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La faute lourde et le déni de justice : comment faire valoir vos droits ?

Table des matières

Un dossier d’instruction égaré. Un jugement rendu trois ans après les plaidoiries. Une expertise cruciale jamais ordonnée malgré vos demandes répétées. Ces situations peuvent constituer une faute lourde ou un déni de justice. La loi vous permet alors d’obtenir réparation auprès de l’État. Encore faut-il connaître les critères précis et la procédure à suivre.

Reconnaître une faute lourde du service public de la justice

La faute lourde constitue le premier fondement pour engager la responsabilité de l’État. Sa définition a connu une évolution majeure.

Jusqu’en 2001, la Cour de cassation définissait la faute lourde comme « celle commise sous l’influence d’une erreur tellement grossière qu’un magistrat normalement soucieux de ses devoirs n’y eût pas été entraîné ». Cette conception restrictive rendait difficile l’engagement de la responsabilité de l’État.

Un tournant s’est produit avec l’arrêt d’Assemblée plénière du 23 février 2001. La Cour de cassation a adopté une définition plus souple : « constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. »

Cette nouvelle approche a ouvert la voie à davantage d’actions en réparation.

Exemples concrets de fautes lourdes reconnues

Les tribunaux ont reconnu comme fautes lourdes :

  • La perte d’un dossier pénal d’instruction (TGI Paris, 5 janvier 2000)
  • Un délibéré durant plus d’un an (TI Paris, 2 février 1993)
  • L’inaction d’un juge d’instruction pendant plusieurs années (Civ. 1re, 13 mars 2007)
  • La divulgation à la presse d’éléments d’une information judiciaire (TGI Paris, 3 avril 1996)
  • Le non-respect de garanties procédurales essentielles
  • La destruction de scellés sans mise en demeure préalable (Civ. 1re, 9 juillet 2008)

Le cumul de plusieurs négligences peut aussi caractériser une faute lourde, même si chacune prise isolément ne suffirait pas. Ainsi, la cour d’appel de Paris a jugé le 25 octobre 2000 que « si, prise isolément, aucune des négligences constatées ne s’analyse en une faute lourde, en revanche le fonctionnement défectueux du service public de la justice, qui découle de leur réunion, revêt le caractère d’une telle faute. »

Ce qui n’est pas une faute lourde

Tous les dysfonctionnements ne constituent pas une faute lourde. Les tribunaux ont rejeté cette qualification pour :

  • Des termes discourtois employés par un magistrat (Civ. 1re, 13 octobre 1998)
  • Une simple erreur de procédure sans intention de nuire
  • Un retard modéré dans le traitement d’un dossier
  • Des irrégularités déjà sanctionnées par l’exercice des voies de recours

Le déni de justice : un manquement spécifique

Le déni de justice constitue le second fondement pour engager la responsabilité de l’État.

Définition légale et jurisprudentielle

L’article L. 141-3 du code de l’organisation judiciaire définit le déni de justice comme « le refus de répondre aux requêtes » ou « le fait de négliger de juger les affaires en état de l’être. »

Mais la jurisprudence a élargi cette notion au « manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle des citoyens. »

Formes principales de déni de justice

Le déni de justice se manifeste principalement sous deux formes :

  1. Le refus explicite de statuer sur une demande

Un président de tribunal de grande instance qui refuse de nommer un arbitre commet un déni de justice (Paris, 29 mars 2001, confirmé par Civ. 1re, 1er février 2005).

  1. Le non-respect du délai raisonnable pour juger une affaire

Un délai d’audiencement fixé à trois ans constitue un déni de justice (TGI Paris, 6 juillet 1994). De même, l’inaction d’un tribunal pendant plusieurs années caractérise un manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle.

La Cour européenne des droits de l’homme sanctionne régulièrement les États pour non-respect du « délai raisonnable » garanti par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Constituer son dossier de preuve

La charge de la preuve repose sur le demandeur. Plusieurs éléments sont nécessaires.

Éléments probatoires essentiels

Pour prouver une faute lourde ou un déni de justice, vous devez réunir :

  • Toutes les pièces de procédure démontrant le dysfonctionnement
  • La chronologie précise des événements avec dates clés
  • Les demandes ou relances restées sans réponse
  • Tout document attestant des démarches entreprises pour remédier à la situation

En cas de déni de justice pour refus de juger, deux sommations par huissier au greffe de la juridiction sont requises (article 366-9 du code de procédure civile).

Démarches préalables indispensables

La jurisprudence exige que vous ayez épuisé les voies de recours ordinaires avant d’engager la responsabilité de l’État.

La Cour de cassation a établi que « l’inaptitude du service public à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l’exercice des voies de recours n’a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué » (Civ. 1re, 12 octobre 2011).

Vous devez donc avoir tenté de remédier au dysfonctionnement par les voies procédurales classiques avant d’engager une action en responsabilité.

Procédure d’indemnisation

Juridiction compétente et délais

L’action doit être portée devant le tribunal judiciaire. Si votre demande est inférieure à 10 000 euros, le tribunal d’instance est compétent.

Attention au délai de prescription : l’action est soumise à la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968. Le délai commence à courir le premier jour de l’année suivant celle où les droits ont été acquis.

La Cour de cassation considère que les droits sont acquis le jour où le fait générateur du dommage s’est produit (Assemblée plénière, 6 juillet 2001).

Évaluation du préjudice

Le préjudice indemnisable doit être direct, certain et en lien de causalité avec le dysfonctionnement.

Peuvent être réparés :

  • Le préjudice matériel : pertes financières, frais engagés, perte de chance
  • Le préjudice moral : anxiété, atteinte à la réputation, perte de confiance dans l’institution judiciaire

Dans une affaire où le service public de la justice n’avait pas élucidé les circonstances d’un décès malgré 26 ans de procédure, la cour d’appel de Paris a accordé 15 000 euros pour perte de confiance dans l’institution judiciaire (Paris, 28 avril 2003).

Déroulement de la procédure

La procédure suit les règles ordinaires du procès civil. L’État est représenté par l’Agent judiciaire de l’État.

Un an constitue le délai moyen pour obtenir une décision en première instance. Les décisions sont susceptibles d’appel et de pourvoi en cassation, ce qui peut prolonger considérablement les délais.

Une expertise peut être ordonnée pour évaluer certains préjudices complexes, notamment les pertes financières ou les préjudices psychologiques.

Exemples de décisions récentes

Plusieurs décisions significatives montrent l’évolution de la jurisprudence :

  • Indemnisation de 344 000 € accordée à des époux restaurateurs ruinés par l’erreur d’un jugement (Angers, 11 septembre 2002)
  • Condamnation de l’État pour défaillance des enquêteurs et des juges d’instruction dans l’affaire des « disparus de Mourmelon » (TGI Paris, 26 janvier 2005)
  • Indemnisation de 35 000 € aux parents d’un enfant assassiné suite à une décision de justice ayant confié sa garde à un parent dangereux
  • Reconnaissance de la responsabilité de l’État dans l’affaire Outreau (transaction avec les personnes détenues indûment)

Ces décisions témoignent d’une plus grande rigueur exigée du service public de la justice et d’une meilleure prise en compte des préjudices des victimes.

Dans un contexte de judiciarisation croissante, les actions en responsabilité contre l’État pour dysfonctionnement de la justice se multiplient. Le nombre de demandes est passé de 86 en 1999 à plus de 200 ces dernières années.

Face à la complexité juridique de ces dossiers, l’accompagnement par un avocat compétent s’avère déterminant. Notre cabinet peut vous aider à constituer un dossier solide et à obtenir la juste réparation de votre préjudice.

Sources

  • Code de l’organisation judiciaire, articles L. 141-1 à L. 141-3
  • Code de procédure civile, article 366-9
  • Arrêt d’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 23 février 2001
  • Convention européenne des droits de l’homme, article 6

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