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Ententes et restrictions verticales sur internet : ce que vous devez savoir

Table des matières

Les entreprises nouent constamment des accords pour organiser leurs activités : contrats de fourniture, accords de distribution, partenariats technologiques… Ces pratiques, qui sont au cœur de la liberté de la concurrence, peuvent néanmoins, si la plupart de ces collaborations sont bénéfiques et légitimes, franchir la ligne jaune et tomber sous le coup de l’interdiction des ententes anticoncurrentielles. Avec internet, qui facilite les échanges d’informations et la coordination entre acteurs économiques, les risques d’entente peuvent être accrus, tandis que de nouvelles formes de restrictions apparaissent dans les relations commerciales, autant de défis majeurs pour le droit de la concurrence sur internet.

Comprendre où se situe la frontière entre un accord commercial légitime et une pratique prohibée est fondamental pour toute entreprise active en ligne. Les règles, issues du droit européen (article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne) et du droit français (article L. 420-1 du Code de commerce), visent à préserver une concurrence saine au bénéfice des consommateurs et des autres entreprises. Cet article explore les principales formes d’ententes horizontales (entre concurrents) et de restrictions verticales (entre fournisseurs et distributeurs) qui peuvent poser problème dans l’environnement numérique.

Les ententes horizontales à l’ère numérique

Les ententes horizontales, conclues entre entreprises concurrentes opérant au même niveau économique, sont généralement considérées comme les plus graves restrictions de concurrence. Internet peut involontairement faciliter ou amplifier certaines de ces pratiques.

Les échanges d’informations sensibles

Les plateformes en ligne, les forums professionnels ou même les simples messageries instantanées peuvent devenir des lieux d’échanges d’informations stratégiques entre concurrents (prix futurs, stratégies commerciales, volumes de production, coûts…). Si un tel échange réduit l’incertitude du marché et permet aux entreprises d’aligner leurs comportements, il peut être qualifié d’entente par objet, c’est-à-dire interdit en soi, même sans preuve d’un effet négatif sur le marché. La prudence est donc de mise : les informations échangées doivent rester publiques ou suffisamment agrégées et anciennes pour ne pas révéler la stratégie individuelle d’un concurrent. Les places de marché B2B doivent être particulièrement vigilantes quant à la confidentialité des données transitant par leurs systèmes, comme l’a souligné la Commission européenne dans l’affaire. Des mesures techniques et organisationnelles strictes (cloisonnement, personnel dédié, etc.) sont nécessaires pour éviter que la plateforme ne devienne un vecteur de collusion.  

Le contrôle des plateformes et les risques d’exclusion

Lorsque plusieurs concurrents s’associent pour créer ou gérer une plateforme (place de marché, système de réservation…), un risque d’exclusion anticoncurrentielle peut apparaître, s’apparentant parfois à des abus de position dominante sur internet. Si la plateforme devient incontournable pour opérer sur un marché donné, ses propriétaires pourraient être tentés d’en refuser l’accès à d’autres concurrents ou de leur imposer des conditions discriminatoires, faussant ainsi la concurrence à leur avantage. L’analyse dépendra de la structure du marché et du caractère indispensable ou non de la plateforme.  

Le boycott de concurrents en ligne

Des entreprises traditionnelles peuvent être tentées de s’organiser pour freiner le développement d’un concurrent « pure player » (vendant exclusivement en ligne) jugé trop agressif sur les prix ou les méthodes commerciales. Cela peut prendre la forme d’un boycott concerté, par exemple en faisant pression sur un fournisseur commun pour qu’il cesse de livrer le concurrent en ligne, ou en menaçant de réduire leurs propres commandes. De telles pratiques ont été condamnées, notamment aux États-Unis dans le secteur automobile où des concessionnaires traditionnels avaient fait pression sur Chrysler pour limiter ses ventes à un distributeur en ligne, ou en Allemagne concernant un distributeur en ligne de pièces détachées. Le boycott concerté est une infraction grave au droit de la concurrence.  

Les accords sur les prix ou les conditions de vente

L’entente la plus classique reste l’accord direct ou indirect sur les prix. Internet peut rendre la surveillance des prix des concurrents plus aisée, augmentant la tentation de s’entendre pour les maintenir à un certain niveau. L’affaire du prix unique du livre en Allemagne illustre comment un système de prix imposés, même potentiellement légal au niveau national, peut entrer en conflit avec le droit européen de la concurrence lorsqu’il est appliqué aux ventes transfrontalières via internet. La Commission européenne est intervenue pour s’assurer que ce système ne cloisonnait pas le marché et ne l’empêchait pas les consommateurs allemands d’acheter des livres moins chers sur des sites étrangers.  

Les restrictions verticales spécifiques au commerce en ligne

Les restrictions verticales sont celles contenues dans les accords entre entreprises situées à des niveaux différents de la chaîne de production ou de distribution, typiquement entre un fournisseur et ses distributeurs. Si elles peuvent parfois être justifiées (pour protéger des investissements, assurer un service de qualité…), elles ne doivent pas restreindre excessivement la concurrence. Le droit européen a mis en place un cadre spécifique, notamment via le Règlement d’Exemption par Catégories (REC) n° 2022/720 et ses Lignes directrices, qui s’applique largement au commerce en ligne.  

Le cadre général : une zone de sécurité sous conditions

Le principe général du REC est d’exempter automatiquement de l’interdiction de l’article 101 TFUE les accords verticaux conclus par des entreprises dont la part de marché (celle du fournisseur et celle de l’acheteur) ne dépasse pas 30%. Cette exemption offre une « zone de sécurité » appréciable.  

Toutefois, cette exemption ne s’applique pas si l’accord contient certaines restrictions dites « caractérisées » (ou « hardcore »), considérées comme particulièrement nocives. De plus, même sous le seuil de 30%, certaines clauses spécifiques peuvent être exclues du bénéfice de l’exemption. C’est le cas pour plusieurs pratiques liées à internet.

Ventes actives vs ventes passives : la liberté de vendre en ligne

Une distinction fondamentale est faite entre les « ventes actives » (sollicitation ciblée de clients dans un territoire ou groupe de clients spécifique) et les « ventes passives » (réponse à des demandes non sollicitées de clients individuels). Un fournisseur peut interdire à ses distributeurs exclusifs de réaliser des ventes actives en dehors de leur territoire ou clientèle attitrée, mais il ne peut jamais leur interdire les ventes passives.  

Or, la Commission européenne considère que l’exploitation d’une boutique en ligne est par nature une forme de vente passive. Même si le site attire des clients situés hors du territoire contractuel du distributeur, répondre à leurs commandes (y compris en les livrant) relève de la vente passive et ne peut être interdit. Interdire purement et simplement la vente en ligne à un distributeur équivaut donc à une interdiction des ventes passives, ce qui constitue une restriction caractérisée.  

Attention cependant : certaines actions en ligne peuvent être requalifiées en ventes actives. Par exemple, utiliser des bannières publicitaires ou un référencement ciblant spécifiquement les clients d’un autre territoire, ou proposer sur son site une langue spécifiquement utilisée dans ce territoire (sauf l’anglais, considéré comme largement compris partout dans l’UE) peut être vu comme du démarchage actif.  

Distribution sélective et internet : qualité vs exclusion

Dans un réseau de distribution sélective (où les distributeurs sont choisis selon des critères qualitatifs, typique pour les produits de luxe ou techniques), le fournisseur peut-il restreindre la vente en ligne ?

Le fournisseur peut imposer à ses distributeurs agréés des critères de qualité pour leur site internet, tout comme il le ferait pour un magasin physique. Ces critères doivent être objectifs, non discriminatoires et proportionnés à l’objectif de préserver l’image de marque ou la qualité du service (ex: présentation du site, qualité du conseil en ligne, service après-vente). L’Autorité de la concurrence a validé de tels critères, tout en veillant à ce qu’ils ne soient pas excessivement contraignants au point de vider la vente en ligne de son contenu (ex: refus d’une exigence de site dédié ou de limitations excessives de commandes).  

En revanche, le fournisseur ne peut pas imposer des conditions pour la vente en ligne qui ne seraient pas globalement équivalentes à celles imposées pour la vente hors ligne. Les exigences peuvent différer pour tenir compte de la nature spécifique d’internet, mais elles doivent poursuivre les mêmes objectifs et aboutir à des résultats comparables.  

Une question sensible est celle de l’interdiction de vendre via des plateformes tierces (marketplaces). Si les critères qualitatifs peuvent être remplis par la plateforme ou par le vendeur sur la plateforme, une interdiction absolue de recourir à ces plateformes peut être considérée comme une restriction excessive.  

De même, si un fournisseur peut exiger que ses distributeurs agréés disposent aussi d’un magasin physique (« brick and mortar »), excluant ainsi les vendeurs « pure players », il ne peut généralement pas interdire à un distributeur agréé (qui a un magasin) de vendre également en ligne.  

La question des prix : prix imposés et « double prix »

Imposer à ses distributeurs un prix de revente minimum ou fixe est une restriction caractérisée, interdite quelle que soit la part de marché. La transparence des prix sur internet peut faciliter la surveillance par le fournisseur et augmenter la tentation d’imposer des prix planchers. L’Autorité de la concurrence a sanctionné de telles pratiques, par exemple dans le secteur des arts de la table où un fabricant utilisait une « Charte Internet » pour inciter ses revendeurs en ligne à respecter les prix conseillés.  

Une autre pratique est celle du « double prix » (dual pricing) : le fournisseur facture à un même distributeur un prix de gros différent pour les produits destinés à être revendus en ligne et pour ceux destinés à être revendus en magasin. Cette pratique est considérée comme une restriction caractérisée si elle a pour objet ou pour effet de restreindre les ventes en ligne ou de limiter la capacité du distributeur à vendre dans certains territoires. Cependant, elle peut exceptionnellement être justifiée et bénéficier d’une exemption individuelle si le fournisseur peut démontrer que la différence de prix est objectivement nécessaire pour compenser des différences d’investissements ou de coûts entre les canaux online et offline, et qu’elle est proportionnée. L’analyse se fait au cas par cas.  

Les clauses de parité : l’exemple de Booking.com

Les clauses de parité (ou clauses de « nation la plus favorisée ») sont fréquentes sur les plateformes d’intermédiation en ligne (hôtels, comparateurs…). Une clause de parité « large » oblige un vendeur (ex: un hôtel) à offrir à la plateforme des conditions (prix, disponibilité…) au moins aussi favorables que celles qu’il propose sur tous ses autres canaux de distribution, y compris ses propres canaux directs (son site web, par téléphone) et les plateformes concurrentes.  

Ces clauses larges sont considérées comme problématiques car elles peuvent réduire la concurrence entre plateformes (en empêchant une plateforme de proposer de meilleures commissions en échange de tarifs plus bas) et limiter la capacité du vendeur à différencier ses offres, notamment sur son propre site. Le règlement d’exemption exclut désormais de son bénéfice les clauses de parité larges imposées par les plateformes aux entreprises utilisatrices pour la vente au détail. Les clauses de parité « restreintes » (qui n’empêchent le vendeur de proposer de meilleures conditions que sur ses canaux directs) sont généralement admises. L’affaire Booking.com, où plusieurs autorités européennes, dont l’Autorité de la concurrence française, sont intervenues pour faire modifier les clauses de parité larges, illustre bien cette problématique.  

Le cas particulier du secteur automobile

La distribution automobile a longtemps bénéficié d’un régime d’exemption spécifique, mais elle est désormais largement alignée sur le régime général des restrictions verticales. Les règles confirment explicitement le droit pour les concessionnaires d’utiliser internet pour vendre des véhicules, y compris via des sites d’aiguillage. Le constructeur peut imposer des normes de qualité pour le site du concessionnaire, mais pas interdire son usage pour les ventes.  

En résumé, si les accords verticaux sont un outil normal de la vie des affaires, leur contenu doit être attentivement examiné à la lumière des règles de concurrence, surtout lorsqu’ils touchent à la vente en ligne. La liberté fondamentale pour un distributeur de répondre aux demandes passives via internet et de fixer librement ses prix doit être préservée.

Les accords que vous concluez pour vos activités en ligne peuvent receler des risques au regard du droit de la concurrence. Pour sécuriser vos contrats et pratiques commerciales, notre cabinet peut vous accompagner en vous offrant un conseil juridique spécialisé.

Sources

  • Article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE)
  • Article L. 420-1 du Code de commerce
  • Règlement (UE) n° 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées  
  • Communication de la Commission — Lignes directrices sur les restrictions verticales (2022/C 248/01)

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