Le nantissement de compte-titres est une sûreté bien plus dynamique qu’il n’y paraît. Contrairement à une garantie portant sur un bien unique et déterminé, l’assiette de ce nantissement peut et va évoluer tout au long de la vie du crédit qu’il sécurise. Cette capacité d’adaptation est l’un de ses atouts majeurs, mais elle implique de bien en comprendre les mécanismes. Pour une vision d’ensemble de cette garantie, le guide complet sur le nantissement de compte-titres offre une base essentielle. Cet article se concentre spécifiquement sur la gestion et l’évolution du portefeuille nanti, un aspect central pour le constituant comme pour le créancier.
Le nantissement comme universalité non figée
La particularité fondamentale du nantissement de compte-titres réside dans sa nature juridique. Il ne porte pas sur une liste figée de titres financiers identifiés un par un, mais sur le compte lui-même, appréhendé comme un ensemble. Cet ensemble, ou « universalité » en termes juridiques, a une existence propre, distincte des éléments qui le composent à un instant T.
Concept d’universalité
Il faut imaginer le compte-titres nanti comme un réceptacle. Au moment de la constitution du nantissement, ce réceptacle contient un certain nombre de titres. Toutefois, la garantie ne porte pas tant sur ces titres initiaux que sur le contenu global du réceptacle. L’article L. 211-20 du Code monétaire et financier organise ce mécanisme en prévoyant que l’assiette du nantissement inclut les titres financiers figurant initialement dans le compte, mais aussi ceux qui leur sont substitués ou qui les complètent. Cette approche confère à la garantie une permanence malgré la rotation des actifs sous-jacents. Autrement dit, le contenu du portefeuille peut changer, mais la garantie, elle, demeure attachée au compte.
Importance de la souplesse du régime
Cette conception en tant qu’universalité offre une souplesse incomparable par rapport à des sûretés plus traditionnelles. Un gage classique sur des biens corporels ou même un nantissement sur des titres pris individuellement nécessiteraient des formalités nouvelles à chaque modification de l’assiette. La gestion d’un portefeuille d’actions, par nature mouvant, deviendrait alors extrêmement lourde. Le législateur, en créant ce régime, a précisément voulu doter les acteurs économiques d’un outil efficace et adapté à la réalité des marchés financiers. Pour un dirigeant d’entreprise ou un investisseur, cela signifie pouvoir continuer à gérer activement son portefeuille sans pour autant affaiblir la garantie consentie au créancier. C’est un équilibre gagnant-gagnant, à condition que les règles du jeu soient clairement établies et respectées.
L’évolution automatique de l’assiette du nantissement
Avant même d’envisager une gestion active du portefeuille, l’assiette du nantissement évolue de manière quasi organique, sans intervention particulière du titulaire du compte. Ces mécanismes automatiques participent à la préservation et parfois à l’augmentation de la valeur de la garantie pour le créancier.
Intégration des fruits et produits
Les titres financiers détenus dans le compte nanti sont susceptibles de générer des revenus. Il peut s’agir de « fruits », comme les dividendes versés pour des actions ou les coupons d’intérêts pour des obligations. Il peut aussi s’agir de « produits », tels que les sommes issues du remboursement d’une obligation arrivée à échéance. Sauf convention contraire entre les parties, la loi prévoit que ces sommes sont automatiquement comprises dans l’assiette du nantissement. Concrètement, elles doivent être versées sur un compte espèces dédié, souvent appelé « compte fruits et produits », qui est lui-même partie intégrante de la garantie. Cette inclusion automatique assure au créancier que la valeur totale de sa sûreté n’est pas diminuée par la distribution de revenus qui, autrement, sortiraient de son périmètre.
La subrogation réelle : un mécanisme clé
La subrogation réelle est un concept juridique qui peut sembler abstrait, mais dont les effets sont très concrets. Il signifie qu’un bien nouveau remplace un bien ancien, en acquérant toutes ses qualités et charges. Dans le cadre du nantissement de compte-titres, ce mécanisme est essentiel. Si des titres nantis font l’objet d’une opération capitalistique indépendante de la volonté du titulaire, les nouveaux titres reçus en échange seront de plein droit inclus dans le nantissement. C’est le cas lors :
- D’un regroupement ou d’une division d’actions : les nouvelles actions se substituent aux anciennes.
- D’une fusion-absorption : les actions de la société absorbante reçues en échange des actions de la société absorbée (qui étaient nanties) intègrent l’assiette.
- D’une attribution d’actions gratuites : ces actions sont considérées comme l’accessoire des titres existants et tombent donc dans le nantissement.
Ce principe connaît cependant des limites. La subrogation ne peut jouer que si les biens reçus en échange sont eux-mêmes des titres financiers pouvant être inscrits en compte. Si une fusion aboutit à l’attribution de parts de SARL, qui ne sont pas des titres financiers au sens du nantissement, le mécanisme ne fonctionnera pas. De même, la jurisprudence a pu écarter la subrogation dans des cas complexes comme les opérations de « coup d’accordéon » (réduction de capital à zéro suivie d’une augmentation), où les actions nouvelles ne sont pas considérées comme un simple remplacement des anciennes.
La gestion volontaire du portefeuille nanti
Au-delà des évolutions automatiques, la grande force du nantissement de compte-titres est de permettre au constituant de gérer son portefeuille. Cette faculté doit généralement être encadrée par une convention écrite avec le créancier pour définir les marges de manœuvre et protéger les intérêts de chacun.
Les opérations d’achat et de vente
Le constituant, s’il y est autorisé, peut procéder à des arbitrages au sein de son portefeuille. Il peut vendre une ligne de titres pour en acquérir une autre qu’il juge plus prometteuse. La condition sine qua non est que le produit de la vente soit bien affecté au compte nanti. Les fonds issus de la cession transitent par le compte espèces, et les nouveaux titres achetés avec ces fonds sont ensuite inscrits au compte-titres. Ils sont alors instantanément intégrés à l’assiette de la garantie. Cette fluidité permet au constituant de ne pas être pénalisé par la constitution de la sûreté, en conservant la possibilité de chercher à optimiser la performance de ses actifs.
L’adjonction d’actifs complémentaires
Il est tout à fait possible d’augmenter la valeur de la garantie en cours de route. Le constituant peut décider de verser de nouveaux titres ou des liquidités sur le compte nanti. Cette opération peut être volontaire ou découler d’une obligation contractuelle, notamment via une « clause d’arrosage ». Cette clause prévoit que si la valeur du portefeuille nanti passe en dessous d’un certain seuil (par rapport au montant de la dette garantie), le constituant doit apporter des actifs complémentaires pour reconstituer le niveau de garantie. Sur le plan juridique, l’un des apports majeurs de la loi est de prévoir une rétroactivité. L’article L. 211-20 du Code monétaire et financier dispose que ces actifs complémentaires « sont considérés comme ayant été remis à la date de déclaration de nantissement initiale ». Cette fiction juridique est une protection capitale pour le créancier : elle empêche que l’apport de nouveaux actifs puisse être remis en cause s’il intervenait pendant une période suspecte précédant une éventuelle procédure collective du constituant. La mise en place de ces mécanismes doit être pensée dès l’origine, au moment de définir les formalités initiales pour la constitution d’un nantissement de compte-titres.
L’exercice du droit de vote
Sauf disposition contraire, le titulaire du compte, qui demeure propriétaire des titres, conserve l’exercice du droit de vote qui y est attaché. C’est un point important, car ce droit peut être stratégique. Toutefois, le créancier peut souhaiter encadrer cet exercice. La convention de nantissement peut par exemple prévoir que le constituant ne doit pas voter de résolutions qui pourraient déprécier la valeur des titres (par exemple, une modification substantielle de l’objet social augmentant le risque). Un manquement à ce type d’engagement pourrait être considéré comme une faute et entraîner la déchéance du terme du crédit garanti.
L’attestation de nantissement : un outil de suivi
Avec une assiette qui évolue, comment le créancier peut-il connaître à tout moment la composition exacte de sa garantie ? La loi a prévu un instrument de suivi simple et efficace : l’attestation de nantissement. Sa fonction est essentielle, notamment pour préparer les procédures de réalisation du nantissement en cas de non-respect des obligations, où la composition du compte est déterminante.
Contenu et délivrance de l’attestation
Sur simple demande du créancier nanti, le teneur de compte (la banque, l’entreprise d’investissement, ou l’émetteur lui-même pour les titres nominatifs purs) doit lui délivrer une attestation de nantissement. Ce document n’est pas une simple formalité. Il constitue un inventaire officiel, à la date de sa délivrance, de tous les actifs compris dans le nantissement : la liste des titres financiers (nature, nombre) et le solde des sommes figurant sur le compte espèces associé. Si les titres sont inscrits dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP), c’est le gestionnaire de ce dispositif qui fournit l’attestation. Cet « instantané » de la garantie permet au créancier de vérifier que la valeur de sa sûreté est maintenue et de disposer d’une preuve irréfutable de sa composition en cas de besoin.
La gestion d’un compte-titres nanti est un exercice d’équilibre entre la liberté de gestion du propriétaire des actifs et la sécurité du créancier. Les mécanismes légaux offrent une grande souplesse, mais leur mise en œuvre pratique nécessite une convention de nantissement rédigée avec précision. Pour une analyse de votre projet et un conseil juridique pour l’optimisation de la gestion de vos sûretés et garanties financières, l’accompagnement par un avocat est une précaution indispensable.
Sources
- Code monétaire et financier (notamment l’article L. 211-20)
- Code civil (dispositions relatives au droit des sûretés)
- Code de commerce (dispositions relatives aux procédures collectives)