Signer un bail commercial n’est que le début d’une relation contractuelle qui va rythmer la vie de votre entreprise pendant de nombreuses années. Loin d’être un document figé, le bail commercial est le cadre d’une interaction continue entre le locataire (preneur) et le propriétaire (bailleur). Comprendre les droits et les devoirs de chacun en cours de bail est essentiel pour maintenir des relations sereines et assurer la pérennité de votre activité. De plus, les besoins d’une entreprise évoluent : extension, réorientation, transmission… Le bail commercial prévoit, sous conditions, certaines possibilités d’adaptation, notamment face aux évolutions récentes du droit. Comment s’y retrouver dans les obligations d’entretien ? Peut-on sous-louer une partie de ses locaux ? Comment céder son bail si l’on vend son affaire ? Est-il possible de modifier l’activité exercée ? Et comment gérer le renouvellement ou la fin du bail ? Cet article explore ces aspects pratiques de la vie du bail commercial.
Les obligations essentielles des parties en cours de bail
Le bail commercial, comme tout contrat de location, crée des obligations réciproques. Le statut spécifique des baux commerciaux et le Code civil en définissent les contours principaux, même si des aménagements contractuels sont fréquents.
Obligations du locataire
Le preneur a principalement trois grandes obligations :
- Payer le loyer et les charges : C’est l’obligation fondamentale en contrepartie de la mise à disposition des locaux. Le paiement doit intervenir aux termes convenus dans le bail. Concernant les charges, impôts, taxes et redevances, la loi Pinel (codifiée à l’article L. 145-40-2 du Code de commerce) impose désormais que le contrat de bail comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges réparties entre bailleur et locataire. Certaines dépenses, comme les grosses réparations de l’article 606 du Code civil ou les honoraires liés à la gestion des loyers du local loué, ne peuvent plus être imputées au locataire pour les contrats conclus ou renouvelés depuis septembre 2014. Le bailleur doit également communiquer un récapitulatif annuel des charges.
- User paisiblement des locaux : L’article 1728 du Code civil demande au locataire d’utiliser la chose louée « raisonnablement » (l’expression ancienne était « en bon père de famille »). Cela implique de ne pas dégrader les lieux au-delà de l’usure normale, de ne pas causer de troubles anormaux de voisinage et d’assurer l’entretien courant. Les « réparations locatives » (petits travaux d’entretien définis notamment par décret) sont à sa charge, sauf si elles sont dues à la vétusté ou à un cas de force majeure. Les grosses réparations, touchant à la structure de l’immeuble (gros murs, toiture entière…), restent en principe à la charge du bailleur (article 606 du Code civil), même si des clauses spécifiques peuvent en transférer le coût au locataire (sauf pour celles touchant au bâti).
- Respecter la destination contractuelle : Le locataire doit utiliser les locaux conformément à l’usage prévu dans le bail (par exemple : « vente de vêtements », « restaurant », « bureau »). Exercer une activité non autorisée constitue une infraction au bail. Il faut toutefois distinguer l’activité principale des activités dites « incluses » : par exemple, un café-bar peut généralement vendre des viennoiseries sans que cela constitue un changement de destination nécessitant une autorisation. L’appréciation se fait au cas par cas, en fonction de la rédaction du bail et des usages.
Obligations du bailleur
Le propriétaire des locaux a également des obligations essentielles envers son locataire :
- Délivrer un local conforme : Le bailleur doit mettre à disposition du preneur les locaux loués en bon état de réparations de toute espèce (article 1719 et 1720 du Code civil). Surtout, le local doit être conforme à la destination prévue au bail. Si des travaux sont nécessaires pour permettre l’exercice de l’activité stipulée (par exemple, mise aux normes de sécurité ou d’hygiène imposée par la réglementation pour l’activité concernée), ils incombent en principe au bailleur, même si le bail contient une clause générale mettant les travaux à la charge du preneur. Seule une clause très expresse et visant spécifiquement ces travaux de mise en conformité peut éventuellement l’en exonérer.
- Entretenir l’immeuble : Au-delà de la mise en état initiale, le bailleur doit effectuer pendant toute la durée du bail les grosses réparations nécessaires pour maintenir l’immeuble en état de servir à l’usage pour lequel il a été loué (article 1720 C. civ. et 606 C. civ.). Cela concerne typiquement les travaux sur la structure (murs porteurs, charpente, toiture complète). L’obligation d’entretien peut même s’étendre aux parties communes si leur dégradation empêche une jouissance normale du local loué (par exemple, dans un centre commercial). Là encore, des clauses peuvent transférer une partie de ces obligations au locataire, mais leur interprétation est stricte.
- Garantir la jouissance paisible : Le bailleur doit protéger le locataire contre les troubles qui pourraient affecter sa jouissance. Cela inclut la garantie contre les vices cachés du local (défauts non apparents lors de la prise de possession qui rendent l’usage impropre ou le diminuent fortement, article 1721 C. civ.). Il doit aussi garantir le locataire contre l’éviction, c’est-à-dire contre les troubles de droit venant de tiers qui revendiqueraient des droits sur le local (article 1725 et 1726 C. civ.). Enfin, le bailleur doit s’abstenir de tout fait personnel qui troublerait la jouissance du locataire (par exemple, en installant un commerce concurrent dans le même immeuble s’il s’y est engagé par une clause de non-concurrence).
Le respect de ces obligations est fondamental pour l’équilibre du contrat et peut, en cas de manquement grave de l’une ou l’autre partie, justifier une action en justice voire la résiliation du bail.
La sous-location : une option encadrée
Il peut arriver qu’un locataire n’utilise pas la totalité de ses locaux et souhaite en louer une partie à un tiers. C’est la sous-location.
Le principe d’interdiction sauf accord
Contrairement au droit commun de la location, l’article L. 145-31 du Code de commerce pose un principe d’interdiction de la sous-location, qu’elle soit totale ou partielle. Cependant, cette interdiction n’est pas absolue. La sous-location est possible si :
- Une clause du bail l’autorise expressément.
- Le bailleur donne son accord en cours de bail. Cet accord doit être clair et non équivoque, même s’il peut être tacite (par exemple, si le bailleur signe des quittances de loyer directement au sous-locataire en connaissance de cause). Une simple tolérance, même prolongée, ne vaut pas autorisation.
L’obligation d’appeler le bailleur à concourir à l’acte
Même si la sous-location est autorisée par le bail ou par un accord postérieur, une formalité essentielle doit être respectée : le locataire principal doit inviter le bailleur à participer à la signature de l’acte de sous-location. Cette convocation se fait par acte d’huissier ou lettre recommandée avec AR. Le bailleur a 15 jours pour indiquer s’il souhaite y participer. S’il refuse ou ne répond pas, le locataire peut passer outre et conclure la sous-location. Le non-respect de cette formalité rend la sous-location inopposable au bailleur, même si elle était autorisée sur le principe. Le sous-locataire serait alors considéré comme un occupant sans droit ni titre vis-à-vis du propriétaire.
Conséquences et droits
- Sous-location irrégulière : Le bailleur peut demander la résiliation du bail principal pour faute du locataire, ou invoquer ce motif pour refuser le renouvellement sans indemnité d’éviction. Le sous-locataire n’a aucun droit vis-à-vis du bailleur et peut être expulsé si le bail principal prend fin. Il pourra éventuellement se retourner contre le locataire principal pour obtenir réparation.
- Sous-location régulière : Le sous-locataire est lié par contrat au locataire principal. Si ce sous-bail remplit les conditions du statut (exploitation d’un fonds, immatriculation…), le sous-locataire peut demander le renouvellement de son propre bail au locataire principal. Plus important, à l’expiration du bail principal, le sous-locataire peut, sous conditions (notamment si les lieux sont divisibles en cas de sous-location partielle), avoir un droit direct au renouvellement auprès du bailleur principal (L. 145-32 C. com.).
- Réajustement du loyer principal : Si le loyer payé par le sous-locataire est supérieur à celui payé par le locataire principal (ramené à la surface correspondante), le bailleur a le droit de demander une augmentation du loyer principal pour compenser cet excédent (L. 145-31 C. com.).
Céder son bail commercial : les règles à connaître
La cession du bail commercial est une opération fréquente, notamment lorsque le locataire vend son fonds de commerce. Là encore, le statut pose des règles spécifiques.
Distinction Cession de bail / Cession de fonds
Il est essentiel de distinguer la cession du droit au bail seul de la cession du fonds de commerce qui inclut le droit au bail comme l’un de ses éléments. La cession du droit au bail seul peut être interdite par une clause du contrat.
Le principe de libre cessibilité avec le fonds
En revanche, l’article L. 145-16 du Code de commerce déclare nulles les clauses qui interdiraient au locataire de céder son bail à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise. Cette disposition est d’ordre public : on ne peut interdire à un commerçant de vendre son affaire en incluant le bail qui en est souvent un élément essentiel. Le bailleur ne peut donc pas s’opposer à la cession du bail lorsqu’elle accompagne la vente du fonds.
Les clauses restrictives valides
Si l’interdiction totale est nulle, le bailleur peut insérer des clauses qui encadrent la cession, même avec le fonds de commerce. Sont ainsi valables, sous réserve de ne pas constituer une interdiction déguisée :
- La clause d’agrément : le bailleur doit approuver la personne du cessionnaire. Son refus ne doit cependant pas être arbitraire et peut être contesté en justice s’il n’est pas fondé sur des motifs légitimes (solvabilité, honorabilité du repreneur…).
- Les clauses imposant des formalités : par exemple, l’obligation de réaliser la cession par acte notarié, ou de respecter certaines procédures d’information.
- La clause de garantie solidaire : elle prévoit que le locataire cédant reste garant du paiement des loyers et de l’exécution des obligations du bail par le cessionnaire (et parfois les cessionnaires successifs). La loi Pinel a cependant limité la portée de cette clause : le bailleur ne peut l’invoquer que pendant une durée de trois ans à compter de la cession (L. 145-16-2 C. com.).
Les formalités de cession
Comme toute cession de créance ou de contrat, la cession de bail doit, pour être opposable au bailleur (le « cédé »), lui être signifiée par acte d’huissier, ou être acceptée par lui dans un acte authentique, conformément à l’article 1690 du Code civil. L’absence de cette formalité rend la cession inopposable au bailleur, même si elle est par ailleurs valable entre cédant et cessionnaire. Le bailleur pourrait alors considérer le cessionnaire comme un occupant sans droit ni titre.
Fusion et apport partiel d’actif
L’article L. 145-16 prévoit un régime particulier en cas de fusion de sociétés ou d’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions : la société absorbante ou bénéficiaire de l’apport est substituée de plein droit dans le bail, nonobstant toute clause contraire (interdiction de céder, clause d’agrément…).
Modifier l’activité exercée : la déspécialisation
Les besoins du marché évoluent, et un locataire peut souhaiter adapter son activité, soit en ajoutant des activités nouvelles, soit en changeant complètement de commerce. Le statut des baux commerciaux organise cette possibilité sous le terme de « déspécialisation ». Ce droit est d’ordre public ; une clause du bail interdisant toute modification d’activité serait nulle.
La déspécialisation partielle (L. 145-47 C. com.)
Le locataire a le droit d’adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes (ayant un rapport étroit avec l’activité principale) ou complémentaires (permettant un meilleur exercice de l’activité principale).
- Procédure : Le locataire doit informer le bailleur de son intention par acte d’huissier, en précisant les activités envisagées. Le bailleur dispose de deux mois pour contester le caractère connexe ou complémentaire. Son silence vaut acceptation. S’il conteste, le litige est porté devant le tribunal judiciaire.
- Conséquences sur le loyer : Si la déspécialisation partielle entraîne une modification de la valeur locative (même faible), le bailleur pourra demander une augmentation du loyer (déplafonné) lors de la prochaine révision triennale suivant la notification.
La déspécialisation plénière (L. 145-48 C. com.)
Si le locataire veut exercer une activité totalement différente, non connexe ni complémentaire, il doit demander une autorisation de déspécialisation plénière.
- Conditions : Elle n’est accordée que si elle est justifiée par la conjoncture économique (par exemple, l’activité initiale n’est plus rentable) ET par les nécessités de l’organisation rationnelle de la distribution. De plus, la nouvelle activité doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble.
- Procédure : Le locataire doit faire une demande formelle au bailleur par acte d’huissier. Le bailleur a trois mois pour répondre. Son silence vaut acceptation. S’il refuse, il doit motiver son refus (par exemple, incompatibilité de la nouvelle activité). Le locataire peut alors saisir le tribunal judiciaire. Le bailleur doit aussi informer les autres locataires qui bénéficieraient d’une clause d’exclusivité.
- Conséquences sur le loyer : Si la déspécialisation plénière est autorisée (amiablement ou judiciairement), le bailleur peut demander une augmentation immédiate du loyer pour le faire correspondre à la valeur locative de la nouvelle activité, sans attendre une échéance triennale. Il peut aussi demander une indemnité si la transformation lui cause un préjudice.
Le cas particulier de la cession-déspécialisation (L. 145-51 C. com.)
Un locataire qui part à la retraite ou qui est reconnu invalide a le droit de céder son bail en demandant une déspécialisation plénière pour le cessionnaire, même si le bail l’interdit. Le bailleur doit être informé du projet de cession, de la nouvelle activité envisagée et du prix. Il dispose alors d’un droit de priorité pour racheter le bail aux conditions proposées. S’il ne préempte pas et ne s’oppose pas valablement (pour incompatibilité de l’activité avec l’immeuble), la cession-déspécialisation peut avoir lieu.
Gérer un bail commercial demande une attention constante aux droits et obligations de chacun. Anticiper les besoins de modification et connaître les procédures applicables est essentiel pour éviter les conflits et assurer le développement serein de votre activité.
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Sources
- Code de commerce, articles L. 145-16, L. 145-31, L. 145-32, L. 145-40-2, L. 145-47 à L. 145-55.
- Code civil, articles 606, 1690, 1719, 1720, 1721, 1725, 1728, 1754.