La perte de son logement représente un traumatisme majeur. L’expulsion locative touche des milliers de Français chaque année. Entre droits du propriétaire et protection du locataire, le droit cherche un équilibre. La législation offre des dispositifs permettant d’éviter ou de retarder l’expulsion.
Le droit au logement et ses implications
Le droit au logement s’est progressivement imposé comme une exigence fondamentale. D’abord consacré par la loi Mermaz du 6 juillet 1989, il a été renforcé par la loi du 5 mars 2007, dite loi DALO (Droit Au Logement Opposable).
Ce droit est considéré comme « un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation » (article 1er de la loi du 31 mai 1990), mais aussi comme « une exigence d’intérêt national » selon le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 mai 1990.
Mesures relatives au relogement
Information du préfet
Le processus d’expulsion débute par une étape obligatoire : la notification au préfet. Cette obligation découle de l’article L. 412-5 du Code des procédures civiles d’exécution.
Dès le commandement d’avoir à libérer les locaux, l’huissier doit saisir le préfet afin que celui-ci informe:
- La commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives
- Le locataire sur la possibilité de saisir la commission de médiation
Cette notification est tellement cruciale que son absence suspend le délai avant expulsion. La Cour de cassation en a fait une obligation stricte (Civ. 3e, 19 mai 2010, n°09-12.424).
Délais accordés au locataire
Le locataire bénéficie d’un délai légal minimal de deux mois entre le commandement et l’expulsion effective (article L. 412-1 du Code des procédures civiles d’exécution).
Ce délai peut être prolongé dans certaines situations:
- Jusqu’à trois mois supplémentaires dans des circonstances d’exceptionnelle dureté
- Jusqu’à trois ans lorsque le relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales
Attention toutefois: les personnes entrées par voie de fait (« squatteurs ») perdent ce bénéfice. La Cour de cassation a confirmé, dans une QPC du 20 juin 2019 (n°19-40.010), que cette distinction respecte l’équilibre entre droit de propriété et droit au logement.
Cas particuliers
La trêve hivernale
Du 1er novembre au 31 mars, aucune expulsion ne peut avoir lieu (article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution). Cette protection, appelée « trêve hivernale », s’applique même lorsqu’un jugement d’expulsion a été rendu.
Deux exceptions notables existent:
- Les squatteurs peuvent être expulsés pendant cette période
- Les logements d’étudiants ne bénéficient pas de cette protection lorsque le locataire ne remplit plus les conditions d’attribution
Prévention de l’expulsion locative
Dispositifs généraux
La loi du 29 juillet 1998 a mis en place des mécanismes préventifs, notamment concernant les clauses résolutoires des baux d’habitation (article 24 de la loi du 6 juillet 1989).
Une clause résolutoire ne produit effet qu’après:
- Un commandement de payer resté infructueux pendant deux mois
- Une information complète du locataire sur ses droits (possibilité de saisir le fonds de solidarité pour le logement, demande de délais de grâce)
Le juge peut accorder des délais de paiement jusqu’à trois ans, dérogeant ainsi à l’article 1343-5 du Code civil. Cette possibilité peut être exercée d’office.
Maintien des aides au logement
Pour les bailleurs personnes morales (hors SCI familiales), une protection supplémentaire existe: l’assignation ne peut être délivrée qu’après un délai de deux mois suivant la saisine de la commission de coordination des actions de prévention.
Ce mécanisme vise à maintenir le versement des aides au logement pendant cette période transitoire, selon les dispositions de l’article L. 351-2 du Code de la construction et de l’habitation.
Information du préfet
Dans le cadre d’une assignation aux fins de résiliation du bail, l’huissier doit notifier au préfet l’assignation au moins deux mois avant l’audience. Cette obligation se trouve à peine d’irrecevabilité de la demande.
Cette notification déclenche un diagnostic social et financier du locataire, transmis au juge avant l’audience. Ce document permet d’éclairer la décision judiciaire par des éléments sociaux et pas uniquement juridiques.
Articulation avec les dispositions relatives au surendettement
Le surendettement constitue souvent la cause première des impayés locatifs. La loi prévoit donc des mécanismes d’articulation entre les deux procédures.
Effets de la recevabilité d’une demande
Quand la commission de surendettement rend une décision de recevabilité, le juge doit accorder des délais de paiement jusqu’à l’aboutissement de la procédure de surendettement.
Cette suspension peut se poursuivre jusqu’à:
- L’approbation du plan conventionnel
- L’imposition de mesures par la commission
- Le jugement prononçant un rétablissement personnel
- La clôture de la procédure
Conséquences d’un plan conventionnel ou d’une décision de la commission
Si un plan conventionnel est approuvé ou que la commission impose des mesures, le juge doit aligner les délais accordés sur ceux prévus par la commission.
En cas de suspension d’exigibilité de la créance locative, ce délai est prolongé de trois mois pour permettre une nouvelle saisine de la commission. Pendant cette période, la clause résolutoire est sans effet.
Effets du rétablissement personnel
En cas de rétablissement personnel (avec ou sans liquidation judiciaire), les effets de la clause résolutoire sont suspendus pendant deux ans à partir de la décision d’effacement.
Si le locataire respecte son obligation de paiement des loyers courants pendant ces deux ans, la clause résolutoire est réputée n’avoir jamais joué. Cette mesure illustre le principe de la « seconde chance ».
Une précision capitale: cette suspension n’affecte pas l’obligation de payer les loyers courants. Seule la dette passée est concernée.
Tous ces dispositifs montrent la complexité de la matière et l’interaction entre plusieurs branches du droit. Un conseil personnalisé devient souvent nécessaire pour naviguer dans ce labyrinthe juridique.
Notre cabinet accompagne les locataires en difficulté dans la mise en œuvre de ces protections. Pour une analyse de votre situation, n’hésitez pas à nous contacter.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution, articles L. 412-1 à L. 412-7 et R. 412-1 à R. 412-4
- Loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs
- Loi n°90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement
- Loi n°98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions
- Loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable
- Code de la consommation, articles L. 711-1 à L. 743-2
- Cour de cassation, 3e civile, 19 mai 2010, n°09-12.424
- Cour de cassation, 3e civile, QPC, 20 juin 2019, n°19-40.010
- Conseil constitutionnel, décision du 29 mai 1990