification législative ou une jurisprudence plus motivée serait souhaitable pour stabiliser les règles applicables. Si vous êtes confronté à un litige concernant les obligations d’un intermédiaire bancaire, une analyse approfondie de votre dossier est indispensable. Notre équipe d’avocats compétents en droit bancaire et financier est à votre disposition pour vous conseiller et défendre vos intérêts.

Sources

  • Code monétaire et financier, notamment les articles L. 519-1 et suivants, et R. 519-19 et suivants.
  • Code de la consommation, notamment les articles L. 312-16 (crédit à la consommation) et L. 313-16 (crédit immobilier).
  • Jurisprudence de la Cour de cassation et des cours d’appel relative aux obligations des professionnels du crédit.

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