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La défense au fond : quand l’attaque directe devient la meilleure défense

Table des matières

En contentieux, la stratégie détermine souvent l’issue du procès. Parmi les armes procédurales, la défense au fond occupe une place singulière : c’est le seul moyen qui attaque directement la prétention adverse. Contrairement aux fins de non-recevoir ou aux exceptions de procédure, elle vise à convaincre le juge que la demande est simplement mal fondée. Son utilisation judicieuse peut éviter des années de procédure.

Définition et caractéristiques de la défense au fond

L’article 71 du Code de procédure civile définit la défense au fond comme le moyen qui tend à « faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire ».

Sa caractéristique principale ? Elle s’attaque frontalement à la demande, en contestant directement le droit invoqué par l’adversaire. Le défendeur soutient que le droit allégué n’existe pas, n’existe plus, n’existe pas encore, ou n’a pas l’ampleur prétendue.

Cette définition peut sembler abstraite. Des exemples concrets :

  • Dans une action en responsabilité, contester l’existence du préjudice
  • Dans un litige contractuel, invoquer l’exception d’inexécution
  • En matière de bail, contester le montant du loyer réclamé
  • Pour une dette, soutenir qu’elle a déjà été payée

Un arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 1990 précise que constitue également une défense au fond le moyen selon lequel le fondement juridique choisi par le demandeur est erroné (Civ. 3e, 24 janv. 1990, n° 88-15.554).

Le simple fait de s’en rapporter à la justice constitue aussi une défense au fond, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 juin 2007 (Civ. 2e, 7 juin 2007, n° 06-15.920).

Le caractère direct : critère déterminant de qualification

Ce caractère direct est l’élément clé qui distingue la défense au fond des autres moyens de défense. Les fins de non-recevoir et les exceptions de procédure ne contredisent pas frontalement la demande mais tentent de l’écarter par un biais procédural.

L’appréciation de ce caractère direct soulève pourtant des difficultés pratiques. Pour certains mécanismes juridiques comme la prescription, la question peut être délicate. La prescription fait-elle disparaître le droit ou affecte-t-elle seulement l’action en justice ? Le débat existe. L’article 2219 du Code civil semble retenir la première position, mais la jurisprudence a opté pour la qualification de fin de non-recevoir.

Plus complexe encore, ce caractère direct dépend souvent du contexte. Invoquer l’incompétence d’une juridiction est normalement une exception de procédure. Mais contester, dans une procédure d’exequatur, la compétence internationale du tribunal étranger ayant statué devient une défense au fond. Pourquoi ? Parce que c’est une condition de l’exequatur. Le moyen revient à soutenir que la demande d’exequatur n’est pas fondée (Civ. 1re, 13 juin 1978, D. 1979. 133).

Situations complexes et frontières floues

La qualification peut s’avérer délicate dans plusieurs situations.

Contestation de la recevabilité d’un moyen de preuve

Lorsqu’un plaideur conteste la recevabilité d’un témoignage ou d’éléments qu’il prétend obtenus illégalement, s’agit-il d’une défense au fond ou d’une exception de procédure ? La jurisprudence opte clairement pour la défense au fond. Un arrêt du 8 juin 1999 (Civ. 1re, n° 96-18.908) l’illustre parfaitement : contester le caractère confidentiel de lettres ne constitue pas une exception de procédure mais une défense au fond.

La même logique s’applique à l’incident de faux, qui vise à contester une preuve littérale. Selon un arrêt du 24 octobre 2006 (Civ. 1re, n° 05-21.282), il s’agit d’une défense au fond.

Nullité d’un acte juridique

La contestation de la validité d’un acte peut constituer soit une défense au fond, soit une exception de procédure, selon la nature de l’acte concerné.

S’il s’agit d’un acte de procédure, l’argument sera qualifié d’exception. Mais s’il concerne l’acte juridique sur lequel se fonde la demande, il s’agira d’une défense au fond. La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt du 11 mars 1998 (Civ. 2e, n° 96-11.443).

Étonnamment, la nullité d’un congé en matière de bail constitue une exception de procédure selon la jurisprudence récente (Civ. 3e, 7 juill. 2016, n° 15-20.381), bien que cette solution soit contestable puisque le congé n’est pas un acte de la procédure judiciaire.

Quand une demande devient une défense

Situation paradoxale : une demande peut parfois être qualifiée de défense au fond. L’assignation en intervention forcée, bien que techniquement une demande, est considérée comme une défense au fond (Civ. 2e, 6 mai 1999, n° 96-22.143).

De même, les demandes de la caution tendant à la déchéance du prêteur sont qualifiées de défenses au fond (Civ. 1re, 31 janv. 2018, n° 16-24.092).

En matière de partage, la Cour de cassation a récemment précisé que « les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l’établissement de l’actif et du passif, toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse » (Civ. 1re, 9 juin 2022, n° 20-20.688).

Ces subtilités montrent l’importance de l’analyse stratégique en procédure civile. La qualification d’un moyen comme défense au fond n’est pas qu’une question théorique : elle détermine son régime juridique, notamment la possibilité de le soulever en tout état de cause.

Le recours à un avocat spécialiste en procédure civile peut s’avérer précieux pour déterminer la stratégie optimale. Notre cabinet propose un audit précontentieux pour identifier les moyens de défense les plus pertinents dans votre situation. N’attendez pas que votre adversaire prenne l’avantage – contactez-nous pour une analyse approfondie de votre dossier.

Sources

  • Code de procédure civile, article 71
  • Civ. 3e, 24 janv. 1990, n° 88-15.554, Bull. civ. III, n° 31
  • Civ. 2e, 7 juin 2007, n° 06-15.920, Bull. civ. II, n° 145
  • Code civil, article 2219
  • Civ. 1re, 13 juin 1978, D. 1979. 133
  • Civ. 1re, 8 juin 1999, n° 96-18.908, Bull. civ. I, n° 195
  • Civ. 1re, 24 oct. 2006, n° 05-21.282, Bull. civ. I, n° 434
  • Civ. 2e, 11 mars 1998, n° 96-11.443, Bull. civ. II, n° 77
  • Civ. 3e, 7 juill. 2016, n° 15-20.381
  • Civ. 2e, 6 mai 1999, n° 96-22.143, Bull. civ. II, n° 82
  • Civ. 1re, 31 janv. 2018, n° 16-24.092, Bull. civ. I, n° 13
  • Civ. 1re, 9 juin 2022, n° 20-20.688, Bull. civ., p. 62

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