Le droit des sûretés, pilier de la sécurité des transactions commerciales, a connu une profonde modernisation avec l’ordonnance du 15 septembre 2021. Cette réforme majeure a simplifié et rationalisé de nombreux mécanismes, notamment les gages spéciaux, tout en introduisant de nouvelles garanties adaptées aux réalités économiques actuelles. Pour les créanciers comme pour les débiteurs, comprendre ces évolutions est fondamental pour sécuriser leurs engagements et optimiser leurs financements. Naviguer dans ce paysage juridique remanié demande une vision claire des outils disponibles, de leur fonctionnement et de leur finalité. Pour une vue d’ensemble, notre guide complet sur le droit des sûretés mobilières offre une base solide avant d’aborder ces mécanismes spécifiques.
Le gage de stocks : un régime désormais de droit commun
Le gage de stocks, un outil de financement essentiel pour de nombreuses entreprises, a vu son régime entièrement réformé. L’objectif du législateur était de mettre fin à une complexité devenue superflue en l’intégrant au régime général du gage de choses fongibles.
Abrogation des dispositions spécifiques de 2006
L’ordonnance de 2021 a abrogé la loi de 2006 qui avait créé un régime spécifique et autonome pour le gage de stocks. Cette législation, bien qu’utile à son époque, était devenue source de confusion en cohabitant avec le droit commun du gage. La simplification opérée vise à unifier les règles et à rendre la sûreté plus lisible et plus efficace pour les opérateurs économiques. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de modernisation, qui a également touché des mécanismes comme le régime spécifique du warrant de magasin général, dont les principes ont été repensés pour s’adapter aux nouvelles logiques économiques.
Application du régime général du gage sans dépossession
Désormais, le gage de stocks est soumis au régime du gage sans dépossession de droit commun, encadré par les articles 2333 et suivants du Code civil. Cela signifie que les règles générales de constitution, de publicité et de réalisation du gage s’appliquent. La constitution se fait par un écrit qui doit désigner précisément les stocks gagés, leur quantité et leur valeur. Pour être opposable aux tiers, le gage doit faire l’objet d’une inscription sur un registre spécial tenu par le greffe du tribunal de commerce. En cas de non-paiement de la dette, le créancier peut demander l’attribution judiciaire du stock ou le faire vendre aux enchères publiques. Cette unification simplifie la gestion pour les entreprises qui n’ont plus à jongler entre différents corpus de règles.
Le gage de véhicules automobiles : spécificités maintenues
À la différence du gage de stocks, le gage portant sur un véhicule automobile conserve un régime particulier, notamment en matière de publicité. Cette spécificité s’explique par la nature même du bien, qui est immatriculé et dont la traçabilité est assurée par l’État.
Un gage de droit commun avec publicité spécifique
Le gage sur véhicule automobile est un gage sans dépossession de droit commun quant à ses conditions de fond. Cependant, sa particularité réside dans sa procédure de publicité. Pour être opposable, il ne fait pas l’objet d’une inscription au greffe, mais d’une déclaration auprès de l’autorité administrative compétente pour l’immatriculation du véhicule. Cette déclaration est une condition de validité de la garantie vis-à-vis des tiers.
Procédure d’inscription, durée et cession
La déclaration de gage s’effectue via le système d’immatriculation des véhicules (SIV). Elle doit être faite par le créancier dans un délai de quinze jours à compter de la date de l’acte de constitution de gage. L’inscription est valable pour une durée de cinq ans et peut être renouvelée. En cas de cession du véhicule, le gage est transféré avec la propriété du bien, à condition que les formalités aient été correctement accomplies. L’acquéreur est alors informé de l’existence de la sûreté qui grève le bien qu’il achète.
Extinction et certificat de situation administrative
Le gage s’éteint par le paiement complet de la créance garantie. Le créancier a alors l’obligation de remettre au débiteur un certificat de levée de gage, qui permettra de radier l’inscription. L’existence (ou l’absence) d’un gage est mentionnée sur le certificat de situation administrative, un document indispensable à toute vente du véhicule. Ce certificat, autrefois appelé « certificat de non-gage », assure la transparence et la sécurité des transactions pour l’acheteur.
Le warrant agricole : une sûreté maintenue et son régime juridique
Instrument de crédit historique du monde agricole, le warrant agricole a été maintenu par la réforme de 2021, qui a toutefois clarifié et modernisé son régime. Il permet à un exploitant agricole de donner en garantie ses récoltes ou son matériel pour obtenir des financements.
Objet, qualité du constituant et biens warrantables
Seul l’exploitant agricole, qu’il soit propriétaire, fermier ou métayer, peut consentir un warrant agricole. Le warrant peut porter sur une grande variété de biens liés à l’exploitation : les récoltes pendantes par la racine ou déjà récoltées, les produits du sol, le bétail, ainsi que le matériel agricole. La loi énumère précisément les biens qui peuvent être « warrantés », ce qui offre une sécurité juridique aux prêteurs.
Établissement du warrant (contenu, publicité, formalités)
Le warrant agricole doit être constaté par un acte authentique ou un acte sous seing privé. Pour son opposabilité, il doit être inscrit sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel les biens sont situés. L’inscription doit mentionner l’identité des parties, la description des biens warrantés, leur emplacement et le montant de la créance garantie. Cette publicité est essentielle pour informer les tiers de l’existence de la sûreté.
Transmission par endossement
Une des grandes particularités du warrant agricole est son mode de transmission. Le titre qui le constate est un effet de commerce, transmissible par simple endossement. Cet endossement transfère au nouveau porteur (l’endossataire) l’ensemble des droits attachés au warrant. Cette facilité de circulation en fait un instrument de crédit très souple, permettant au créancier initial de se refinancer en cédant sa créance facilement.
Effets (droit de rétention, réalisation, procédure collective)
Le créancier titulaire d’un warrant dispose d’un droit de rétention sur les biens gagés, même s’ils ne sont pas en sa possession physique. En cas de défaut de paiement à l’échéance, il peut faire procéder à la vente forcée des biens, huit jours après une simple signification faite au débiteur. En cas de procédure collective de l’exploitant, le créancier warrantiste bénéficie d’un droit de préférence et peut faire valoir ses droits en priorité sur le prix de vente des biens warrantés.
Le gage espèces ou cession d’une somme d’argent à titre de garantie (nouveauté 2021)
La réforme de 2021 a consacré dans le Code civil une pratique courante : le gage portant sur une somme d’argent, souvent appelé « gage espèces ». Il ne s’agit pas d’un gage classique mais d’un transfert de propriété à titre de garantie.
Transfert de propriété et fondement légal (art. 2374 C. civ.)
Le mécanisme, désormais régi par les articles 2374 et suivants du Code civil, consiste pour le constituant à céder la propriété d’une somme d’argent au créancier à titre de garantie. Le créancier devient donc propriétaire des fonds. Il ne s’agit pas d’un simple droit de préférence sur une somme, mais d’un transfert de propriété plein et entier, ce qui constitue une garantie extrêmement robuste. Cette logique de transfert de propriété d’un bien en garantie n’est pas sans rappeler les nouveaux enjeux juridiques posés par la transmission d’actifs numériques, où la notion de possession et de propriété est également redéfinie.
Formalités, droits du cessionnaire et sort des fruits/intérêts
La constitution de cette garantie est très simple : elle requiert un écrit et la remise effective de la somme d’argent, qui peut se faire par virement sur un compte ouvert au nom du créancier. Sauf convention contraire, le créancier peut disposer des fonds. Si la somme d’argent produit des intérêts, les parties peuvent convenir de leur sort : ils peuvent être imputés sur la créance garantie, capitalisés ou restitués au constituant.
Dénouement de la garantie (défaillance, paiement créance garantie)
Le sort de la garantie dépend de l’issue de l’obligation principale. Si le débiteur paie sa dette, le créancier doit lui restituer la somme d’argent initialement versée. En cas de défaillance du débiteur, le créancier peut conserver la somme d’argent à hauteur du montant impayé de la créance. La compensation s’opère alors de plein droit, sans aucune formalité judiciaire, ce qui confère à cette sûreté une efficacité redoutable.
La cession de créances à titre de garantie (nouveauté 2021)
Autre innovation majeure de la réforme de 2021, la cession de créance de droit commun à titre de garantie est venue offrir une alternative plus accessible au mécanisme Dailly, jusqu’alors réservé aux opérations de crédit réalisées par des établissements financiers.
Un nouveau mécanisme en dehors de la loi Dailly
Inscrite aux articles 2373 et suivants du Code civil, cette sûreté permet à tout créancier, et non plus seulement aux banques, de se voir céder une créance en garantie d’une dette. Un fournisseur peut par exemple garantir un paiement en cédant à son créancier une facture qu’il détient sur un de ses propres clients. L’acte de cession doit être écrit et doit identifier les créances cédées. La cession prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date de l’acte.
Principes et règles d’imputation
Le débiteur de la créance cédée n’a besoin d’être notifié de la cession que si le créancier garanti souhaite recevoir directement le paiement. Tant que la créance garantie n’est pas échue et impayée, le cédant (le débiteur initial) continue de recevoir les paiements de la créance qu’il a cédée. En cas de défaillance, le créancier garanti peut notifier la cession au débiteur de la créance cédée pour en obtenir le paiement. Les sommes versées s’imputent alors sur la dette garantie.
Les warrants abrogés : pétrolier et hôtelier
Dans un souci de simplification, la réforme a supprimé plusieurs warrants spéciaux qui étaient tombés en désuétude ou dont l’utilité était devenue marginale.
Rappel du fonctionnement et raisons de l’abrogation
Le warrant pétrolier et le warrant hôtelier étaient des sûretés très spécifiques, adaptées à des secteurs particuliers. Le premier permettait de nantir des stocks d’hydrocarbures, tandis que le second portait sur le matériel d’un établissement hôtelier. Ces deux mécanismes, complexes dans leur mise en œuvre et peu utilisés en pratique, ont été abrogés. Les besoins qu’ils couvraient peuvent désormais être satisfaits par le gage de droit commun, plus souple et unifié. Pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de ces instruments, il est possible de consulter des archives sur l’ancienne sûreté qu’était le warrant pétrolier ou sur l’histoire et les mécanismes du warrant hôtelier. Leur disparition illustre la volonté du législateur de ne conserver que les outils juridiques véritablement efficaces.
Le gage de marchandises représentées par un reçu d’entreposage (loi PACTE)
Introduit avant la grande réforme de 2021, par la loi PACTE de 2019, ce mécanisme a modernisé le nantissement de marchandises stockées chez un tiers.
Définition et particularités
Cette sûreté permet de gager des marchandises qui ont été déposées dans un entrepôt et pour lesquelles un récépissé d’entreposage a été émis. Ce document représente la marchandise et sa possession vaut possession de la marchandise elle-même. Le gage porte alors non pas directement sur le bien, mais sur le titre qui le représente.
Fonctionnement et opposabilité
Le gage est constitué par l’endossement du récépissé d’entreposage au profit du créancier, avec une mention précisant qu’il est donné à titre de garantie. L’entrepôt doit également être notifié. Cette notification rend le gage opposable à tous. Ce système facilite grandement le financement sur stocks sans nécessiter de formalisme lourd, s’appuyant sur la confiance et le professionnalisme des tiers entreposeurs. Il est une excellente illustration de la manière dont le droit s’adapte aux pratiques logistiques modernes et à la dématérialisation des titres, un sujet qui recoupe le fonctionnement des récépissés-warrants traditionnels.
La réforme du droit des sûretés a rebattu les cartes en matière de garanties mobilières. La simplification des régimes existants et l’introduction de nouveaux outils comme le gage espèces ou la cession de créance de droit commun offrent de nouvelles opportunités pour les entreprises et leurs créanciers. Le choix et la mise en place de la sûreté la plus adaptée à une opération restent un exercice délicat qui engage la sécurité financière des parties. Pour bénéficier de l’expertise de Solent Avocats en droit commercial et sécuriser vos opérations, notre cabinet vous accompagne dans l’analyse et la structuration de vos garanties.
Sources
- Code civil (notamment les articles 2333 et suivants sur le gage, et 2373 et suivants sur les cessions à titre de garantie)
- Code de commerce (notamment pour le warrant agricole)
- Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés
- Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE)